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III. Étude des savoirs à enseigner de référence

III.3. L’utilisation des ostensifs

III.3.3. Les droites numériques

Teppo & Van den Heuvel-Panhuizen (2014) rappellent que les lignes de nombres « number lines », sont des éléments qu’il est fréquent de trouver dans le paysage scolaire de la maternelle au collège. Pour ces chercheurs, une ligne de nombres est un dispositif figuratif représentant des abstractions mathématiques particulières qui fonctionne avec différents types de nombres et permet de les penser. Il n'existe pas une omniprésente ligne de nombres qui correspondrait à toutes les tâches liées aux nombres. Toutefois, de nombreux enseignants, étant familiers avec seulement la ligne où les premiers nombres entiers naturels sont déjà en place, ne proposent que celle-ci et créent une dépendance qui occasionne des difficultés.

Les auteurs évoquent l’existence de cinq modèles de lignes de nombres et précisent sur quelle base, un modèle particulier est utilisé :

78 − 6 = 70 + 8 − 6 = 70 + 2 = 72

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« A particular number line model is part of a representational system organized to highlight patterns of relations among numbers and operations. Such a system consists of a set of representational units and labeling conventions, and a collection of rules that describes the ways of working within this representation. » (Teppo & Van den Heuvel-Panhuizen, 2014, p46)

Pour chaque modèle, ils précisent donc : (1) les caractéristiques visuelles, (2) le type de nombres concernés, (3) la façon dont les nombres et les opérations sont représentés, et (4) le support didactique qu'une ligne de nombres fournit.

▪ The filled number lines

La ligne de nombres ou droite numérique « remplie », que nous nommerons par la suite la droite numérique graduée (DNG), est caractérisée par des points équidistants, ou des graduations, qui représentent les nombres entiers. Cette droite numérique graduée permet des séquences de comptage, de positionnement de nombres et l’exploration de la relation d’ordre entre les nombres.

The empty number lines

La ligne de nombres vide, ou droite numérique vide (DNV) met l'accent sur les aspects d'ordre entre les nombres. Les points ou les graduations ne sont pas également espacés. A partir d'un segment de ligne vide, on peut montrer une stratégie de calcul. On part d'un point positionné librement sur une telle ligne, puis on dessine une séquence de sauts pour représenter visuellement les étapes de la réalisation d'un calcul particulier.

▪ The directed-length number lines

-3 -2 -1 0 1 2 3 17 25 83

0 1 2 3 4

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La ligne de nombres orientée avec la notion de mesure permet de représenter les nombres entiers relatifs en traçant des segments orientés à partir de l’origine. C’est un support pour montrer le résultat des additions et soustractions d’entiers relatifs.

▪ The rational number lines

La ligne des nombres rationnels, s’obtient en divisant l’intervalle unité en sous-intervalles égaux. Les nombres sont représentés comme des points ou des graduations. Cette ligne s’apparente à une droite numérique graduée (DNG). Elle permet des séquences de comptage, de repérage et soutient la mise en place des fractions et des fractions décimales.

▪ The proportional and double number line

La ligne de nombres proportionnelle avec double marquage se compose d'une seule ligne avec une double échelle qui affiche les points appariés. Elle sert pour raisonner sur une relation proportionnelle particulière entre plusieurs nombres.

En conséquence, les différentes formes de ligne mettent en avant les éléments fondamentaux, dans les conceptions sous-jacentes des nombres qui sont pris en charge. Nous ne nous intéressons, quant à nous, qu’aux deux premiers modèles, notre recherche étant limitée aux entiers naturels. Pour chacun de ces deux modèles, nous allons évoquer en détail certains résultats de recherche et expliquer en quoi ils nous permettent de nous positionner par rapport à l’emploi d’une ligne de nombres.

a) La droite numérique graduée

Beaucoup de recherches ont été conduites sur l’usage que les élèves faisaient de la filled number lines , que nous avons appelée la droite numérique graduée (DNG). Un des premiers résultats d’Ernest (1985) a été de montrer que l’utilisation de cet outil est loin d’être « évidente ».

