• Aucun résultat trouvé

B. La place et le rôle de la Suisse

III. Les principes en matière de biens culturels spoliés dans l’après-guerre

Outre l’immense souffrance humaine, la destruction et la spoliation massive de biens culturels dans l’immédiat après-guerre est une question difficile à appréhender. Mais elle permet une prise de conscience. Les Alliés réalisent que des mesures rapides pour tenter de réparer les dégâts causés doivent être prises48. C’est ainsi que l’un des objectifs premiers n’est autre que la restitution49 des biens culturels spoliés50 à leur légitime propriétaire, qu’il s’agisse de personnes privées, d’institutions publiques telles que des musées ou d’Etats étrangers51. Au lendemain de la guerre, les Alliés considèrent les Etats neutres comme une menace au programme de restitution puisqu’ils peuvent servir de terre de refuge pour des biens volés52. C’est bien sûr le cas de la Suisse qui subit une véritable pression pour signer les différentes déclarations et accords internationaux explicités ci-dessous.

1. La Déclaration de Londres du 5 Janvier 194353

La Déclaration de Londres du 5 janvier 194354 peut être considérée comme le premier pas vers une meilleure protection des biens culturels spoliés. Il s’agit d’une déclaration solennelle rédigée par 18 gouvernements alliés, dont les Etats-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni ainsi que le Comité national français55. Pour ce faire, ils s’inspirent de différentes lois sur la guerre existantes ainsi que de la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 relative à la protection du patrimoine culturel en temps de guerre56.

En tant que telle, la Déclaration de Londres ne crée donc pas de nouvelles obligations internationales. Elle dénonce l’étendue du vol commis par les nazis57. Et si le pillage était déjà prohibé par le Règlement de la Haye de 1907, cette interdiction était insuffisante58. C’est la raison pour laquelle la Déclaration de Londres du 5 janvier 1943 introduit une disposition qui condamne les actes de pillage perpétrés dans les territoires occupés ou sous contrôle du Troisième Reich59. Ce faisant, elle s’adresse particulièrement aux pays neutres afin d’exprimer la volonté des Alliés de tout faire pour lutter contre les méthodes de confiscation et

48 FATA, p. 86.

49 « En droit international, la notion de restitution désigne en effet l’opération par laquelle le pays vaincu rend les biens matériels qu’il a illégalement emportés des territoires qu’il avait occupés » (FISCH, p. 31 cité par Rapport BERGIER, p. 412).

50 En réalité, « [les] premières démarches entreprises en vue d’obtenir la restitution de biens volés ou confisqués ainsi que les premières demandes individuelles remontent à l’époque même de la guerre. En 1939 déjà, peu après le début du conflit, des projets dans ce sens émanèrent des milieux juifs de Grande-Bretagne et de Palestine » (Rapport BERGIER p. 405 ; FISCH, p. 126 ; KEILSON, p. 122).

51 REGAZZONI, p. 26.

52 RapportBERGIER, p. 406.

53 De son titre complet : la Déclaration interalliée contre les actes de dépossession commis dans les territoires sous occupation et contrôle ennemis du 5 janvier 1943.

54 Idem.

55 SIEHR, p. 158 ; SIEHR 2004, p. 78.

56 HERSHKOVITCH/RYKNER/MAGET, p. 43 ; RS 0.193.212.

57 RENOLD/CHECHI/FERLAND/VELIOGLU-YILDIZCI,p. 9.

58 TOMAN, p. 365.

59 Ibid.

d’expropriation des biens culturels60. Les pays signataires de cette Déclaration revendiquent donc le droit de déclarer nuls tous les transferts de propriété qui ont profité à l’Allemagne ou à ses complices61. Toutes les expropriations et les pillages étaient donc visés par cette Déclaration62. C’est peut-être d’ailleurs l’une des critiques qui peut lui être adressée : une expression peu claire et surtout très large63. Il convient de préciser que « [la] Déclaration de Londres du 5 janvier 1943 se [limite] à la restitution dit “externe“, c’est-à-dire de tous les biens et avoirs que les représentants du régime nazi s’étaient appropriés dans les territoires occupés.

Ce n’est que plus tard que les Alliés portèrent aussi leur attention sur la restitution “interne“, celles des confiscations opérées sur le territoire du Reich »64.

