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Les sanctions physiques éducatives largement discréditées

IV LES CHATIMENTS CORPO RELS AU SEIN DE S FAM ILLES : RAPPORTS DIFFERENCI ES A LA NORME ET TRAVAIL SUR SO

1- Les sanctions physiques éducatives largement discréditées

Les sanctions physiques éducatives apparaissent largement discréditées dans le corpus rassemblé, quel que soit le comportement des parents en la matière (qu’ils en administrent effectivement ou se refusent à mettre en œuvre de telles pratiques). Elles sont le plus souvent disqualifiées au profit d’autres types de punitions : l’isolement dans une chambre ou au coin, la privation d’activités récréatives, les lignes à copier, des « travaux d'intérêt général ». Parmi les enquêtés, les familles populaires, ou d’autres groupes sociaux (migrants primo-arrivants notamment) dont les membres sont susceptibles d’user plus régulièrement de la sanction physique connaissent la norme contemporaine visant la disparition de ce type de comportement et pour certaines y adhèrent pleinement. Tout en ayant des pratiques éducatives qui pourraient leur attirer les reproches des acteurs de la protection de l’enfance, ces familles sont, comme les autres, sensibilisées à la montée des droits de l’enfant et à la proscription de la violence envers les enfants.

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1.1. Les ressorts d’une condamnation : ordre familial négocié, aspiration à l’harmonie relationnelle et craintes des séquelles mentales

Dans les matériaux rassemblés, différents registres se mêlent fréquemment dans le discours critique porté à l’endroit des sanctions physiques éducatives et se renforcent mutuellement.

En premier lieu, la sanction physique éducative est souvent condamnée au nom d’une « culture du dialogue », jugée plus efficace, notamment dans le temps long nécessaire à l’incorporation des normes éducatives par l’enfant. Nous avons trouvé nombre de déclinaisons de ces arguments dans les entretiens : « Ça n’apporte rien à la relation, ça n’apporte rien au dialogue »84,

« Quand ils font quelque chose de mal… bah j'essaye d'expliquer pourquoi, enfin de faire comprendre pourquoi c'est mal »85, « Vaut mieux discuter avec l’enfant, lui expliquer les choses plutôt que la

fessée »86. Ces normes communicationnelles engagent bien souvent les parents, notamment de

classe moyenne et supérieure, à adopter un style éducatif faisant de la négociation un axe central du contrôle des activités de l’enfant : « [On] ne croit pas du tout en tout ce qui est gifle, fessée ou je ne sais quoi. On est plus tous les deux dans l’explication, la négociation. […] On aime bien dire : "alors tu fais ça correctement et bah nous, de notre côté, forcément ça va être plus facile parce qu’on va pouvoir t’autoriser plein de choses, on va pouvoir te récompenser entre guillemets par le fait d’avoir le droit d’allumer la télé juste avant le repas", voilà… Je pense qu’on est beaucoup dans la négociation »87. Comme l’a souligné Marie-Clémence Le Pape, il n’est pas question ici d’une

absence de contrôle, mais de l’exercice d’un contrôle de manière indirecte ; c’est dans un « univers prédéfini » que l’enfant négocie avec ses parents un « espace de liberté » (Le Pape, 2012).

Cette dimension constitue une illustration très claire des transformations récentes des manières de « faire famille » puisqu’« à un paradigme de l’autorité défini de façon arbitraire a succédé un modèle de communication orienté vers le consensuel et l’explication. […]. Tout doit pouvoir être discuté, car idéalement tout devrait être consenti dans cette "nouvelle famille" » (Gavarini, 2011 : 41). Une telle préoccupation est d’ailleurs observable chez la plupart des parents enquêtés – y compris chez ceux n’hésitant pas à recourir à des réprimandes manuelles – pour lesquels justifier la sanction auprès de l’enfant constitue manifestement une démarche incontournable : « Là avant hier soir vraiment elle a pris une fessée. […] Après je lui ai parlé : "Pourquoi E. il faut arriver à ce stade- là ? Tu dois écouter. Tu es grande, tu écoutes. Il faut comprendre. Donc je lui ai expliqué »88 ; « Je lui

ai expliqué que je voulais qu’il écoute et que c’est pour ça que j’avais mis la fessée, mais que le but c’était pas de lui faire mal à ce point. Ni lui faire mal tout court d’ailleurs ! »89. Ce constat rejoint là

