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Les recherches comportementales avec des véritables mots

II. Les preuves empiriques du symbolisme phonétique

II.2. Les recherches expérimentales

II.2.2. Les recherches comportementales avec des véritables mots

II.2.2.1. Le travail sur les antonymes

L’étude de Roger Brown, Abraham Black et Arnold Horowitz (1955) ouvre ce champ de recherche. Les chercheurs présentent à un panel d’anglophones des paires d’antonymes évoquant des expériences sensorielles (comme le chaud et le froid) traduits dans trois langues différentes – l’hindi, le chinois et le tchèque. Les participants doivent retrouver les traductions des paires antonymiques présentées en anglais dans les trois autres langues. Les paires des langues inconnues sont d’abord présentées comme des stimuli acoustiques et les participants réussissent à retrouver les bonnes traductions dans les trois langues avec une fréquence supérieure au hasard. Les pourcentages de réussite sont de 59,6 % pour l’hindi, 58,9 % pour le chinois et 53,7 % pour le tchèque. Dans un second temps, les paires antonymiques sont présentées à l’écrit seulement, comme des stimuli visuels. Les résultats sont encore plus

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probants puisque les taux de réussite augmentent : 61,9 % pour le tchèque et le chinois et 60,7 % pour l’hindi. L’une des explications potentielles est que les paires antonymiques présentent des formes de phonosymbolisme auxquelles les participants sont sensibles.

De la même manière, Shirou Kunihira (1971) recrute des étudiants américains et leur fait deviner le sens de paires antonymiques japonaises. Les paires sont présentées de trois manières différentes : à l’écrit uniquement, à l’oral avec un ton monotone et oralement avec un ton expressif. Dans chacune des trois conditions, les participants réussissent à deviner à un niveau supérieur au hasard le sens des paires antonymiques. Dans la condition orale avec un ton expressif, les résultats sont toutefois plus significatifs que dans les deux autres conditions.

L’étude de Kate Revill et al. (2014), même si elle utilise un protocole classique basé sur les antonymes, fournit un apport considérable grâce à l’utilisation de techniques d’imagerie cérébrale. L’équipe travaille avec 4 paires d’antonymes ({petit : grand}, {rond : pointu}, {statique : mobile} et {rapide : lent}) et leurs traductions dans 10 langues différentes (l’albanais, le néerlandais, le gujarati, l’indonésien, le coréen, le mandarin, le roumain, le tamoul, le turc et le yoruba). Les participants doivent d’abord associer correctement les paires d’antonymes anglais aux paires de langues étrangères. Quand un minimum de 80 % des participants réussit à réaliser l’exercice, les paires sont étiquetées « phonosymboliques », dans le cas contraire, elles sont dites « arbitraires ». Après cette première étape, 15 sujets sont sélectionnés pour réaliser une expérience avec une technique d’IRMF (Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle). Cette technique permet de photographier, à un instant t, l’intensité du travail des différentes zones cérébrales. Les participants écoutent des mots, catégorisés en amont « phonosymboliques » ou « arbitraires » et l’IRMF montre que cela active différentes zones du cerveau (zone liée à l’ouïe, l’aire de Broca, etc.), indépendamment de l’iconicité du mot entendu. Toutefois, un secteur du cortex pariétal supérieur gauche ne s’active qu’à l’écoute des mots phonosymboliques et le fascicule longitudinal supérieur gauche ne s’active que si les individus sont sensibles aux indices iconiques du mot entendu. Cette étude semble donc isoler un corrélat neurophysiologique de l’expérience du symbolisme phonétique.

Une étude plus récente de Kaitlyn Bankieris et Julia Simner (2015) utilise un protocole similaire même si l’objectif est un peu différent. En effet, les chercheuses se basent sur les études précédentes montrant que des locuteurs peuvent deviner le sens de mots inconnus grâce au symbolisme phonétique mais leur but est davantage d’expliquer la cause du phénomène que de renouveler l’expérience. Elles examinent la possibilité que le symbolisme phonétique puisse être véhiculé par les mêmes types de mécanismes transmodaux que ceux caractérisant les

