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III. Étude des savoirs à enseigner de référence

III.1. Les raisons d’enseigner le calcul additif et soustractif

Tournès24 (2007) émet l’hypothèse que certains enseignants du primaire sont peu attachés au calcul sous toutes ces formes (mental, instrumenté et posé) car ils méconnaissent le rôle essentiel du calcul dans le développement des mathématiques, tant pour la création de nouveaux concepts abstraits que dans l’application en retour des mathématiques à la réalité. Il donne alors des repères historiques qui permettent de saisir l’évolution du calcul et de sa nature et retrace l’histoire de quelques calculs célèbres effectués par des mathématiciens de génie comme Newton, Gauss et Connes, médaille Fields en 1982.

L’expression « calcul » vient, selon lui, du mot latin “ calculus ” qui renvoie aux cailloux que les romains utilisaient pour compter. Bien avant les Romains, les Babyloniens utilisaient également des cailloux, comme en témoignent les premières traces de comptage, contemporaines de l’invention de l’écriture, vers 3000 ans avant J.-C. Le calcul, fort de cette origine, est de nos jours encore, souvent associé au dénombrement de quantités discrètes (calcul sur les nombres entiers naturels) et à la mesure des grandeurs (calcul sur les fractions, sur les nombres décimaux et sur les nombres sexagésimaux). Cependant, une seconde approche, à travers les siècles, plutôt interne aux mathématiques s’est développée. Tournès, l’évoque en partant d’une proposition de définition élaborée par Rouche (2007) :

« Calculer, c’est combiner des symboles suivant des règles dans un but déterminé. » (Rouche, 2007, p.679)

Cette définition a l’avantage de s’appliquer à différents types de calculs (calcul numérique, calcul algébrique, calcul tensoriel, calcul matriciel, calcul intégral, etc.) qui opèrent sur différents ostensifs (symboles). Elle permet aussi de distinguer deux aspects du calcul. Le premier qui consiste à choisir et ordonner les opérations pour arriver à la solution du problème, et le second qui consiste à effectuer le calcul en respectant et en appliquant des règles. C’est sur l’explicitation de ces règles et la mise en avant des savoirs mathématiques en jeu dans un calcul que nous allons revenir dans le paragraphe suivant, en évoquant un principe fondateur, celui de la valence épistémique du calcul pour motiver l’enseignement de celui-ci.

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III.1.1. La valence épistémique du calcul

Artigue (2005) convoque ce qu’elle définit comme étant l’intelligence du calcul en ces termes :

« Associer intelligence et calcul peut sembler à première vue étrange, le mot « calcul » renvoyant plus communément à une activité mécanique, automatisable, de plus en plus déléguée d’ailleurs à des machines. C’est avoir là, me semble-t-il, une vision très restrictive de ce que constitue réellement l’activité de calcul en mathématiques, de la diversité de ses facettes, des formes d’intelligence qu’elle nécessite, qu’il s’agisse de choisir les représentations des objets les mieux adaptées aux calculs que l’on souhaite mener, d’organiser et gérer ce calcul dès qu’il ne relève pas de la simple routine, d’en anticiper, interpréter ou contrôler les résultats » (Artigue, 2005, p.1)

Son analyse permet de distinguer, en premier lieu, le calcul au sens courant, que l’on exécute avec ou sans calculatrice, non pas à des fins propres mais pour trouver un résultat. C’est le calcul qui permet à la boulangère de rendre la monnaie, le calcul qui permet au banquier d’octroyer un prêt, le calcul que chacun exécute au plus vite et sans erreur, en mettant en œuvre ses compétences calculatoires. Cette activité est tellement banalisée, répandue qu’on a tendance à occulter l’activité de calcul en mathématiques. Or, cette activité est riche, et revêt plusieurs facettes. Nous mentionnons, pour commencer, celle qui consiste à résoudre un calcul comme on résout un problème.

Pour développer cette idée, nous pensons à une situation de classe où un maître de Cycle III, deuxième année demande à ses élèves, qui ne connaissent pas encore la technique de la multiplication par un nombre à deux chiffres mais connaissent la technique de la multiplication d’un nombre par un nombre à un chiffre et savent multiplier par dix, de trouver le résultat de 45×89. Oui, il y a intelligence de calcul quand l’élève pense que multiplier 45 par 89, c’est multiplier 45 par 90 et soustraire 45. Il y a aussi intelligence du calcul si l’élève pense à multiplier 45 par 80 et à ajouter au résultat le produit de 45 par 9. Dans les deux cas, l’élève a « choisi les représentations des objets les mieux adaptées aux calculs », dans le premier cas, il a décomposé 89 en 90 ─ 1, dans le second, il a décomposé 89 en 80 + 9. Ces choix, en l’occurrence, ne sont pas exhaustifs, il aurait aussi pu considérer 45 comme le produit de cinq par neuf et utiliser ensuite l’associativité de la multiplication en calculant : 9 × (5 × 89). Il a ensuite « organisé et géré ce calcul » en combinant plusieurs opérations qu’il maitrisait.