0 27 108

0 9 36

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“It may also be that because the number line model can be used to represent enactive procedures employed by young children its use is taken to be self- evident to children. The above discussion suggests that this is not the case.’’ (Ernest, 1985, p. 422)

Diezmann, Lowrie & Sugars, (2010)37 confirment ce résultat en montrant que les élèves

rencontrent de véritables difficultés pour localiser correctement des nombres entiers, quand une partie des graduations n’est pas représentée sur la ligne de nombres. Pour Doritou & Gray (2009), les enseignants eux-mêmes n'ont pas toujours une profonde compréhension des affordances et des contraintes de représentation présentes dans l'utilisation de certaines lignes de nombres, qui sont spécifiques à un contexte de tâches. La droite numérique vide (DNG) est cependant un outil qui peut permettre aux élèves de trouver le résultat d’additions et de soustractions « simples » comme nous allons le voir, et qui offre d’autres possibilités, dont certaines nous semblent exploitables au cycle 3.

La droite numérique graduée (DNG) permet de retrouver le résultat d’une addition ou d’une soustraction d’un nombre par un nombre à un chiffre. Ernest (1985) prend l’exemple d’un fait élémentaire comme 3 + 5 et rappelle que Resnick et Ford montrent l'existence de trois techniques de calcul utilisées par les enfants :

La première technique dite du « counting all » consiste à déplacer un doigt ou un crayon d'abord de trois, puis de cinq à partir de trois. La réponse est lue à partir de la position finale qui est de huit. Les mouvements sont illustrés sur la figure suivante :

La figure 2.5 (b) présente un schéma simplifié du même processus. La figure 2.5(c) représente les mouvements d'un enfant qui compte les points sur la ligne de nombres, et illustre ainsi une variante de procédé.

Figure 2.5 : figures extraites de Ernest (1985, p.413)

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La deuxième technique dite du « counting on method » consiste à commencer au point marqué trois et à compter à partir de là, cinq de plus. Cette technique est illustrée sur la figure 2.5 bis :

Figure2.5 bis : figures extraites de Ernest (1985, p.414)

En utilisant cette technique, un enfant peut toucher le point marqué trois et ensuite effectuer cinq « bonds » pour arriver au point marqué huit. Ceci est illustré sur la figure 2.5 bis (a). Autrement, l'enfant peut toucher les cinq points au-delà du point marqué trois, pour arriver au point marqué huit. Ceci est illustré dans la figure 2.5 bis (b).

La troisième technique est une variante de la seconde. Pour calculer 3 + 5, l'enfant choisit le plus grand nombre, à savoir 5 et compte ensuite trois. Ceci est illustré sur la figure suivante :

Figure 2.5 bis-bis : figure extraite de Ernest (1985, p.414)

Les trois techniques décrites ci-dessus sont probablement les techniques employées par la plupart des jeunes enfants (âgés de 5 à 8 ans) pour calculer des sommes telles que 3 + 5 à l'aide d'une droite numérique graduée. L'élément central de ces techniques est qu'elles sont « actives »38 physiquement. Le grand inconvénient de ces techniques est qu’elles privilégient un comptage de un en un et n’incitent pas à calculer directement en utilisant sa mémoire ou en faisant appel à des faits numériques connus. C’est pourquoi, nous privilégions l’introduction de la droite numérique graduée au cycle 3 dans le cadre de la mesure. En ce sens, la définition de la droite numérique graduée (DNG) émise par Freudenthal (1983) citée par Teppo et Van den Heuvel-Panhuizen (2013) est un élément théorique sur lequel nous allons nous appuyer.

“The device beyond praise that visualizes magnitudes and at the same time the natural numbers articulating them is the number line.” (Freudenthal, 1983 p.

101)

” How far is it ‘from here to there’ on the number line? The little steps are counted. But you can also take the ‘from here to there’ between your thumb and forefinger, carry it back to 0 and read it off. “(Freudenthal, 1983 p. 102).

38Il est concevable que certains enfants puissent apprendre à remplacer les mouvements de la main par l’œil,

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Cette définition montre que la droite numérique graduée (DNG) est une représentation qui permet de visualiser parallèlement les grandeurs et les entiers naturels. L’emplacement d’un point représentant un nombre est obtenu en reportant ce nombre d’unités à partir de l’origine. La distance entre deux nombres (on peut prendre « d’ici à là » entre le pouce et l'index) peut être translatée vers l’origine 0, ce qui permet de lire la différence des deux nombres. La droite numérique graduée (DNG) est un outil qui permet de faire le lien entre le cadre numérique (différence entre deux nombres) et le cadre de la mesure (distance entre deux points d’abscisses ces nombres avec une unité de longueur UN, origine 0), de connecter ces deux cadres qui habituellement le sont peu à l’école primaire.