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expériences synesthésiques. Leur hypothèse de départ est donc que les synesthètes parviendront mieux à retrouver les sens de mots étrangers que les non-synesthètes. Pour valider leur hypothèse, elles recrutent 19 synesthètes et 57 non-synesthètes anglophones. Elles créent une base d’adjectifs de 4 domaines sémantiques différents ({petit : grand}, {lumineux : sombre}, {haut : bas} et {silencieux : bruyant}) dans 10 langues inconnues des participants (les mêmes que dans l’étude de K. Revill et al. (2014)). Les participants sont invités à deviner le sens de chaque mot dans une tâche à choix forcé à deux alternatives. Les deux groupes réussissent la tâche avec un niveau supérieur au hasard, les meilleures performances sont obtenues dans les domaines sémantiques {petit : grand} puis {silencieux : bruyant}. Autre point intéressant pour ces deux domaines sémantiques, qui confirme l’hypothèse initiale des chercheuses, les synesthètes sont significativement meilleurs que les autres participants pour deviner le sens des mots. Ils le sont aussi pour les domaines {lumineux : sombre} et {haut : bas} mais la différence n’est pas significative.

II.2.2.2. Le travail sur les idéophones

À côté des études qui travaillent sur les adjectifs antonymiques, on trouve un panel de recherches qui se base sur les idéophones49, une partie du discours hautement motivée.

La première étude que nous présenterons dans cette sous-partie est celle de Hiromi Oda (2000). Dans cet ouvrage, des participants anglophones doivent deviner, à travers des tâches à choix forcé, le sens d’idéophones japonais. Les participants sont séparés en deux groupes. Dans le premier, ils entendent un japonais prononcer les idéophones et sont invités à se concentrer sur le son produit avant de réaliser leur tâche. Dans le second, un japonais prononce également les idéophones mais on leur demande de les prononcer à leur tour avant de commencer. Après cette étape, deux protocoles leur sont proposés : soit on leur donne une définition en anglais et ils doivent retrouver, parmi trois idéophones, lequel est le bon ; soit ils doivent apparier une paire d’idéophones à une paire de définitions. Pour les deux groupes, le taux de réussite est supérieur à ce que le hasard permettrait. Toutefois, le groupe ayant prononcé les idéophones s’est avéré meilleur que celui les ayant simplement entendus, suggérant une importance de l’articulation dans les mécanismes iconiques. L’étude montre par ailleurs un meilleur taux de réussite quand les idéophones expriment des sons (c’est-à-dire quand ils fonctionnent comme des onomatopées) que lorsqu’ils sont liés à une autre modalité sensorielle.

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Deux études de Noriko Iwasaki et al. (2007a, 2007b) s’intéressent aux idéophones japonais exprimant la douleur, le rire et les manières de marcher. Dans les deux études, des participants anglophones et des japonophones sont recrutés. On leur demande d’évaluer plusieurs idéophones sur différentes échelles sémantiques dont voici trois exemples : {intense : faible} pour la douleur, {élégant : vulgaire} pour le rire et {gracieux : lourd} pour la marche. Les résultats montrent que certaines propriétés phonosymboliques sont translinguistiques quand d’autres sont spécifiques à chaque langue. Pour les idéophones de la douleur, la réduplication est interprétée de manière similaire chez les anglais et les japonais mais seuls les japonais sont sensibles à la sonorité de la consonne sonore initiale indiquant une douleur plus intense qu’une consonne sourde. Pour les idéophones désignant les rires, les évaluations sont également globalement similaires. Par exemple, les formes contenant /a/ sont jugées plus drôles et plaisantes que les autres. En revanche, la sensibilité aux idéophones des manières de marcher s’est avérée différente pour les deux groupes de participants.

Un protocole similaire avec une tâche à choix forcé binaire est mené par Mark Dingemanse et son équipe (2016) avec 82 locuteurs allemands. Les idéophones utilisés proviennent de cinq langues différentes (le japonais, le coréen, le semai, le siwu et l’ewe) et couvrent plusieurs modalités sensorielles (la vue, la forme, le son, la texture et le mouvement). Ils sont présentés auditivement de quatre manières différentes : (1) prononcés par une voix humaine, (2) par une voix de synthèse, (3) par une voix de synthèse ne conservant que les phonèmes sans la prosodie et (4) par une voix de synthèse ne conservant que la prosodie. Comme pour les études précédentes, les participants réussissent, avec un niveau supérieur au hasard, à retrouver les significations des idéophones étrangers dans les quatre conditions. Toutefois, les meilleurs taux de réussite sont observés dans les conditions (1) et (2), suggérant que le niveau phonologique et le niveau prosodique fonctionnent de manière complémentaire dans les processus iconiques. En outre, c’est pour les idéophones liés au domaine sensoriel du son (c’est-à-dire pour les onomatopées) que les participants sont les meilleurs pour retrouver les significations.

