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Les principales caractéristiques des forces sociales (au pluriel)

CHAPITRE 1 : LES CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES

1. Les recensions d'écrits

2.2 Le concept de force sociale

2.2.4 Force sociale et forces sociales

2.2.4.3 Les principales caractéristiques des forces sociales (au pluriel)

Les principales caractéristiques des forces sociales (au pluriel) sont sensiblement les mêmes que celles des groupes et des mouvements sociaux. En nous référant à la littérature sur le sujet, nous évoquerons les traits suivants156 : 1) la multiplicité et la variété des forces sociales; 2) leur position dans le système social; 3) leur homéostasie, et 4) leur institutionnalisation.

1. La multiplicité et la variété des forces sociales

- Comme nous l'avons vu, les forces sociales (au pluriel) sont, dans leur troisième acception, des collectivités et des individus qui détiennent des facultés et des ressources leur permettant d'agir sur la société. Ces facultés et ces ressources sont des moyens d'action qui peuvent être utilisés dans un contexte particulier. Étant donné que chaque collectivité a ses caractéristiques et que chaque individu a sa personnalité, les forces sociales sont multiples et diversifiées, à l'image des composantes de la société, d'où le grand nombre de forces sociales et leur variété.

2. La position des forces sociales dans le système social

- Les forces sociales collectives et individuelles occupent une position généralement stable dans le système social157. Il peut s'agir d'une position centrale ou marginale; dominante ou dominée158. La position sociale est directement reliée à la force dont dispose l'élément de société dans un sphérocontexte donné159. Toutes choses étant égales par ailleurs, plus cette force est grande, plus la collectivité ou l'individu concerné a la possibilité d'occuper une position centrale ou dominante dans la société160. Le statut social d'un groupe ou d'une personne dépend donc de sa capacité de conserver ou d'accroître ses facultés et ressources.

3. L'homéostasie des forces sociales

- Les forces sociales sont homéostatiques161. C'est-à-dire qu'elles cherchent à préserver l'invariance de leur structure. Cela ne signifie pas que leur intensité demeure constante. Au contraire, la raison d'être des mouvements sociaux (qui sont des forces collectives) est le changement social162, objectif qui ne peut être atteint que par la mobilisation de leurs membres, seule façon d'accroître leur influence. Toutefois, le militantisme assidu peut devenir contreproductif parce qu'il entraîne une dépense inefficiente de ressources. Les groupes et les individus doivent donc modérer leurs efforts s'ils veulent conserver suffisamment de ressources pour agir en temps opportun. Telle est la différence entre un mouvement social spontané - qui est souvent éphémère - et un organisme qui s'inscrit dans la durée163. Le mouvement social spontané est issu d'une conjoncture qui l'incite à

156 Durand et Weil, R. (dirs.), 2006; Eyerman, 2006; Farro, 2000; McPherson, 2004; Neveu, 2000; Quadagno, 2005;

Turner, J. H., Ed., 1998 et 2006; Turner, B. S., Ed., 2006; Viriot Durandal, 2003.

157 Bourdieu et Passeron, 1970; Guillemard, 1981; Lahire, 2007.

158 Barel, 1982; Harnecker, 1974; Martucelli, 1999; Turner, J. H., Ed., 1998 et 2006. 159 Scott, Ed., 1994.

160 Cette idée renvoie au concept d'empowerment, concept qui désigne le « pouvoir » ou les facultés et ressources que

peut acquérir un individu ou un groupe dans la société. Cf. Bass, Ed., 1995; Bass et Caro, 2001; Thurz, Nusberg et Prather, Eds., 1995; Viriot Durandal, 2003.

161 Bailey, 2006; Durand, 1998; Lugan, 2005.

162 Sauf s'il s'agit d'un mouvement politiquement conservateur. 163 Farro, 2000; Neveu, 2000.

poser des gestes d'éclats pour réagir à une situation. Or, ces actions n'atteignent pas toujours leurs buts. En revanche, une organisation sociale coordonnée planifie ses opérations en fonction des ressources dont elle dispose, et ce, tant pour assurer la poursuite de ses objectifs que pour préserver l'intégrité de sa structure.

4. L'institutionnalisation des forces sociales

- À cause de son impétuosité, la force sociale est difficile à contenir. Une des façons par laquelle la société y parvient - le cas échéant - consiste à l'institutionnaliser. En fait, ce n'est pas la force sociale (au singulier) qu'on institutionnalise - parce que c'est presque impossible - mais plutôt les forces sociales (au pluriel) qu'on encadre dans une structure164. En leur accordant une reconnaissance formelle, on les oblige à réguler l'usage de leurs facultés et ressources. Il en va ainsi de la violence, qui est un déploiement de force coercitive, que les policiers et les militaires peuvent employer dans les situations prévues par la loi et en vertu de règles clairement définies. On pourrait aussi évoquer les relations du travail où les syndicats et les patrons exercent un rapport de forces dans des limites circonscrites par le droit.