encore les analyses de M-C Le Pape, lorsqu’elle souligne que les représentants des classes populaires et plus largement les groupes sociaux attachés à certaines dimensions relevant d’un modèle d’éducation traditionnel (impliquant ici l’utilisation de punitions corporelles), « sans souscrire passivement au modèle négociateur et égalitaire des classes moyennes et supérieures », tendent à adopter une position de compromis incluant une forme d’adhésion aux normes relationnelles actuelles valorisant la communication (Le Pape, 2012). Il permet par ailleurs de mettre en perspective l’invocation de la notion d’efficacité attachée à cette volonté de favoriser le dialogue parent/enfant pour souligner combien celle-ci semble se rapporter également à la

84 Corpus B Enquêté 7 [CBE7] Infirmière, 43 ans, mariée à un plombier, 3 enfants.

85 [CBE6] Femme, 37 ans, assistante administrative, mariée à un réceptionneur magasinier, 2 enfants. 86 [CBE1] Femme, gestionnaire de clientèle dans une banque, mariée à CBE2 (cadre commercial), 3 enfants. 87 [CBE10] Femme, 32 ans, formatrice en anglais dans un centre de formation auprès de jeunes en apprentissage ou

en contrat de professionnalisation, mariée à un informaticien, 2 enfants.

88 [CCE2] Femme, 40 ans, caissière auxiliaire dans un magasin de prêt-à-porter, 40 ans, 2 enfants. 89 [CBE22] Sage-femme libérale, deux enfants.

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préoccupation d’éviter conflits et tensions. Il s’agit en effet avant tout pour les parents concernés d’œuvrer à la pacification des rapports intra-familiaux :

« ON TIENT A GARDER UN CONTACT »

« Ce qu’on essaye de faire, c’est de ne pas s’énerver. En général, on y arrive quand on est à peu près en forme et tout ça. Et après du coup quand ils sont calmés, on va les voir et on en discute. "Mais pourquoi ça s’est passé comme ça ?", "Donc je t’explique pourquoi je t’ai mis dans ta chambre"... enfin voilà. Donc on recréé un contact. Ça c’est toujours ce qu’on veut faire, après chaque punition, après chaque gronderie, on essaye de reprendre contact et d’en parler. Alors si ils sont pas prêts, ils sont pas prêts, on revient un peu plus tard ou on lui dit "bah tu redescends et on en reparle". Mais on passe pas tout de suite à autre chose. On essaye de comprendre pourquoi on en est arrivé là.

- Parce que qu’est-ce que ça ferait si il n’y avait pas cette reprise de contact ?

-Qu’est-ce que ça ferait ?… Alors peut être que c’est plus pour nous, je sais pas, mais… Peut-être rien. Enfin moi j’ai l’impression qu’en général, eux, ils reprennent vite le rythme de leur vie, même si ils ont été punis, on les retrouve en train de jouer tranquillement […] Non, juste pour… pour expliquer que... Oui, on essaye de justifier un peu nos choix peut- être, on essaye de leur justifier un peu notre comportement, on leur explique que voilà il y a des choses qui ne se font pas. […] Alors, ensuite, il y a un autre aspect par rapport à tout ça... c’est juste qu’on a envie qu’ils acceptent la façon dont on réagit »90.

Cet attachement à la préservation d’une forme de concorde familiale se manifeste de manière récurrente dans les entretiens lorsqu’il est question d’éviter une punition susceptible d’entraver la possibilité de partager des moments de proximité jugés primordiaux. Il arrive même que la sanction soit explicitement envisagée comme étant secondairement susceptible de renforcer le lien parent/enfant (là où le geste physique est souvent perçu comme destructeur de ce lien) : « Ce n’est pas une grosse sanction puisqu’ils se rendent compte… même s’ils ne sont pas contents, […] que passer une heure avec papa à ramasser les mauvaises herbes, ça permet de passer un peu de temps avec papa »91, « J’essaye de pas priver d’histoire du soir parce que ça je trouve c’est un moment sympa de

fin de journée pour se retrouver »92. De manière sous-jacente, transparait ainsi à de nombreuses