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« le rôle que joue le calcul dans la conceptualisation des objets mathématiques qu’il engage, l’appréhension de son potentiel épistémique, au delà de son potentiel pragmatique de production de résultats». (Ibid., p.1)

En effet, les deux premières démarches proposées pour trouver 45×89 ont permis de « revenir » sur le sens de 89 . 89 correspond à huit dizaines et neuf unités ou encore à dix dizaines moins une unité. Le reste du calcul repose sur la distributivité de la multiplication sur l’addition et la soustraction. Le fait de décomposer le calcul, permet d’expliciter les propriétés des nombres et des opérations qui interviennent au-delà de la recherche du résultat. Cela renforce la valence épistémique du calcul.

En conclusion, le rôle primordial que joue le calcul dans la conceptualisation des objets mathématiques est un principe fondateur, qui motive l’enseignement du calcul à l’école élémentaire. Nous allons dans le paragraphe suivant, étudier au niveau local, celui du calcul additif sur les entiers naturels, un autre aspect qui renforce la nécessité d’étudier à l’école primaire le calcul additif et soustractif sur les entiers naturels.

III.1.2. La structure des situations additives

Vergnaud (1990) a établi une typologie des situations additives et mis ainsi, en évidence six catégories, à partir desquelles il est possible d’engendrer tous les problèmes d’addition et de soustraction de l’arithmétique élémentaire :

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Il insiste sur le fait que la rencontre d’un sujet avec un problème issu d’une classe spécifique n’évoque pas chez un individu tous les schèmes disponibles25. Dans le cas de la soustraction, Vergnaud (1990) établit que le rapport au sens se construit dans la durée. Pour le jeune enfant, la première conception correspondrait à une « diminution » d’une quantité initiale, par consommation, perte ou retrait. A partir d’une telle conception, il ne sera pas immédiat de comprendre, la soustraction comme un « complément », ou à l’inverse comme une « augmentation », comme une « comparaison » ou encore une « différence entre états successifs ». En effet, chacune de ces situations mobilise une conception différente, suppose un calcul relationnel distinct, et pourtant tous ces calculs aboutissent aux choix de la même opération arithmétique : la soustraction. Il montre aussi, l’importance des schémas comme représentations symboliques car ceux-ci facilitent la communication et permettent d’identifier des situations que les élèves distinguent, alors que la représentation algébrique fait perdre beaucoup d’informations, parce qu’elle identifie sous les mêmes signes +, − et = des concepts élémentaires relativement différents à la base.

Il suggère qu’il ne faut pas prendre pour objets d’étude des objets trop petits, mais bien au contraire des champs conceptuels assez larges :

« Un champ conceptuel étant défini comme un ensemble de situations, dont la maîtrise requiert une variété de concepts, de procédures et de représentations symboliques en étroite connexion.» (Vergnaud, 1989-1990, p.62)

Dans le cas du calcul soustractif, l’ensemble des situations ne met pas en jeu qu’un seul concept mais peut impliquer les concepts de mesure, de comparaison, de transformation, de nombre entier, d’abscisse et d’autres encore. Les procédures sont variées et peuvent prendre appui sur le dénombrement ou être imagées, calculatoires. Les représentations symboliques sont en étroite connexion. On peut associer à un diagramme sagittal, une addition, une soustraction ou une addition à trou. On peut aussi symboliser l’addition et la soustraction par les schémas présentés dans le tableau précédent, où on voit clairement apparaître l’état initial, l’état final et la transformation.

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Son approche permet de mettre en exergue deux éléments essentiels, celui de « situation » et celui de « schème ». Le premier, celui de situation est à entendre avec le sens qu’on lui accorde en psychologie. En se référant à cette science, on étudie les situations, indirectement, car, on étudie les processus cognitifs et les réponses du sujet qui sont fonction des situations auxquelles ils sont confrontés. Le second, le concept de schème, emprunté à Piaget, est une totalité organisée, qui permet de générer une classe de conduites différentes. Il comporte des invariants opératoires qui pilotent la reconnaissance par le sujet des éléments pertinents de la situation, et la prise d’informations sur la situation à traiter, des anticipations du but à atteindre, des règles d’action, des inférences.

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La classification des situations additives permet, entre autre, d’interroger les liens entre addition et soustraction au niveau même du calcul. Le lien, comme l’a montré Vergnaud, n’est pas immédiat et se construit suivant les individus, à plus ou moins long terme. Calculer, en cherchant à résoudre et réciproquement, n’est pas immédiat mais peut devenir, comme nous allons le voir dans l’étude qui suit, un des objectifs de l’enseignement du calcul mental ou en ligne.