Puis, aux yeux des Alliés, l’obligation de restituer les biens devait être maintenue même s’ils avaient été vendus à un prix correct et même si les victimes semblaient y avoir consenti65. La Suisse, en tant que pays neutre, était bien sûr concernée par cette Déclaration concernant les biens culturels spoliés qui se trouvaient sur son territoire. Cet accord lui était d’autant plus applicable dû aux transactions sur l’or qu’elle avait pratiquées avec la Reichsbank et pour lesquelles elle était vivement critiquée66. C’est donc suite à cette Déclaration et lorsqu’il apparaissait clair que l’Allemagne allait perdre la guerre, que les bourses et les banques suisses ont adopté un système sévère d’affidavits67 pour empêcher la vente des biens volés dans les territoires occupés par les Allemands68.

2. Les Accords de Bretton Woods du 22 juillet 1944 et l’Accord Currie du 8 mars 1945 Dans le but de concrétiser davantage la Déclaration de Londres du 5 janvier 1943, la troisième commission de la Conférence monétaire et financière des Nations Unies se réunit à Bretton Woods, aux Etats-Unis, du 1er au 22 juillet 194469. A cette époque, la fin de la guerre approche et nombres de hauts dignitaires nazis se sont constitués des fortunes considérables. Cet accord avait donc pour but d’empêcher le transfert de ces fonds ainsi que des biens spoliés vers l’étranger70. « La VIe Résolution adoptée à l’issue de la conférence donnait un clair avertissement : le rachat d’or pillé et le recel de biens ennemis ne resteraient pas impunis »71. La Suisse était particulièrement concernée car elle était l’un des pays neutres les plus importants financièrement parlant72. Une délégation alliée a donc été spécifiquement nommée. Il s’agit de la délégation Currie, appelée ainsi car elle est présidée par un Américain, Laughlin CURRIE73.

67 Un affidavit est une « [déclaration] faite sous serment, devant une autorité, par les porteurs étrangers de certaines valeurs mobilières pour obtenir l’exonération d’impôt touchant ces valeurs, déjà taxées dans leur pays d’origine » (Larousse). Il peut aussi s’agir du certificat qui authentifie cette déclaration (Idem).

68 PERRENOUD, p. 423.

Après de longues négociations, l’Accord Currie74 est signé le 8 mars 1945 et instaure la restitution de tous les biens qui ont été volés par les nazis et transférés en territoire neutre75. C’est donc toujours sous l’influence et la pression des Alliés, que la Suisse promet de tout faire pour faciliter la recherche et la restitution des biens spoliés76. Cet accord oblige de plus la Suisse à envisager des mesures concrètes77 en matière de restitution avant même que la fin de la guerre ne soit déclarée, et tente de faire respecter la politique énoncée dans la Déclaration de Londres du 5 janvier 1943 à laquelle la Suisse s’était engagée78.

Cependant, les autorités suisses n’étaient prêtes à entreprendre des actions en vue de la restitution de biens culturels spoliés uniquement à partir d’informations concrètes fournies par les Alliés79. Nous interprétons cette attitude comme une apparente réticence à la restitution d’œuvres d’art pillées. Elle reflète également une absence de prise de mesures proactives et concrètes de la part du gouvernement suisse. Cela s’explique, à notre avis, par le fait que longtemps, la Suisse et les Suisses estimaient ne pas avoir mal agi durant les années de guerre.

Probablement, qu’une attitude réfractaire existait aussi à l’encontre des Alliés qui, selon STUCKI

(ancien chef de la délégation suisse), traitaient la Suisse comme un « pays conquis et occupé »80. Finalement, les autorités helvétiques renoncaient aussi à poursuivre le propriétaire qui avait acquis de bonne foi une œuvre d’art volée, en vertu des principes de droit privé suisse. Il aurait été impensable que l’Etat fasse une entorse au droit civil en vigueur. « La sécurité du droit et la constitutionnalité des lois servirent [donc] d’arguments pour repousser des mesures pourtant équitables »81.

3. L’Accord de Washington du 25 mai 1946 et les Accords de liquidation de 1952

De l’Accord Currie découle en réalité l’Accord de Washington du 25 mai 194682. Il a trait à deux problématiques suisses en matière de réparations suite à la fin de la guerre. Premièrement, il s’intéressait à l’or versé par la Reichsbank à la Banque nationale suisse. Deuxièmement, il traitait de la question des biens et avoirs allemands (dont des œuvres d’art) qui, depuis février 1945, avaient été conservés et bloqués en Suisse83. Concernant l’or, la Suisse a versé aux Alliés un sixième de ce qu’elle avait reçu soit une amende de 250 millions de francs84. Sur ce point,

74 « Malgré cet accord, les relations entre la Suisse et les puissances occidentales demeurèrent tendues. La Suisse avait demandé en contrepartie de radier des listes noires les entreprises suisses qui avaient étroitement coopéré avec le Troisième Reich; or les Américains mirent beaucoup de temps à supprimer ces listes comme à débloquer les avoirs suisses gelés aux Etats-Unis depuis juin 1941 » (Rapport BERGIER, p. 407).

