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II. Enjeux de l’enquête

II.2. Autres perspectives visées

II.2.1. Sur la motricité et les parties du corps

Grâce aux questions 2 et 4, nous souhaiterions mener le même type de travail que sur le lien entre sensorialité et iconicité en se basant cette fois sur l’hypothèse d’une connexion entre motricité et iconicité. Nous souhaiterions aller plus loin en analysant la possible relation iconique et/ou indexicale entre le signifiant des formes verbales et les parties du corps nécessaires pour réaliser le procès dénoté par le verbe.

À nouveau, ces enjeux n’ont pas émergé ex nihilo, ils se fondent sur des données préalables démontrant une connexion étroite entre iconicité et motricité dont voici une brève synthèse.

D’abord, l’expérience de B. Winter et al. (2017) elle-même donne du crédit à cette hypothèse grâce aux résultats obtenus sur la relation entre iconicité et les différentes parties du discours. Pour rappel, en anglais, après la catégorie des onomatopées et des interjections, celle qui contient le plus de formes iconiques est celle des verbes. Puisque les verbes dénotent des procès, et que certains d’entre eux dénotent des actions, ils constituent la partie du discours la

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plus proche de la thématique de la motricité. Par exemple, les formes verbales « marche », « saute », « danse », « prend », etc., impliquent bien toute un mouvement corporel.

Les études sur les idéophones peuvent également être exploitées dans ce cadre. En effet, si l’on reprend la hiérarchie établie par M. Dingemanse (2012 : 663), on constate que ce sont les idéophones dépeignant le mouvement qui arrivent en deuxième position. Pour illustrer cette catégorie sémantique, on peut mentionner quelques idéophones japonais : pyon-pyon « sauter »,

choki-choki « couper », musha-musha « mâcher », etc. Si le mouvement possède bien une

dimension sensorielle, il est avant tout lié à la motricité. Cette dernière entretient donc un rapport particulier avec l’iconicité.

De même, une partie des recherches expérimentales effectuées avec des pseudo-mots s’intéresse au mouvement (cf. partie II.2.1.6.) et atteste de nombreuses corrélations phonosymboliques dans ce domaine.

Plusieurs études neurologiques vont également en ce sens (cf. parties I.1.4. et IV.4.) en démontrant un corrélat neurophysiologique entre la motricité (notamment manuelle) et le langage.

Enfin, plusieurs études susmentionnées mettent à jour une tendance des langues à utiliser des consonnes homo-organiques pour désigner les organes phonatoires (M. Urban, 2011 ; D. Blasi et al., 2016). Cela semble indiquer une corrélation de type indexical, qui appartient également au domaine du symbolisme phonétique.

Grâce à ces données convergentes, nous pouvons faire l’hypothèse que le taux d’iconicité dans les formes verbales liées à la motricité sera supérieur à celui recensé dans les autres domaines sémantiques (sans compter la sensorialité pour les raisons précédemment décrites). Nous souhaiterions même aller plus loin grâce aux autres domaines sémantiques présents dans la question. En effet, ceux-ci sont analogues aux catégories présentées dans la hiérarchie de M. Dingemanse et nous pourrions ainsi comparer les taux d’iconicité obtenus dans chaque domaine sémantique pour voir si l’ordre est similaire à celui proposé par M. Dingmanse. Enfin, nous ne pourrons pas tenter de répliquer les travaux de M. Urban car notre corpus ne comprend que des verbes et exclut ainsi les noms désignant les organes phonatoires mais nous pouvons émettre l’hypothèse d’un lien entre les parties du corps nécessaires pour réaliser une action et la phonologie des formes verbales. On peut ainsi se demander si un phonème ou un trait distinctif est particulièrement représentatif des actions réalisées avec la main ou le bras, par exemple.