reprises ce que Norbert Elias avait identifié comme une révolution majeure dans les rapports intra- familiaux, à savoir le fait que les enfants remplissent désormais une fonction pour leurs parents, puisque leur venue au monde a le plus souvent été « programmée » (là où les parents d’autrefois ont souvent « mis aveuglément des enfants au monde, sans désir ni besoin d’en avoir un – ou un de plus ») (Elias, 2010). Cette « idéalisation » de l’enfance, désormais « source de gratifications uniques » (Déchaux, 2014), est sans doute au principe du succès de l’« éducation positive », dont il est parfois fait mention par les enquêtés. Il s’agit alors bien souvent moins de témoigner d’une véritable connaissance de cette nouvelle doctrine proscrivant les punitions que de signifier une aspiration à accéder à un « bien-être ensemble » devenu fondamental à leurs yeux (De Singly, 2004) : « C’est juste le côté bienveillance que j’en retiens, et puis savoir éduquer les enfants de façon sereine, et dans une vie, enfin… pas de bonne humeur, mais… mettre en avant le fait que la vie est belle et qu’il faut prendre ce qu’il y a à prendre sans râler »93.

Les enquêtés, estimant devoir représenter un modèle d’exemplarité, déclarent également rejeter ces formes de contrainte physique au nom d’une cohérence avec les valeurs qu’ils entendent

90 [CCE4] Femme, 35 ans, architecte en congé parental, mariée à un informaticien, 4 enfants.

91 [CBE21] Femme, gestionnaire de biens pour un ministère, 44 ans, mariée à un fonctionnaire, 4 enfants. 92 [CBE22] Sage-femme libérale, deux enfants.

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transmettre (une attention à l’autre, éviter toute brutalité, notamment au sein de la fratrie ou envers les camarades). Là encore, cette dimension ne peut être tenue pour indépendante des transformations récentes de la famille au sein de laquelle être parent n’est plus un statut conférant des privilèges comportementaux : « D’ailleurs si on leur donne une fessée, il nous le fait rappeler

rapidement, parce que nous on leur dit constamment "On tape pas entre frère et sœur, on ne tape pas les copains...", et si il y a une fessée qui tombe, ils nous disent "Tu n’as pas le droit de me taper". Bah on dit que "oui, on sait qu'on n’a pas le droit", mais là ... (rire), voilà... enfin vraiment ça reste exceptionnel »94.

Enfin, la dernière dimension illustrant le discrédit associé à l’utilisation des sanctions physiques est la vive préoccupation affichée par les enquêtés concernant les effets potentiellement négatifs des gestes concernés. Il s’agit d’une dimension assez insaisissable, et souvent peu explicitée, qui transparait en particulier à travers des commentaires relatifs au fait que ces mesures puissent déclencher une crise de larmes (« On l’entendait pleurer »95), à la douleur provoquée à

cette occasion (« Ça me plait pas, parce qu’il a mal »96), au retentissement psychique de ces

réprimandes corporelles (« Ca choque un peu les enfants »97), ou encore à des considérations plus

générales exprimant la conviction du caractère mortifère de la « violence » (« La violence physique,

c’est pas la bonne solution »98). Au-delà de la relation éducative, ce qui est sans doute en cause dans

ces extraits, c’est la moindre tolérance à l’égard des souffrances psychiques (notamment associées à des manifestations d’ascendance) propre à nos sociétés, toujours suspectées de provoquer des répercussions à long terme.

1.2. Défendre le recours aux « châtiments corporels » : un « mal nécessaire » visant le respect de certaines « limites »

Lorsque les parents rencontrés mentionnent la possibilité d’exercer des sanctions ou des formes de contrainte physique sur leurs enfants, la plupart associent étroitement cette éventualité à l’idée d’une transgression à la norme qu’ils entendent éviter. Aussi, rares sont les enquêtés qui ne s’émeuvent pas à leur évocation – autrement dit des émotions négatives sont témoignées à l’enquêteur à partir d’énoncés de ce type : « Avec J, ça nous est arrivé de donner des petites tapes sur la main. Puis après on s’est dit que même ça, il fallait pas »99, « Parce que c’était l’énervement

général, c’est parti alors que ça aurait pas dû »100, « Ce n’est pas du tout quelque chose que j’étais

contente d’avoir fait »101, « Je sais que ce n’est pas spécialement bien, mais malheureusement ça

arrive.. »102, « Avec le recul, je l’aurais pas refait hein, franchement, je suis convaincue que ce n’est

pas du tout la solution »103. Pour autant, certains d’entre eux décrivent ces châtiments corporels en

les présentant avant tout comme un mal nécessaire dans certaines circonstances. Il s’agit en effet de signifier durablement à l’enfant le caractère inacceptable de son comportement : « Ça va être léger, mais c’est pour marquer le coup quoi. Pour qu’il se rende compte qu’il est allé trop loin »104,

94 [CBE8] Femme, infirmière, mariée à un technicien de support en informatique, 4 enfants. 95 [CBE2] Homme, 43 ans, cadre commercial à la SNCF, marié à CBE1, 3 enfants.