75 Rapport BERGIER, p. 407.

76 LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 510.

77 Le Conseil fédéral a concrétisé sa promesse en promulguant l’Arrêté fédéral du 10 décembre 1945 relatif aux actions en revendication de biens enlevés. Il concerne tant les papiers-valeurs que les biens culturels

82 « L’accord de Washington du 25 mai 1946 se trouve au RS sous forme d’un échange de lettres entre la Suisse et les Alliés, RS 0.982.1 » (FATA, p. 87).

83 Rapport BERGIER, p. 420.

84 La Suisse s’en sort plutôt bien avec cette amende considérant que la Banque nationale suisse avait blanchi pour au moins 1 milliard 200 mille francs (L’honneur perdu de la Suisse).

considérant ne rien avoir à se reprocher, la Suisse avait affirmé qu’il n’était pas question de réparation ou de restitution mais simplement d’une aide « volontaire » apportée à l’Europe pour permettre sa reconstruction au lendemain de la guerre. Cette vision était bien sûr en désaccord avec celle des Alliés85. La question des avoirs allemands (dont des biens culturels bloqués en Suisse) et de leur liquidation est plus délicate, notamment car aucune date butoir n’avait été précisée dans l’Accord de Washington pour régler cette question86. La Suisse, aidée par les évènements historiques87, a donc simplement laissé passer le temps. Ce sont donc les Accords de liquidation qui remplacent l’Accord de Washington en 195288. Selon ces Accords et après de longues négociations, la Suisse a dû se résoudre à payer aux Alliés 121,5 millions de francs dans un délai d’un an ainsi que 50 millions de francs pour des prétentions relatives à des biens confisqués89.

4. L’Arrêté du Conseil fédéral du 10 décembre 1945 relatif aux actions en revendication de biens enlevés dans les terrioires occupés pendant la guerre (Raubgutbeschluss)

C’est ainsi que depuis 1943, les Alliés ont manifesté à plusieurs reprises leur intention et leur volonté d’obtenir la restitution de tous les biens volés une fois que la Seconde Guerre mondiale serait terminée. La Suisse n’avait pourtant pris aucune mesure au niveau national pour lutter contre le trafic des avoirs spoliés ni pour en permettre la restitution90. Aussi, aucun sentiment d’injustice n’était ressenti en Suisse en 194591. C’est uniquement dû à la pression insistante des Alliés que l’Etat suisse a fini par s’aligner sur les différentes exigences internationales, particulièrement sur la Déclaration de Londres du 5 janvier 194392. La Suisse adopte donc l’Arrêté du Conseil fédéral sur les biens spoliés du 10 décembre 194593. Et ce, « […] dans un but d’intérêt public, à savoir en vue d’apporter la contribution de la Suisse au rétablissement dans leurs droits des propriétaires dépossédés au cours de la guerre d’une manière contraire au droit des gens »94.

Cet arrêté est particulier, en ce sens qu’il rompt temporairement avec la tradition de droit civil suisse. En effet, au sens de l’article 1 alinéa 1, il accorde au demandeur, soit à toute personne spoliée, la possibilité d’intenter une action en revendication de ses biens contre le défendeur, à savoir le possesseur actuel que ce dernier soit de bonne ou de mauvaise foi95. Ainsi, un

85 Rapport BERGIER, p. 420.

86 Ibid.

87 Les Alliés sont préoccupés par la Guerre Froide dès 1947 ainsi que par la République fédérale d’Allemagne en 1949 (Ibid.). En effet, « [dès] la fin de la guerre, le problème des restitutions a connu une évolution parallèle à l’histoire de la Guerre froide: les tensions croissantes entre [l’est et l’ouest] ont occulté la question du rôle des pays neutres pendant la guerre » (LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 511).

93 BOSCHETTI/BERGIER, p. 164. En réalité la Suisse adoptera en plus un Arrêté fédéral additionnel en date du 22 février 1946 mais qui concerne avant tout les papiers-valeurs (LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 510). Cet Arrêté fédéral additionnel obligeait cependant tout résident suisse à déclarer des œuvres d’art dont le propriétaire avait été spolié sous peine d’une sanction pénale (Rapport DFI/DFAE 2011-2016, p. 18).

