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Chapitre 1 Mise en contexte et questions de recherches

1.3 Banlieue et diversité ethnique

1.3.3 La banlieue du point de vue des études urbaines

Les frontières entre la ville et la banlieue sont floues et mouvantes. Plutôt qu'une banlieue unique, les urbanistes sont confrontés à plusieurs types de banlieues selon le contexte de leur développement, leur âge, leurs frontières municipales, leur architecture, etc. Le concept de banlieue est si dépendant du contexte qu'il peut parfois même varier d'une région à l'autre, voire d'une ville-centrale à l'autre. Ainsi, pour mieux comprendre l'espace de la banlieue de Laval, seules les théories relatives aux banlieues québécoises (avec un accent sur les banlieues montréalaises) ayant connu leur expansion résidentielle après les années 1960 seront recensées. Dans cette section nous explorerons d'abord les différentes façons de qualifier l'espace de la banlieue dans la littérature. Ensuite, présenterons certains mécanismes qui sont intrinsèques aux banlieues comme leur vieillissement et leur diversification ainsi que le phénomène de compétition entre villes périphériques, l'objectif étant toujours de circonscrire l'espace théorique du territoire suburbain pour contextualiser le rapport à l'espace des Lavallois.

Classification

Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, les manières de qualifier l'espace entourant les quartiers centraux de la métropole sont multiples. Les termes de urbain, suburbain et périurbain, issus de la littérature américaine, sont repris dans la littérature québécoise pour désigner respectivement les quartiers centraux, les zones en périphérie rapprochée et les zones en périphérie plus éloignées (Ghorra-Gobin, 2013; Breux et Bherer, 2009). Certains auteurs vont plutôt mobiliser les termes de « deuxième couronne » et de « troisième couronne » pour désigner les zones suburbaines et périurbaines. Il reste que ces désignations manquent de

La classification des espaces démontre qu'il est difficile de qualifier précisément l'espace de la banlieue6. En plus des marqueurs physiques (composition de l'infrastructure, âge des

bâtiments, taille de l'économie, etc.), plusieurs éléments affectent l'état de la banlieue comme la composition de la population, le niveau socio-économique de ses résidents, etc. Nous notons aussi la difficulté de classer la ville de Laval dans une seule catégorie, étant donnée l'hétérogénéité de ses espaces et de ses quartiers. Le fait que la ville soit le résultat d'une fusion explique en partie cette différence dans la composition de ses infrastructures.

Toutefois, au vu du large développement périurbain dans les territoires en périphérie de la ville de Montréal, le territoire compris dans l’île de Laval est souvent qualifié de première couronne et cela même si le développement sur son territoire s’est effectué de manière très inégale.

Ainsi, nous tenons à faire une distinction importante. Dans ce texte, le terme de banlieue réfère dans certains cas aux différents types de territoires suburbains présents sur l’île de Laval et, dans d’autres instances, aux idéaux associés à la banlieue traditionnelle (voir la section 1.3.4). Diversification et vieillissement des premières banlieues

Si l'espace de la banlieue est varié, c'est que la périphérie connait une expansion en plusieurs étapes. Les premières banlieues montréalaises sont aujourd'hui intégrées dans la ville de Montréal suite aux processus de fusions municipales des années 1960. En effet, dans les années 1830-40, la bourgeoisie montréalaise quitte le Vieux-Port pour emménager dans de nouveaux quartiers (New Town) construits selon le modèle britannique de rangées de résidences unifamiliales « faisant face à de larges avenues plantées » (Beaudet et al., 1998: 259). Du 19e au 20es. les quartiers de Westmount, St-Lambert, Montréal-Ouest, Hampstead,

6 Outre les concepts de Edge-city de Gareau (1991), de Outer-city de Gans (1968) et les cinq types de territoires

suburbains de Morin (2002), Fortin et Després (2008) recensent : « les villes polynucléaires ou polcentriques (Remy et Voyé, 1992 ; Chalas, 2000), la ville diffuse (Secchi, 2006), la métapole (Ascher, 1995), la ville franchisée (Mangin, 2004), l'espace des flux (Castells, 2001), le « tout urbain » (Choay, 1994 ; Paquot, 2003), l’urbain « sans lieu ni bornes » (Webber, 1996) et la ville-territoire (Chalas, 2000) » (Fortin et Després, 2008: 154).

Outremont et Mont-Royal sont développés. Finalement, ce n'est que dans l'après-guerre (1950), alors que la densité d'occupation du sol de la région de Montréal chute, que Laval et Longueuil, premières zones périurbaines hors de l'île, sont investies (Beaudet, 1998: 260). Les chercheurs notent que les développements résidentiels de banlieue construits à partir des années 1960 connaissent un processus de vieillissement particulier (Fortin, 2002 ; Morin, 2002; Vachon et Després, 2002; Charbonneau et Germain, 2002). Ce phénomène se caractérise par une diversification des types de ménages et de leur niveau socio-économique et surtout par un vieillissement tant de la population que des infrastructures. Parmi les facteurs contribuant à la densification et à la diversification de la population des banlieues, nous notons l'importance de la construction ou l'amélioration des transports publics et des voies d'accès à la banlieue et l'implantation de commerces d'envergure et d'industrie, attirés par le faible coût des terrains ou par des politiques municipales favorables (Evenden et Walker, 1993).

