• Aucun résultat trouvé

3 Les données neurologiques

3.5 Les neurotransmetteurs

Hormis les structures cérébrales potentiellement impliquées et leurs interconnexions, il est indispensable d’identifier la nature de ces interrelations et les schémas fonctionnels. En cela, les études pharmacologiques peuvent apporter des informations essentielles à la compréhension du traitement des durées courtes.

Les études pharmacologiques se basent le plus souvent sur l’administration de différentes drogues, agonistes ou antagonistes du neurotransmetteur étudié. Des modifications systématiques de l’expérience subjective peuvent être ainsi obtenues. Il est évident que toutes ces expériences sont réalisées généralement sur des modèles animaux, principalement le rat, capable d’exécuter des tâches temporelles de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes. Les résultats sont donc à considérer comme des pistes de réflexions pour conceptualiser le fonctionnement de l’horloge interne, mais avec toutes les restrictions qui en découlent. Par ailleurs, l’essentiel des informations concerne la dopamine et les noyaux gris centraux, ce qui est restrictif par rapport au rôle du cervelet. Cependant, les informations recueillies permettent d’élaborer un modèle de fonctionnement.

La dopamine, très présente dans les noyaux gris centraux, est un neurotransmetteur essentiel au fonctionnement de l’horloge : l’administration d’un antagoniste (l’halopéridol, un neuroleptique) provoque des surestimations ; quant à celle d’une substance qui favorise la libération de dopamine (méthamphétamine) elle provoque des sous-estimations. Les neurones à dopamine sont donc largement impliqués dans le mécanisme central de l’horloge (Meck, 1996 ; Maricq & Church, 1983 ; Maricq, Roberts & Church, 1981). Au niveau postsynaptique, ce sont les récepteurs D2 de la dopamine qui jouent un rôle majeur dans la détermination du taux d’intégration de l’information temporelle (Meck, 1996 ; Rammasayer & Vogel, 1992). L’étude des synapses à dopamine combinée à l’analyse de la répartition postsynaptique des récepteurs dopaminergiques ont conduit à émettre une hypothèse fonctionnelle : d’une part, le striatum ventral (nucleus accubens) serait impliqué dans les processus motivationnels stimulants et dans la détermination des propriétés de la récompense (approche et action) d’un stimulus, les 2 contribuant à établir une association avec l’importance de la réponse. D’autre part, le striatum dorsal (caudate & putamen) serait

lui impliqué dans les processus d’intégration sensorimotrice (association stimulus/réponse par exemple pour coordonner une réponse avec une entrée sensorielle).

Ces précédentes conclusions concernent là encore des durées supérieures à la seconde. D’autres études suggèrent que le mécanisme de traitement à l’origine de la discrimination temporelle pour les durées de l’ordre de la milliseconde est indépendant du niveau effectif de dopamine dans le cerveau et qu’il existe 2 mécanismes distincts (Rammsayer & Vogel, 1992 ; autres Rammsayer ?). Il faut cependant préciser que les substances utilisées dans ces expériences ne sont pas les mêmes (halopéridol et éthanol) et que leurs propriétés peuvent expliquer cette divergence. Il existe donc une ambiguïté dans les résultats liée à cette dualité au sein des durées courtes.

Figure 6 :

Relation entre neurotranmetteurs et structures cérébrales impliquées (d’après Meck, 1996)

Acétylcholine (Ach) ; Dopamine (DA) ; Récepteurs à la dopamine (D1 et D2) ; Encéphaline ; acide γ-aminobutyrique (GABA) ; L-glutamate (Glu) ; Substance P .