L’étude de Maki Sakamoto et Junji Watanabe (2018) est différente des précédentes dans la mesure où elle utilise, dans un premier temps, un protocole implicite de génération de mots. Dans celle-ci, 15 participants japonais doivent nommer différentes sensations tactiles. Pour cela, ils touchent différents matériaux (du papier, du sable, du verre, du caoutchouc, etc.) et leur donnent un nom en utilisant au choix, un idéophone, un pseudo-mot idéophonique inventé ou un adjectif. Pour décrire ces sensations tactiles, les participants ont majoritairement eu recours

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aux idéophones plutôt qu’aux adjectifs et 80 % d’entre eux étaient attestés en japonais50. Après cette première étape, les chercheurs demandent aux mêmes personnes d’évaluer sur une échelle de 1 à 7 les noms donnés aux sensations au moyen de huit paires d’adjectifs ({confortable : inconfortable}, {rugueux : lisse}, {chaud : froid}, etc.). Ils analysent ensuite les relations entre ces évaluations et les noms récoltés à plusieurs niveaux de précision phonologique (la syllabe, le phonème et le trait distinctif), en se limitant à l’analyse de la première syllabe. En résumé, les résultats montrent les liens suivants : au niveau vocalique, on a une corrélation sur le lieu d’articulation puisque les noms contenant une voyelle postérieure ont reçu des évaluations plus positives que les noms ayant des voyelles antérieures ou centrales ; au niveau des consonnes, on a une première corrélation établie sur le trait distinctif de la sonorité ([sourd : sonore] ≈ {dur : mou}), ensuite, les occlusives bilabiales /p/ et /b/ et la nasale /n/ sont souvent reliées à des sensations douces, collantes et humides alors que l’affriquée /ts/ et la vélaire /k/ sont perçues plus dures, glissantes et sèches.

II.2.2.3. Le travail sur les noms propres

Une revue des acquis dans le domaine des noms propres et des explications sur les mécanismes sous-jacents sont fournies par Davis Sidhu et Penny Pexman dans un article très récent de 2019 intitulé « The Sound Symbolism of Names ». Les corrélations établies lient essentiellement des propriétés phonologiques à deux domaines sémantiques : le genre {féminin : masculin} et la forme {arrondi : pointu}.

L’une des premières études à s’intéresser à l’iconicité dans les noms propres est celle menée par Kimberly Cassidy, Michael Kelly et Lee'at Sharoni en 1999. Nous ne présenterons ici que l’expérience 4 (1999 : 371-374) à laquelle 31 personnes de l’université de Pennsylvanie ont participé. Leur but est de classer 200 prénoms en fonction de leur genre. Les prénoms sont divisés en quatre catégories croisant deux facteurs : le genre (féminin et masculin) et la phonologie (typique ou atypique). Des études préalables ont en effet permis de mettre à jour les propriétés phonologiques typiques des prénoms masculins (souvent monosyllabiques et se terminant par une occlusive) et féminins (souvent plurisyllabiques et ayant un taux plus important de /a/ en finale) et ont montré que les anglophones reconnaissent ces propriétés. Les

50 Le recours massif aux idéophones japonais est la raison pour laquelle nous avons choisi de présenter cette étude dans cette sous-section plutôt que dans celle des expériences phonosymboliques tactiles réalisées avec des pseudo-mots (II.2.1.5.).

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résultats montrent que les participants font moins d’erreurs et sont plus rapides pour catégoriser les prénoms en fonction de leur genre quand la phonologie de ceux-ci est typique. Le taux de réussite à la tâche est en effet de 96 % contre 90 % quand la phonologie est atypique.

Une corrélation avec le genre est également démontrée dans les expériences 4 à 7 de la recherche susmentionnée de Michael Slepian et Adam Galinsky (2016 : 515-519). La corrélation est la même que celle mise à jour dans les études descriptives des prénoms, c’est-à-dire que les phonèmes initiaux [sourd : sonore] sont liés aux traits {féminin : masculin}.