94 Arrêt Rosenberg contre Théodor Fischer cité par BYRNE-SUTTON, p. 197.

95 Rapport BERGIER, p. 419 ; RO 1945, p. 1030.

propriétaire qui aurait acquis une œuvre d’art volée sans le savoir n’est plus protégé par le droit civil suisse. L’article 1 alinéa 2 étend la faculté de revendication du demandeur96 puisque toute personne qui a été spoliée de ses biens par un dol ou une crainte fondée peut également en demander la restitution97. Il convient de préciser que tant les propriétaires privés que potentiellement l’Etat d’origine d’un bien culturel pouvaient intenter une action en revendication98.

Quant à l’objet à restituer, la revendication ne pouvait concerner que les papiers-valeurs et les biens mobiliers99 qui se trouvaient en Suisse mais qui, au sens de l’article 2 et 8, avaient été dérobés entre le 1er septembre 1939 et le 8 mai 1945 dans les territoires occupés par les Allemands100. Toutes ces conditions devaient être démontrées par le demandeur qui souhaitait intenter une action en revendication (art. 8). Il devait en plus « rendre “plausible“ qu’il était le légitime propriétaire ou antepossesseur des biens revendiqués et qu’il en [avait] été dépossédé contre sa volonté ou s’en [était] dessaisi par suite de dol ou de crainte fondée »101. Le demandeur était de plus soumis à un délai puisqu’au sens de l’article 11 alinéa 1, toute demande en revendication devait obligatoirement être intentée au plus tard jusqu’au 31 décembre 1947 devant le Tribunal fédéral et ce, par le possesseur lésé ou par le propriétaire du bien en question102. « Les actions ultérieures [au 31 décembre 1947] [devaient] être portées devant la juridiction ordinaire en Suisse conformément aux articles 932 et suivants du code civil […] »103. Enfin, l’arrêté prévoyait un système de recours contre le vendeur. En effet, si le propriétaire qui était tenu de restituer le bien revendiqué l’avait acquis de bonne foi, l’article 4 alinéa 1 lui permettait d’exiger le remboursement du prix qu’il avait payé au vendeur104. Il devait s’agir au maximum de la valeur cotée en bourse ou du prix courant105. Si le vendeur avait également acquis le bien spolié de bonne foi, il pouvait à son tour se retourner contre le vendeur antérieur et ainsi de suite juqu’au vendeur de mauvaise foi (art. 4 al. 2)106. Cependant, « [au] cas où l’aliénateur de mauvaise foi [était] insolvable ou ne [pouvait] être atteint en Suisse, le juge [pouvait] allouer à l’acquéreur de bonne foi qui [était] lésé une indemnité équitable, à la charge de la Confédération » (art. 4 al. 3)107. Il fallait en revanche que cet acquéreur de bonne foi soit en mesure d’exiger le remboursement du prix sur la base du droit étranger ou du droit suisse applicable. Puis, si la Confédération l’indemnisait, ce droit lui était alors transféré108. « Cela démontrait que l’Etat assumait lui-même une part de responsabilité afin de permettre de restaurer la situation qui existait avant la violation du droit international, constituée par la prise

96 TOMAN, p. 366.

97 Rapport BERGIER, p. 419 ; RO 1945, p. 1030.

98 ROLF 1945, p. 1030 cité par BYRNE-SUTTON, p. 82.

99 Les biens culturels spoliés sont bien sûr concernés (BYRNE-SUTTON, p. 197).

100 Article 1 alinéa 1 et 2 de l’Arrêté fédéral sur les biens spoliés de 1945 ; THILO, p. 26.

101 THILO, p. 27.

102 RO 1945, p. 1033.

103 THILO, p. 27.

104 Ibid.

105 THILO, p. 26.

106 Rapport BERGIER, p. 419 ; THILO, p. 26.

107 RO 1945, p. 1031.

108 THILO, p. 26.

illicite du bien en cause »109. Puis, il est intéressant de mentionner que l’article 4 était source d’inquiétudes pour la Suisse à l’époque dû aux « nouvelles et peut-être lourdes dépenses »110 qu’il pouvait engendrer. Une confiance était donc accordée au juge pour qu’il « veille à limiter cette charge dans toute la mesure compatible avec une saine administration de la justice »111. Il est incontestable qu’en adoptant une législation spécifique aux restitutions, la Suisse a considérablement amélioré son image au niveau international112. A l’étranger, ces mesures concrètes en faveur de la recherche et de la restitution de biens spoliés dans les territoires occupés pendant la Seconde Guerre mondiale étaient d’ailleurs perçues comme tout à fait remarquables113. Plusieurs critiques peuvent cependant être adressées à l’Arrêté du Conseil fédéral du 10 décembre 1945. En effet au niveau national, les dérogations à la tradition de droit privé suisse qu’il impose n’ont pas contribué à le rendre très populaire114. Il manquait également de soutien politique car le Conseil fédéral n’avait pas pris la peine de consulter les différentes institutions responsables concernées, les banques notamment115. Mais surtout, cet arrêté protégeait davantage les intérêts privés suisses que les victimes de spoliations elles-mêmes116. Plusieurs points l’attestent.