96 [CCE5] Femme, professeur d’espagnol vacataire en collège, originaire de Bolivie, un fils de 4 ans. 97 [CCE4] Femme, 35 ans, architecte en congé parental, mariée à un informaticien, 4 enfants.

98 [CBE1] Femme, gestionnaire de clientèle dans une banque, mariée à CBE2 (cadre commercial), 3 enfants. 99 [CBE4] Femme, 36 ans, directrice adjointe d’une collectivité territoriale, mariée à un avocat, 2 enfants. 100 [CBE6] Femme, 37 ans, assistante administrative, mariée à un réceptionneur magasinier, 2 enfants.

101 [CBE10] Femme, 32 ans, formatrice en anglais dans un centre de formation auprès de jeunes en apprentissage ou

en contrat de professionnalisation, 2 enfants.

102 [CBE9] Femme, 46 ans, chef de service à la CPAM, mariée à un chef d’entreprise en informatique, 2 enfants. 103 [CCE4] Femme, 35 ans, architecte en congé parental, mariée à un informaticien, 4 enfants.

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« Des fois ça donne une limite : "Là, t’as vraiment dépassé la limite, vraiment, vraiment". […] Mais bon après si on peut éviter ça, c’est mieux. J’aime pas trop ça »105, « On n’est pas des adeptes de la

fessée, mais enfin… donner une fessée de temps en temps, ça permet de marquer le coup »106.

Les gestes évoqués sont alors systématiquement décrits comme des sanctions mineures, distinctes de comportements s’apparentant à une forme de maltraitance infantile (légitime unanimement à leurs yeux de faire l’objet d’une condamnation sinon judiciaire, du moins sociale) : « Je dis que des

fois recevoir une petite claque ou une fessée ça fait pas de mal. […] Il y a eu des fois effectivement […], oui, d’être arrivé à les prendre physiquement par l’épaule, les malmener dans le sens où… c’est pas le bébé secoué hein, c’est plus des bébés, mais le secouer en disant : "Maintenant, ça suffit !" »107. […]

« Tout enfant au monde a reçu une fessée ou une claque dans sa vie. Après, ça dépend de la force. Faut pas non plus que ce soit tout le temps. Mais je reconnais qu’il y a des enfants qui sont certainement durs »108.

Outre la « légèreté » (l’utilisation du qualificatif « petit » est récurrente dans notre corpus), un critère de différenciation également utilisé est la notion de rareté, nécessairement subjective : « Une

fois de temps en temps, ça peut arriver, ça peut tomber »109, « Je me rappelle même pas de la dernière

fois que ça s’est produit en fait finalement, dont c’est assez rare »110. On peut supposer cependant

que ces différentes précautions langagières ont également partie lié avec la disqualification de ce comportement dans notre société. En d’autres termes, ces discours comportant une évaluation quantitative implicite constituent certainement plus un indicateur de cette disqualification qu’un décompte objectif des pratiques mises en œuvre. Il est d’ailleurs intéressant de constater que quelques rares enquêtés se montrent conscients de cette dimension, anticipant en quelque sorte le jugement de l’enquêtrice à leur endroit : « J'y ai eu recours. […] Je suis désolé, mais il faut marquer… quand la situation est grave, l'individu pour qu'il s'en souvienne physiquement, alors quand je parle de ça, je vais passer pour un affreux parent... Quand on fait une bêtise c'est l’appréhension, pas la peur, mais l'appréhension...quand on a failli frôler un accident, non seulement on s'en souvient toute sa vie, mais on fait tout pour l'esquiver. Donc effectivement il y a eu des fessées » [CBE17].