Cela n'empêche pas les débordements et l'usage excessif des facultés que possèdent les collectivités et les individus. Ces débordements sont sans doute inévitables, mais des forces sociales d'intensité supérieure parviennent habituellement à les contenir165. Notons également au passage que certains groupes et individus refusent l'institutionnalisation pour ne pas être encadrés par le système social. Il en va ainsi des groupes anarchistes et révolutionnaires, des organisations criminelles et des personnes marginales. Ceux- ci doivent alors assumer les conséquences de leurs décisions166.

En s'institutionnalisant, les forces sociales se dissolvent dans le pouvoir sociopolitique dont elles deviennent une composante. Ce pouvoir s'accroît concomitamment à celui des forces de convergence et s'affaiblit dans le cas contraire. Toute variation dans le rapport entre les deux types de forces (de convergence et de divergence) crée donc de l'instabilité dans le système social.

Telles sont les principales dimensions du concept de force sociale dont nous tiendrons compte dans l'étude des relations entre les aînés et le développement social, régional, territorial et local. Le moment est maintenant venu de définir ces concepts.

2.3 Le développement social, régional, territorial et local

2.3.1 Le concept de développement

Avant de parler de développement social, régional, territorial et local, il importe de définir le premier de ces termes, soit le développement, ce qui n'est pas une mince tâche, car selon Jean (2008, p. 290), il s'agit d'une « notion qui résiste à notre compréhension ». Pour s'expliquer, il écrit (ibid.) : « Après des siècles de développement, et après des décennies de travail des sciences du développement, il s'agit toujours d'un phénomène mystérieux et qui a donné lieu à plusieurs tentatives d'intelligibilité qui n'ont guère survécu à l'épreuve du temps ». Comme c'est le cas du concept de pouvoir, il existe un grand nombre de définitions du développement qui mettent l'accent sur l'un, l'autre ou plusieurs de ses aspects sans qu'on parvienne à formuler un énoncé capable de les englober totalement.

164 Ce fut le cas des syndicats de travailleurs qui, à l'origine, étaient révolutionnaires. Cf. CSN/CEQ (collectif

d'auteurs), 1979; Linteau et coll., 1979 et 1986.

165 Une des conséquences de cet état de fait est la pérennisation de situations considérées comme injustes par les

collectivités et les individus qui en sont victimes. C'est ainsi également que se perpétuent, au niveau macrosocial, des ordres sociaux dominants comme les empires, les oligarchies et les monopoles.

Ansart (1999, p. 424) souligne que la notion de développement est assimilée à celle de progrès, terme qu'il définit comme étant une « Transformation, évolution, estimée, objectivement et subjectivement positive ». Il ajoute que les concepts d'évolution, de progrès et de développement comportent deux ambiguïtés. Primo, il y a le phénomène en cause : « Que signifie, écrit-il, pour un ensemble social, que d'être en progrès par rapport à son passé? » (ibid.). Cette question renvoie à la difficulté de mesurer le développement à partir d'indicateurs objectifs167. Secundo, selon Ansart (ibid.) « [...] rien n'assure qu'un progrès dans un secteur social entraîne des effets favorables pour tous les autres ». Autrement dit, les différents types de développement peuvent, à la limite, s'opposer les uns aux autres, en particulier les développements économique et social, thème qui traverse de part en part la documentation publiée sur ce sujet.

Malgré tout, on convient que les idées de développement et de progrès renvoient aux notions d'ajout, d'addition, de production d'éléments nouveaux; d'amélioration de ce qui existe déjà, de solution à des problèmes ou d'élimination d'obstacles. Donc, le développement résulte des actions humaines. S'il pouvait être mesuré adéquatement, l'impact de ces actions se situerait sur un continuum qui irait du plus favorable au plus défavorable aux collectivités, en passant par un intervalle médian où il serait minime ou négligeable. Il y aurait développement lorsque cet impact serait positif dans un sphérocontexte donné, et ce, au regard d'une échelle de valeurs consensuelle. C'est ce que suggèrent Moulaert et Nussbaumer (2008, p. 47) quand ils écrivent :

Sur la base des relectures des analyses du développement économique engagées ci-dessus, nous définirons le développement comme un progrès qualitatif et quantitatif de la production et des échanges, auto-entretenu, et qui conduit à une amélioration du bien-être dans toutes les couches de la population. [...] Le développement est donc bien une question qui déborde les frontières des pays, des régions ou des localités en voie de développement. La notion du développement présente une portée universelle. En s'intéressant aux formes de la coordination et de l'organisation des relations socioéconomiques, elle est à même de tenir compte des spécificités culturelles, sociales, historiques et économiques.

La définition de ces auteurs évoque celle du développement social.