D. Sidhu et P. Pexman (2015) regardent si l’effet bouba-kiki, démontré jusqu’à présent avec des pseudo-mots, s’étend aux stimuli lexicaux existants et en particulier aux noms propres. Trois expériences sont menées en ce sens. Pour les expériences 1A et 1B, ils recrutent respectivement 53 et 34 étudiants de l’université de Calgary. Au niveau des stimuli, ils utilisent 20 prénoms divisés en quatre catégories croisant chacune deux facteurs : le genre des prénoms ({féminin : masculin}) et l’acuité des phonèmes ({pointu : arrondi}). Pour ce second facteur, ils se basent sur des études précédentes du paradigme bouba-kiki et considèrent que certains phonèmes sont associés à la rondeur (/b/, /l/, /m/, /n/, /u/, /o/) alors que d’autres sont pointus (/k/, /p/, /t/, /i/, /e/). Ils utilisent également des silhouettes arrondies et angulaires pour les stimuli de forme. Ils demandent ensuite aux participants de nommer les deux silhouettes grâce aux prénoms sélectionnés. Plusieurs corrélations sont démontrées. D’abord, les prénoms contenant plus de phonèmes pointus vs. arrondis sont significativement associés aux silhouettes angulaires

vs. arrondies. Ensuite, les chercheurs notent que les participants associent davantage les

prénoms féminins à la silhouette ronde et les prénoms masculins à la silhouette angulaire et que cette préférence se retrouve à l’intérieur même du lexique. En effet, ils prouvent que les prénoms féminins contiennent un taux plus élevé de phonèmes ronds alors que les prénoms masculins contiennent un taux plus élevé de phonèmes pointus. Dans l’expérience 2, ils demandent à 32 étudiants de la même université de donner des adjectifs décrivant une personne à la personnalité « pointue » vs. « ronde ». Les plus fréquents sont retenus et on demande ensuite aux sujets de donner un prénom (parmi une liste effectuée selon des critères phonétiques) à une personne dont le caractère serait dépeint par ces adjectifs. Les adjectifs décrivant des personnalités rondes vs. pointues se sont vus attribuer des prénoms contenant analogiquement plus ou moins de phonèmes ronds vs. pointus.

Ainsi, l’expérience de 2015 a notamment permis de démontrer que l’effet bouba-kiki perdure sur des locuteurs anglais quand on remplace les pseudo-mots par des prénoms anglais, devenant de ce fait l’effet Bob-Kirk. En 2016, l’étude de David Sidhu, Penny Pexman et Jean

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Saint-Aubin apporte de nouveaux acquis grâce à quatre expériences. La première montre que l’effet Bob-Kirk fonctionne également sur des locuteurs français et qu’il est donc translinguistique. La deuxième montre que l’effet résiste si on utilise des prénoms français plutôt que des prénoms anglais. La troisième et la quatrième montrent que l’effet demeure si les modalités de présentation des stimuli changent. Les prénoms peuvent être écrits avec des polices angulaires ou arrondies ou n’être présentés qu’à l’oral.

La dernière étude que nous mentionnerons dans cette partie revêt un caractère particulier puisqu’elle est la première à présenter une conséquence sociale de l’effet bouba-kiki. Cette étude est menée en 2018 par David Barton et Jamin Halberstadt et comporte 5 expériences. Nous détaillerons ci-dessous les résultats des expériences 3 et 5, qui nous semblent les plus importantes pour notre propos. Pour l’expérience 3, les stimuli sont 80 prénoms51, d’une part, et 40 photographies de visages plus ou moins ronds, d’autre part. Les chercheurs montrent que les participants donnent préférentiellement des prénoms contenant des phonèmes arrondis aux visages ronds et des prénoms contenant des phonèmes pointus aux visages angulaires. Par ailleurs, ils constatent que les participants préfèrent les visages-cibles quand ceux-ci sont congruents avec la phonologie du prénom. Grâce à l’expérience 5, ils illustrent l’impact social que peuvent provoquer leurs résultats. En effet, leur expérience montre que des candidats aux élections sénatoriales américaines gagnent 10 % de vote supplémentaire quand leur visage est en adéquation avec leur prénom.