Pour accommoder ces nouveaux ménages de taille et de revenus variables, des immeubles à logements, des blocs appartements et des condos voient le jour (Fortin, 2002; Landry, 2006). Les secteurs résidentiels autrefois composés uniquement de bungalows (dits de faible densité) sont maintenant fréquemment entourés, et parfois traversés, de ces nouvelles constructions à haute densité. Ainsi, les « premières banlieues » deviennent ce que Morin qualifie d'« univers résidentiel hybride » (Morin, 2002: 85). Nous remarquons aussi la diminution des espaces libres (construction sur les terrains vagues, accès plus difficile à la nature) au profit de ces nouvelles constructions plus denses. D'ailleurs, le coût des terrains et des propriétés augmente aussi, bien que souvent encore moins cher que dans la ville centrale.

Les nouveaux développements immobiliers favorisant les demeures de type unifamilial neuves auront alors tendance à se construire encore plus en périphérie, le long des grands axes routiers, dans la « deuxième ou troisième couronne » (Fortin, 2002). Nous observons dans ces nouveaux développements périurbains plusieurs caractéristiques qui définissaient les premières banlieues, soit une population relativement homogène du point de vue socio-

connaîtront à leur tour, dans quelques années, le processus de vieillissement des « premières banlieues », selon un phénomène d'étalement urbain prévisible, mais difficilement contrôlable. Bien que les « premières banlieues » ressemblent de plus en plus à des quartiers centraux, elles restent néanmoins monofonctionnelles. Les espaces urbanisés sont moins intégrés et moins multifonctionnels, car ils sont construits en fonction d'un accès à l'automobile. Le développement urbain annule la nécessité des commerces et des services d'être situés à distance de marche de ses consommateurs. Germain note que lorsque l'espace s'urbanise, ce n'est pas que l'espace concret qui se modifie, mais aussi le rapport à l'espace et le rapport aux distances (Germain, 1997: 242). En effet, selon Germain et Charbonneau (2002) dans la région montréalaise, du moins, les différents espaces ne se mélangent pas ou peu, que ce soit des espaces de types commerciaux, industriels, résidentiels unifamilial ou résidentiels multifamilial. En outre, les propriétaires de maisons unifamiliales des « premières banlieues » actuelles partagent un mode de vie très similaire avec ceux des banlieues plus récentes.

Compétition entre villes de banlieue

De nombreux auteurs mentionnent le phénomène de la compétition entre les municipalités suburbaines pour attirer de nouveaux ménages. Certains mentionnent l'importance de la croissance manufacturière, institutionnelle, corporative, bureaucratique ou de services de la municipalité suburbaine à savoir laquelle attirera le plus d'habitants, de revenus et d'emplois (Bourne, 1996; Turcotte et Vézina, 2010). Breux et Bherer (2009) démontrent plutôt que l'élection d'un lieu de résidence atteste du choix d'une communauté de valeur plutôt que d'un territoire. Ainsi, alors que Bourne met l'accent sur une compétition au niveau des ressources offertes à ses citoyens, Breux et Bherer soulignent l'importance d'une cohérence idéologique et politique pour attirer de nouveaux habitants.

Sandrine Jean expose aussi une autre forme de compétition: celle qui oppose les villes de banlieues aux quartiers-centraux pour attirer les jeunes ménages de la classe moyenne. En effet, le nombre de jeunes familles qui déménagent des quartiers centraux vers la banlieue pour y élever leur famille est non-négligeable (près de 20,000 personnes par an), ce qui a conduit la ville de Montréal à mettre sur pied une campagne publicitaire destinée à retenir ces

jeunes ménages (Jean, 2004). Selon la chercheure, Laval serait, aux dires des répondants, un bon entre-deux entre la ville et la banlieue; entre l'urbain et le vert (Jean, 2014: 125).

En somme, le paysage de la banlieue est en constante fluctuation. Les « premières banlieues » construites à partir des années 1960 vieillissent. Certains de ces quartiers sont réinvestis par une population plus jeune ou plus riche, mais les nouveaux développements semblent s'étirer de plus en plus loin en périphérie, dans le secteur périurbain. Cette section a permis de bien délimiter la théorie en lien avec l'environnement physique de la ville de Laval. La ville serait prise entre un vieillissement et une diversification socio-économique de sa population, un développement commercial et industriel en plein essor et un désir d'attirer de nouveaux ménages dans un contexte de compétition intermunicipal. Toutefois, cette vision de la banlieue est mécanique et laisse dans l’ombre les rapports identitaires des banlieusards à leur espace. Ce sont ces rapports que nous nous proposons d’explorer dans la prochaine section.