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Chapitre 1 Mise en contexte et questions de recherches

1.4 La diversité ethnoculturelle dans les discours citoyens et nationaux

1.4.3 Les politiques d'intégration canadiennes et québécoises

Après des années de politiques canadiennes teintées de racisme biologique et culturel (Helly 1996), le Canada adopte en 1971 — suite à la Commission d'enquête sur le Bilinguisme et le Biculturalisme — le multiculturalisme. La politique de promotion de la pluralité culturelle de la société civile qui sous-tend le multiculturalisme implémente trois principes :

9 Pour une description plus détaillée des théories de l’intégration en milieu urbain, voir Germain (2013) ou Schnapper (2007).

« La reconnaissance par l'État de l'existence d'une diversité de groupes culturels ayant droit au respect et au maintien de leurs particularités socio-culturelles (…), la réduction des barrières ethniques gênant la participation sociale et politique de leurs membres et la multiplication des contacts interethniques, en vue d'accroître la tolérance à la différence culturelle dans la société » (Helly, 2000: 7).

Ainsi, toutes les communautés culturelles sont mises sur un pied d'égalité avec les communautés dites fondatrices de la nation canadienne (canadiennes-anglaises, canadiennes- françaises et autochtones). En accord avec cette philosophie, diverses politiques seront mises en œuvre afin de lutter contre la discrimination, de favoriser l'expression de particularités culturelles, ou visant à la reconnaissance de statuts légaux ou administratifs propres aux membres de certaines communautés (Helly, 1996).

Malgré ces idéaux, les critiques du multiculturalisme notent son effet de fragmentation sociale dans la société canadienne11 et son incapacité à agir directement dans les processus de stratification socio-organisationnelle et d'ainsi « réduire le racisme et les discriminations ethniques sur le marché du travail pour les fractions les moins qualifiées de la main-d'œuvre immigrée et de leurs descendants » (Helly, 2000 : 18). Certains auteurs parlent même du modèle canadien comme une mosaïque, certes, mais une mosaïque verticale où les Canadiens anglais restent les plus avantagés12. De plus, depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement canadien a modifié ses politiques d'immigrations et de citoyenneté dans le but de protéger et renforcer ses frontières territoriales et identitaires (Labelle, 2007: 102) ce qui, malgré les politiques multiculturelles, contribue à créer un climat politique de suspicion.

11 Helly note que suite à ces critiques, la vocation unificatrice du multiculturalisme est fortement réaffirmée en 1977 et au début des années 1990, mettant en place des mesures pour favoriser la participation et la responsabilité

La mise en place du multiculturalisme est mal reçue par une majorité de Québécois francophones. La Commission sur le Bilinguisme et le Biculturalisme tenue en 1963 détaillait les inégalités entre francophones et anglophones tout en abordant l'apport historique des immigrants. Après avoir instauré le français comme deuxième langue officielle, le gouvernement fédéral se ferme aux revendications canadiennes-françaises en adoptant le multiculturalisme. Pour plusieurs sa mise en place est une fin de non-réponse aux demandes des mouvements souverainistes qui émergent au Québec (Juteau, 1999) et aux demandes des Premières Nations (Helly, 2000). En effet, sous l'égide du multiculturalisme, plusieurs craignent que la particularité culturelle et linguistique des groupes fondateurs minoritaires (les francophones et les autochtones) se dilue dans l'ensemble des appartenances canadiennes. Le gouvernement du Québec a donc mis en place sa propre politique de gestion de la diversité, l'interculturalisme. Celle-ci vise à accepter la diversité ethnoculturelle dans la sphère publique dans la mesure où elle s'organise autour du fait francophone et converge vers les valeurs de base des Québécois. Il est à noter que cette politique a connu plusieurs phases selon les partis politiques au pouvoir (Helly, 1994), oscillant entre une vision pluraliste en mettant de l'avant la diversité ethnique de la population québécoise et entre une vision civique, voire assimilationniste-universaliste, de la citoyenneté, pointant du doigt les individus affichant publiquement leurs appartenances particularistes. Récemment toutefois, c'est cette dernière vision dite civique qui semble prédominer. Dans la foulée des débats sur les accommodements raisonnables, puis sur l'adoption d'une Charte des Valeurs, les partisans d'une laïcisation plus stricte de l'espace public sont relativement bien appuyés par la population.

Parmi les critiques de l'interculturalisme québécois, plusieurs notent le côté à double tranchant de la convergence vers les valeurs dites « québécoises ». Daniel Salée (2010) souligne le caractère indéfini de la politique et aborde les relations de pouvoir inégales qui sous-tendent le projet. L'auteur conclut que l'interculturalisme, loin d'être convaincant, sert en fait de tremplin à une domination hégémonique des groupes minorisés. Selon lui, la situation minoritaire des Québécois au sein de l'Amérique du Nord semble justifier de ne pas questionner les éléments constitutifs de la nation (le français, les valeurs québécoises, l'égalité homme femme) et à les imposer en bloc aux immigrants, par peur de disparaître. Ce faisant, l'interculturalisme créée

une vision figée et relativement homogène de la société québécoise, ancrée dans son passé, et qui résiste à reconnaître la pluralité des identités de ses citoyens (Maclure, 2000).

Au fil des ans, l'interculturalisme s'accompagne néanmoins de plusieurs mesures visant à contrer le racisme et les discriminations sur une base ethnoculturelle au Québec : le cadre juridique de lutte pour contrer les discriminations (de la Charte des droits et libertés de la personne), la Loi sur l'accès à l'égalité en emploi dans des organismes publics, les formations interculturelles, les programmes ciblés pour les jeunes minorisés et les autochtones, etc. (Labelle, 2007: 89). Récemment, le gouvernement provincial réitère son engagement dans la lutte aux discriminations avec ses plans d'action Un Québec fort de son immigration et La diversité : une valeur ajoutée.