Figure 2.6 : cadre numérique et cadre de la mesure en parallèle

En effet, dans le cadre de la mesure39, à l’école élémentaire, pour déterminer une longueur, on apprend à manipuler les instruments usuels de mesure (le double décimètre, le mètre). L’utilisation de ces différentes règles graduées, qui s’apparentent à des droites numériques graduées avec des unités exprimées en unités de mesure (1cm, 1dm), consiste à aligner une extrémité du segment à mesurer avec la graduation zéro, afin de lire directement le résultat au niveau de la seconde extrémité du segment. Cette technique n’est pas nécessairement justifiée par une technologie savante. Au nombre n’est pas associée la différence . Il nous semble cependant utile d’établir ce lien entre cadre numérique et cadre de la mesure, en définissant l’écart entre deux entiers naturels.

Figure 2.7 : représentation de l’écart entre a et b sur la droite numérique graduée (DNG)

39Utiliser des instruments pour mesurer des longueurs, des masses, des capacités, puis exprimer cette mesure

par un nombre entier ou un encadrement par deux nombres entiers.

0 b

a

écart

Cadre numérique Cadre de la

mesure Action de calculer Action de mesurer

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L’écart entre et (symbolisé par la double flèche), est la mesure de la longueur du

segment de points d’abscisses et , quand l’unité de longueur est 1. Il se calcule en recherchant le complément de à , ou la différence moins .

En conclusion, nous choisissons d’utiliser la droite numérique graduée (DNG) dans le cadre de la mesure. Pour motiver la recherche de la longueur d’un segment par un calcul soustractif, nous n’utilisons pas directement une droite numérique graduée (DNG), mais nous introduirons comme artefact une règle cassée, c'est-à-dire une droite numérique graduée privée de ces premières graduations. Ce milieu matériel (segment, règle cassée) va permettre au vu des résultats obtenus, de valider ou d’invalider les techniques mises au point (soustraction, addition à trou, comptage des unités une à une) et, à condition de mesurer un très grand segment, d’écarter les techniques par comptage.

Indirectement nous serons amenée à revenir sur la caractéristique essentielle de la droite numérique graduée qui est l’existence d’une unité et le report de celle-ci. En ce sens, nous nous inscrirons dans la continuité des recherches effectuées par Doritou et Gray (2009) et Diezmann, Lowrie & Sugars (2010)40.

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Doritou et Gray (2009) montrent à la suite d’une enquête menée auprès d’enseignants, que ceux-ci en évoquant la DNG sont sensibles aux séances de comptage permises par son utilisation, ont une conception procédurale de celle-ci mais n’évoquent pas le fait que la DNG soit construite à partir de la répétition régulière d’un intervalle unité.

“Though the classroom teachers in this survey applauded the pedagogical benefit of the

number line as a tool, neither they nor the trainee teachers provided little explicit or implied indication that this benefit had a formality based upon the repetition of a unit interval and the partition of this interval” (Doritou & Gray, 2009, p.1742)

Diezmann, Lowrie & Sugars, (2010) recommandent d’insister sur le fait qu’une DNG est construite à partir d’une même unité qu’on reporte suite à l’analyse des erreurs produites par des élèves de 10-12 au test présenté ci-dessous :

Une erreur courante a été en effet d’employer le comptage pour identifier la place de 17. Juste avant 20, 19. 19 est donc placé en D ; juste avant 19, 18, 18 est placé en C et 17 enfin, juste avant 18, 17 est donc placé en B. Cette erreur est liée à l’utilisation d’une stratégie de comptage qui est inappropriée ici puisque les intervalles présents n’ont pas tous la même mesure.

75 b) La droite numérique vide

La droite numérique vide (DNV), sur laquelle les élèves marquent les nombres dont ils ont besoin pour effectuer un calcul additif ou soustractif, a été proposée comme un outil

(Treffers, 1991; Treffers et De Moor, 1990) pour suppléer aux difficultés rencontrées par les élèves pour effectuer un calcul additif et soustractif, dans un champ numérique de vingt à cent.

Pour Gravemeijer (1994), cet outil présente trois avantages. D’abord, il permet une représentation en ligne de nombres, ce qui n’est pas le cas quand on utilise un matériel constitué de petits cubes emboîtables (matériel Unifix au Pays Bas). Or cette représentation en ligne du nombres est utile quand on traite des situations faisant intervenir la distance ou la mesure. En second lieu, les procédures qui consistent à calculer séparément sur les dizaines et les unités isolées (1010) s’apparentent bien au matériel cité précédemment. Elles peuvent ensuite évoluer vers une procédure séquentielle (N10) basée sur la décomposition du nombre à soustraire.