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II.2.2. Exploration du lien entre iconicité et les autres domaines sémantiques

Puisque notre questionnaire permet de récolter des données sur trois autres domaines sémantiques – « état et changement d’état », « sentiment » et « psychisme », nous examinerons les liens éventuels entre l’iconicité et ces domaines. Pour ce qui est des domaines « sentiment » et « psychisme », certaines démarches expérimentales (cf. partie II.2.1.7.) et certaines études descriptives (cf. partie II.1.2.4.) montrent qu’il existe un lien entre certains traits phono-articulatoires et certaines émotions. Toutefois, elles sont encore peu représentatives des études sur le symbolisme phonétique. Nous formulons l’hypothèse que, contrairement aux domaines sémantiques de la sensorialité et de la motricité, les domaines des sentiments et du psychisme seront moins directement liés à l’iconicité. Nous verrons si cette hypothèse est confirmée par la suite. Pour le domaine des états et des changements d’état, nous n’avons pas d’hypothèse préconçue car aucune étude à notre connaissance n’utilise cette catégorie sémantique dans une perspective d’analyse phonosymbolique. Il est par ailleurs plus difficile d’opposer cette catégorie aux autres et de tirer des hypothèses à partir des premières formulées. Nous adopterons ici une démarche exploratoire pour voir s’il existe ou non un lien entre les deux facteurs qui nous intéressent.

II.2.3. Sur les paires d’adjectifs antonymiques

L’enjeu de la question 6 est de prouver que les phénomènes iconiques existent dans le lexique verbal français. Les questions 2 et 3 sont, quant à elles, destinées à les situer dans certaines poches sémantiques. Toutefois, aucune ne nous permet de comprendre précisément ce qui est iconique au sein de la matérialité phonique. À ce stade, nous ne pouvons pas savoir quels phonèmes ou quels traits distinctifs font sens. C’est tout l’enjeu de la cinquième question de répondre à ces interrogations. Nous avons imaginé un protocole original basé sur plusieurs paires d’adjectifs antonymiques. La plupart de ces paires sont directement issues de la littérature expérimentale sur le phonosymbolisme ({petit : grand}, {rapide : lent}, {positif : négatif}, etc.). D’autres sont tirées des sens connotatifs des paires primaires. Par exemple, l’idée d’utiliser la paire {haut : bas} vient de la polarité {antérieur : postérieur}. En effet, on peut voir une analogie entre {haut} et {antérieur} et entre {bas} et {postérieur} notamment en comparant les bipèdes et les quadrupèdes : ce qui est en haut chez les bipèdes est en avant chez les quadrupèdes et réciproquement. Enfin, certaines polarités reprennent simplement les oppositions articulatoires du système phonologique français ({avant : arrière} pour [antérieur : postérieur], {continu :

154 discontinu}, {ouvert : fermé}, etc.).

Ainsi, pour chaque paire d’adjectifs proposée, nous connaissons les phonèmes et les traits distinctifs associés iconiquement grâce à la littérature préexistante. Nous allons croiser ces données sémantiques avec les données phonologiques des formes du corpus pour voir si l’on retrouve dans le lexique verbal certaines corrélations iconiques déjà attestées ou s’il en émerge de nouvelles. Pour cela, nous prenons l’ensemble des formes verbales évaluées sur chaque paire d’adjectifs80 et nous les trions en fonction de leurs différentes propriétés phonologiques. Par exemple, nous prenons tous les verbes pour lesquels la paire {rapide : lent} a été jugée pertinente et nous regroupons, parmi ces verbes, ceux qui contiennent une consonne initiale sourde vs. une consonne initiale sonore. Nous comparons ensuite les moyennes obtenues au moyen d’un test de student dans les sous-catégories phonologiques pour voir s’il existe une tendance statistiquement significative dans le lexique verbal à associer certaines significations à certaines propriétés phonologiques. Ainsi, on pourrait, par exemple, être en mesure de dire que les verbes qui débutent par une consonne sourde ont une tendance significative à avoir le sens {rapide} et que les verbes débutant par une sonore ont une tendance significative à être {lent}. Ceci se retrouverait par ailleurs dans la littérature expérimentale sur le symbolisme phonétique (M. Chastaing, 1964 ; N. Saji et al., 2013) et l’on pourrait ainsi émettre l’hypothèse raisonnable que la corrélation phonosymbolique [sourd : sonore] ≈ {rapide : lent} se retrouve dans le lexique verbal du français. Nous adopterons une perspective exploratoire en croisant les données sémantiques de chaque paire d’adjectifs aux sous-catégories phonologiques utilisées dans la deuxième partie.