Premièrement, comme déjà observé, une action en revendication pouvait être intentée jusqu’à la fin de l’année 1947 uniquement. Ainsi, à partir du moment où l’arrêté fut promulgué, les demandes en restitution devaient forcément être présentées dans un délai de deux ans117. Il s’agit d’un délai extrêmement bref au lendemain d’une Seconde Guerre mondiale si dévastatrice et meurtrière dont la priorité n’était évidemment pas la recherche et la revendication de biens matériels. Ainsi, plusieurs ayants droit n’ont pas eu le temps de faire valoir leurs demandes en restitution dans le délai prévu. D’autres ignoraient tout simplement l’existence de cet arrêté118 car la Suisse n’avait rien entrepris pour faire connaître cette législation spéciale dans le monde119. Puis, nombre de demandes en restitution n’avaient pu être formulées car les propriétaires et leurs familles juives avaient été cruellement assassinés120. Deuxièmement, les œuvres d’art ou les biens culturels ayant été spoliés avant la guerre, soit avant le 1er septembre 1939 ne pouvaient tout bonnement pas être restitués121. L’arrêté excluait également de la procédure suisse les personnes dépossédées de leurs biens en Allemagne, en

109 CANDRIAN, p. 259.

110 THILO, p. 26.

111 Ibid.

112 LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 510.

113 TOMAN, p. 366.

114 SIEHR, p. 164.

115 FRANCINI/HEUSS/KREIS, p. 361.

116 Rapport BERGIER, p. 418.

117 Ibid.

118 LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 510.

119 Rapport BERGIER, p. 418.

120 LUSSY/BONHAGE/HORN, p. 510.

121 Rapport BERGIER, p. 418. En 1946, les autorités suisses réalisent que l’Arrêté fédéral aurait également dû s’appliquer aux spoliations des années d’avant-guerre mais elles ne firent rien pour le modifier (cf. le cas du baron Robert von Hirsh 1936, in FRANCINI/HEUSS/KREIS, p. 341 cité par Rapport BERGIER, p. 418-419).

Autriche ou en Tchécoslovaquie annexées en 1938 et en 1939122. « Les Juifs allemands ne pouvaient donc pas présenter une requête au Tribunal fédéral, car ils avaient été spoliés par leur propre Etat et que cette spoliation ne contrevenait dès lors pas au droit international public [de l’époque] »123. Cela engendrait bien sûr de véritables injustices.

Troisièmement, les biens culturels spoliés devaient se trouver en Suisse pour pouvoir être revendiqués. Ce faisant, l’arrêté neprenait pas non plus en compte le rôle de plaque tournante qu’avait joué la Suisse en matière de vente et de transfert d’œuvres d’art124.

Toutes ces limites reflètent donc la volonté d’échapper autant que possible au devoir de restitution des biens culturels spoliés imposé par les Alliés125. D’ailleurs, « [il] y eut violation manifeste de l’engagement pris par la Suisse dans l’Accord Currie de tout faire pour faciliter les actions des propriétaires spoliés et leur permettre de récupérer leurs biens126. Les autorités suisses n’exaucèrent pas davantage le souhait exprimé par les Alliés lors des négociations de Washington au printemps 1946, qui demandaient à la Suisse de régler ce problème en optant pour une solution “simple et économique“ qui tienne compte de « la pauvreté et de la faiblesse des victimes »127.

4.1 La Chambre des actions en revendication des biens spoliés (Raubgutkammer)

C’est précisément pour traiter des actions en revendication de biens visés par l’Arrêté fédéral du 10 décembre 1945 que la Chambre des actions en revendication des biens spoliés a été instaurée128. Il s’agissait d’une Chambre spéciale et extraordinaire du Tribunal fédéral. Elle était également compétente pour traiter de la fixation de l’indemnité accordée par la Confédération ou des différents recours adressés contres les vendeurs antérieurs129. « Elle se

C’est précisément pour traiter des actions en revendication de biens visés par l’Arrêté fédéral du 10 décembre 1945 que la Chambre des actions en revendication des biens spoliés a été instaurée128. Il s’agissait d’une Chambre spéciale et extraordinaire du Tribunal fédéral. Elle était également compétente pour traiter de la fixation de l’indemnité accordée par la Confédération ou des différents recours adressés contres les vendeurs antérieurs129. « Elle se