L’exemple suivant illustre cette procédure sur un calcul additif.

Figure 2.8 : figure extraite de Gravemeijer (1994, p.457)

Figure2.8 bis : figure extraite de Gravemeijer (1994, p.457)

La troisième raison évoquée par Gravemeijer pour choisir la droite numérique vide est :

« It was argued that a new model should leave students the freedom to develop their own solution procedures. However, this argument is not sufficient; there has to be room for improvement. Or better, employing the model should foster the development of more sophisticated strategies. »

(Gravemeijer, 1994, p.461)

En effet, Gravemeijer explique que les élèves vont petit à petit, seuls ou « stimulés » en petits groupes, en échangeant ensuite avec tous les élèves de la classe, être amenés à faire évoluer

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leurs procédures. Du comptage de un en un, ils vont passer au comptage de dizaines en dizaines et d’unités en unités pour arriver à une procédure standard N10 qui consiste à ajouter ou soustraire un nombre entier de dizaines et d’unités isolées. Cette évolution ne s’arrête pas là, car la DNV favorise aussi l’utilisation des procédures de compensation comme l’illustre l’exemple si après.

Figure 2.8 bis.bis : figure extraite de Gravemeijer (1994, p.457)

Deux autres arguments sont développés explicitement mais indirectement par Gravemeijer. Le quatrième argument est que sur la droite numérique vide on peut voir les différentes étapes du calcul, repérer les erreurs éventuelles, mais aussi repérer ce qui a été fait pour trouver ce qu’il reste à faire :

“ Looking at the role of the empty number line, we see that this model not only

allows students to express and communicate their own solution procedures, it also facilitates those solution procedures, because marking on the number line also functions as a way of scaffolding. It shows the (partial) results; it shows which part of the operation has been carried out and what remains to be done.“ (Gravemeijer,1994, p.461).

Le dernier argument pour utiliser la droite numérique vide mis en avant par Bobis (2005) suite à la lecture de l’article de Gravemeijer est que le schéma avec appui sur la droite numérique vide est un appui à la discussion entre pairs. Un élève, avec cet outil, peut expliciter sa procédure aux autres et les autres, ayant la pratique de cet outil, peuvent l’interpréter :

« Another advantage of utilising the empty number line, not explicitly mentioned by Gravemeijer but a natural progression of his thinking, is the way it can provide a stimulus for classroom discussion and sharing of mental strategies. Students can actually explain their strategies by showing others. This makes the empty number line a very powerful tool to entrance communication in the classroom.” (Bobis, & Bobis 2005, p.75)

Le schéma avec appui sur la droite numérique vide serait donc un appui à la discussion entre pairs.

En conclusion, tous les arguments que nous venons d’énumérer nous incitent à utiliser

la droite numérique vide (DNV) en début de cycle 3 pour rendre compte d’un calcul. Nous faisons l’hypothèse que, introduite à bon escient et utilisé régulièrement, la droite numérique vide permettra de mettre en évidence les différentes étapes qui interviennent dans un calcul et

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montrera pourquoi ces étapes sont utiles pour calculer plus « facilement » en fonction des nombres en jeu. Nous l’utiliserons en complément d’autres ostensifs, d’arbres, par exemple, qui permettent également de visualiser la réécriture de calcul. Une étude conduite par van den Heuvel-Panhuizen (2008) mentionne d’ailleurs le danger d’un enseignement prescriptif qui montre quels nombres marquer, quels sauts effectuer, quels symboles utiliser sur la droite numérique vide au détriment de la recherche de procédures personnelles, de raccourcis et de l’utilisation par les élèves de leur langage et leurs propres notations.

“Teaching the students this ‘didactical ballast’ (Van den Heuvel-Panhuizen, 1986) is not only very time-consuming, but also anti-didactical, because it takes away from the children any opportunity to mathematise: to find their own strategies, including shortcuts, and to come up with their own notations.” (Van den Heuvel-Panhuizen , 2008, p.27)

En conséquence, enseigner le schéma sur la droite numérique vide pourrait donc conduire à un glissement métacognitif et méta-didactique41 (Brousseau, 2010).