À première vue, les résultats de l’étude de M. Slepian et A. Galinsky et des études de D. Sidhu et P. Pexman peuvent sembler contradictoires. Pour rappel, dans la première, les chercheurs démontrent la corrélation entre les consonnes [sourdes : sonores] et les traits {féminin : masculin} alors que les autres démontrent un lien entre les phonèmes [arrondis : pointus] et les traits {féminin : masculin}. Or, les consonnes sourdes sont plus « pointues » et les consonnes sonores plus « arrondies ». Toutefois, plusieurs différences méthodologiques sont à souligner, expliquant probablement ces différences dans les résultats. D’abord, l’étude de M. Slepian et A. Galinsky ne s’intéresse qu’aux phonèmes consonantiques initiaux de leurs stimuli alors que les études de D. Sidhu et P. Pexman analysent la phonologie globale des prénoms (consonnes et voyelles dans toutes les positions – initiale, médiane et finale). Ceci constitue une première différence majeure : les corrélations établies ne se basent pas sur des données phonogiques similaires, ce qui ne permet pas une comparaison directe entre les deux

51 Grâce aux études précédentes, on sait que certains phonèmes sont liés à la rondeur et d’auteur à l’angularité (cf. paradigme maluma-takete).

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résultats. Ensuite, les études de D. Sidhu et P. Pexman appartiennent au champ des études du paradigme bouba-kiki. Ils utilisent des prénoms féminins et masculins et demandent aux participants de les associer à des silhouettes rondes vs. pointues, par exemple. La perspective est différente chez M. Slepian et A. Galinsky puisque les chercheurs utilisent des pseudo-mots, présentés comme des prénoms, et demandent aux participants de leur donner un genre. On ne se place donc pas dans le même paradigme de recherche et cela peut aussi influer énormément sur les résultats. Ainsi, même si les résultats des études présentent des contradictions apparentes, les différences méthodologiques empêchent une comparaison directe et permettent à chacune des études de conserver la crédibilité de ses données. Il pourrait être intéressant de réaliser une nouvelle étude pour voir quel trait prime entre la sonorité [sourd : sonore] et la forme [arrondi : pointu] pour désigner le genre des prénoms {féminin : masculin}.

II.2.2.4. Le travail sur des corpus plus vastes

Dans cette sous-section, deux des travaux présentés sont particulièrement détaillés car ils ont servi de base pour notre propre recherche. En effet, la troisième partie de cette thèse comprend un protocole expérimental original sur le français grandement inspiré des travaux sur l’espagnol et l’anglais de Lynn Perry, Marcus Perlman et Gary Lupyan (2015) et de Bodo Winter et al. (2017). Au vu de leur importance, nous les présenterons en dernier et nous commençons donc par la recherche de Jamie Reilly, Jinyi Hung et Chris Westbury (2017). Cette étude s’intéresse à la corrélation entre la dimension phonologique de la taille des mots et la dimension sémantique {concret : abstrait}. Les auteurs créent d’abord un corpus de 400 mots reconnus comme concrets ou abstraits et les traduisent dans 8 langues différentes (russe, arabe, néerlandais, mandarin, hindi, coréen, hébreu et langue des signes américaine – LSA). La première partie de leur étude est purement descriptive52. En effet, ils analysent les mots de leur corpus grâce à deux critères phonologiques – le nombre de syllabes et la durée acoustique – qu’ils croisent avec le critère sémantique {concret : abstrait}. Ils aboutissent à la conclusion que, dans 5 langues sur 8 (russe, hindi, néerlandais, hébreu et LSA), les mots concrets et abstraits diffèrent par la taille. Pour les 4 premières, on a [court : long] ≈ {concret : abstrait}, pour la LSA, c’est l’inverse. La seconde étape de l’étude relève de la recherche expérimentale puisque les auteurs demandent à 56 anglophones de juger du caractère concret ou abstrait des

52 À ce titre, nous aurions pu présenter cette étape du protocole dans la partie II.1. mais, pour plus de clarté, nous avons choisi de décrire l’intégralité de l’étude ici.

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mots des langues inconnues. Pour cela, après s’être familiarisés aux différentes langues en les entendant un moment, un mot leur est présenté et ils doivent répondre par « oui » ou « non » à la question « Can you see, hear, smell, taste or touch this ? » (2017 : 1177). Le taux de bonnes réponses est supérieur au hasard pour 4 langues (russe, néerlandais, hindi et LSA), suggérant que les locuteurs sont sensibles à la corrélation précédemment démontrée.

La recherche de 2015 de L. Perry et al. (2015) s’intéresse à la perception de l’iconicité dans le lexique anglais et espagnol par les locuteurs de ces langues. Les auteurs conduisent 5 expériences montrant que, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, la