Cortex Striatum Thalamus GPext Noyaux Subthalamiques GPint Substance Noire compacte réticulée Glu Glu Glu Glu Glu Glu Gaba Gaba SubstanceP Gaba Encéphaline DA Récepteur D1 Récepteur D2 Ach

Par ailleurs, la dopamine est un neurotransmetteur que l’on trouve dans le cortex préfrontal et de plus en plus d’études montrent qu’un de ses récepteurs particuliers, le récepteur D1, joue un rôle critique dans l’efficacité de la mémoire de travail (Block, 1992). Certaines drogues qui influencent les jugements temporels prospectifs agiraient ainsi parce qu’elles influencent ces récepteurs D1 de la dopamine dans le cortex préfrontal. Les agonistes tendent à allonger la durée jugée en prospective (i.e. ils augmentent la durée subjective), alors que les antagonistes de la dopamine tendent à raccourcir la durée prospective (Hicks, 1992).

La dopamine n’est pas le seul neurotransmetteur engagé dans les circuits neuronaux du traitement temporel. Le glutamate est aussi impliqué, par le biais de son interaction avec la dopamine. Cette interaction au sein du striatum influerait sur la détermination de la vitesse de l’horloge interne. Un rétrocontrôle négatif via une boucle cortico-striato-thalamo-cortical servirait à protéger le cortex d’une surcharge d’information et d’une hyperstimulation. Ainsi, anatomiquement des neurones excitateurs (glutamate) projettent du cortex au striatum, les inhibiteurs (GABA) projettent du complexe striatal (probablement via les noyaux subthalamiques) vers le thalamus et des excitateurs (glutamate/aspartate) du thalamus vers le cortex.

D’autres études ont montré l’implication de la sérotonine (Ho, Velázquez-Martínez, Bradshaw & Szabadi, 2002).

Les boucles striato-cortical constitue le meilleur candidat comme base de fonctionnement à l’horloge interne dans la mesure où ces circuits ont été les plus systématiquement étudiés dans le cadre du traitement des durées supérieures à la seconde. Le principal neurotransmetteur serait donc la dopamine, confirmant par la même l’hypothèse d’une localisation de l’horloge dans les noyaux gris centraux. Cependant, compte-tenu de résultats contradictoires, des recherches complémentaires sont indispensables pour élucider complètement les mécanismes à la source de l’horloge et toujours avec la réserve que ces résultats concernent des durées supérieures à la seconde.

 Ÿ ¡ £ ¥ §

La première conclusion de cette revue des données neurologiques est que les résultats ne convergent pas pour désigner une structure cérébrale particulière comme siège de l’horloge. Les données sont difficiles à interpréter sur un même plan en raison des contraintes

expérimentales, de problèmes méthodologiques et des questions posées par les auteurs. Tous ces points sont encore fortement dépendants de l’étude en question.

Les 2 structures cérébrales qui semblent être le siège de l’horloge sont le cervelet et les noyaux gris centraux. Globalement, les résultats des études mettent en évidence la scissure entre durées perçues et durées estimées. Un certain nombre d’auteurs suggèrent qu’il existe 2 structures de traitements distinctes (Hazeltine, Helmuth & Ivry, 1997 ; Wittman, 1999). Le traitement des durées allant de quelques fractions de secondes à quelques secondes relèveraient de cervelet et celui des durées de quelques secondes à quelques minutes dépendrait des noyaux gris centraux. Chacune de ces structures aurait son propre mode de traitement de représentation des durées. Le cervelet aurait un mécanisme basé sur un système d’intervalles qui servirait de référence. Le système localisé dans les ganglions de la base reposerait sur un mécanisme type horloge, où l’existence d’une base de temps, sous forme de pulses, permettrait de quantifier (par comptage des pulses écoulés) la durée. Ces 2 systèmes ont été respectivement à l’origine du développement d’un modèle correspondant qui seront évoqués dans le chapitre suivant.

Pour finir, il ne faut pas négliger le rôle du cortex, et du cortex préfrontal en particulier dans les processus périphériques. Il serait responsable de la rétention des informations perçues pendant une unité perceptive dans la mémoire de travail. Enfin, il est envisageable que les noyaux suprachiasmatiques, siège de l’horloge circadienne, chapeautent ou interagissent avec les autres structures et qu’ils puissent influencer le traitement des durées courtes.