Le regard porté sur les pratiques des générations précédentes est également souvent l’occasion d’exprimer des jugements relevant de ce registre sans directement mettre en jeu ses propres habitudes éducatives ; registre suivant lequel la légitimité du geste repose dans une large mesure sur son exceptionnalité, et surtout son adéquation au caractère hors normes du comportement l’ayant provoqué : « Dans notre enfance… enfin, nous, on savait qu’on pouvait avoir la menace de la

claque. C’était l’ultime sanction si on peut dire. C’était pas juste la petite punition, c’est quand on savait qu’on avait dépassé plus que largement les limites »111, « C‘était tellement quelque chose

d’exceptionnel que ça montre que voilà, là il y a un moment donné où on dépassait les bornes quoi. […] D’autant plus pour la fessée, là, où j’ai failli balancer ma sœur au-dessus du balcon [petit rire], là je pense qu’elle était quand même bien méritée »112.

105 [CCE3] Femme, 32 ans, assistante maternelle, originaire de Colombie, une fille de 6 ans. 106 [CBE19] Femme, 37 ans, chargée de communication, pacsée à un rédacteur en chef, 3 enfants. 107 [CBE2] Homme, 43 ans, cadre commercial à la SNCF, marié à CBE1, 3 enfants.

108 [CBE6] Femme, 37 ans, assistante administrative, mariée à un réceptionneur magasinier, 2 enfants. 109 [CBE1] Femme, gestionnaire de clientèle dans une banque, mariée à CBE2 (cadre commercial), 3 enfants. 110 [CBE19] Femme, 37 ans, chargée de communication, pacsée à un rédacteur en chef, 3 enfants.

111 Atelier parental « Sanctions, punitions, limites : quelles réponses apportons-nous à nos enfants lorsqu’ils

dépassent nos limites ? » organisé à l’occasion de Rencontres de la bienveillance éducative, 12-14 mai 2017.

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Enfin, soulignons que les parents interrogés sur les pratiques des professionnels qui prennent en charge leurs enfants (assistante maternelle, puéricultrice, baby-sitter, professeur des écoles) se déclarent fréquemment résolument hostiles à la possibilité que ces derniers utilisent des formes de sanctions physiques éducatives dans le cadre de ce mandat professionnel, quand bien même ces enquêtés expriment par ailleurs une certaine tolérance vis-à-vis de ces gestes. Nous reviendrons infra sur cet aspect, mais il est probable qu’il soit lié au fait que la tolérance résiduelle dont bénéficient les sanctions physiques est désormais strictement bornée par des conditions de possibilité particulières (avoir agi sous le coup de l’émotion, d’une part, poser des limites à son enfant et faire respecter une certaine hiérarchie intrafamiliale, d’autre part), qui ne sont pas remplies dans le contexte concerné :

« ELLE N’A PAS A TAPER MON ENFANT »

« -Toi t’accepterais que l’institutrice des fois elle ait des gestes un peu… qu’elle donne des petites fessées à A. ou... ?

-Non, ça c’est clair et sûr et non. J’accepterais pas. […] Elle n’a pas à faire ça. Je suis radicale là-dessus, elle n’a pas à taper mon enfant, c’est sûr que non. […] Parce que c’est pas à elle de faire ça, non. Enfin c’est à personne, mais j’veux dire...en tant que professionnel t’as pas le droit de faire ça. À la limite ils disent aux parents et c’est plutôt aux parents d’appliquer les sanctions. […] Je trouve qu’en tant que professionnel, on doit se maitriser nous-même et pas réagir comme ça, non. Non non non. On doit aussi avoir le contrôle de… même si on est très énervé bah on passe le relais à quelqu’un ou on essaye de faire autrement ou d’aller se calmer avant de parler à l’enfant, mais on doit pas passer au geste »113.

1.3. Ambivalentes expériences vécues dans l’enfance, du modèle à l’empreinte

Trois discours différents ont pu être identifiés en ce qui concerne l’expérience faite par les enquêtés de châtiments reçus dans leur enfance et l’incidence éventuelle qu’il est possible de leur attribuer dans les sanctions physiques éducatives qu’ils sont à leur tour susceptibles d’administrer. Le premier registre, assez récurrent dans notre corpus, revient à considérer que ces gestes (dont ils ont pour la plupart fait l’expérience) n’ont pas laissé une trace particulièrement douloureuse par- devers eux ; celui-ci fonctionne aussi fréquemment comme une source de légitimation en ce qui concerne leur propre comportement : « Je me dis que des fois, bon… une gifle, une claque, une fessée, c’est pas non plus... Enfin, en tout cas moi ça me semble pas être quelque chose…J’ai été petit, j’en ai pris, j’en garde pas un mauvaise souvenir. Ça m’a pas traumatisé. Je pense que même, c’était sans