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Informations apportées par l’étude de la variabilité

Dans la mesure où les tâches de traitement temporel sont généralement bien réalisées par l’adulte, la variabilité intra-individuelle, en particulier celle issue des tâches de TMS et de continuation, constitue un moyen pour comprendre le fonctionnement de notre mécanisme de traitement des durées. A l’heure actuelle, les protocoles expérimentaux permettent des relevés précis de la date des réponses et donc de leur variabilité. Ce paragraphe synthétise les informations apportées par l’étude de la variabilité relevée chez l’adulte dans différentes tâches temporelles en présentant les modèles mathématiques construits à partir de ces informations.

La loi de Weber (1834, cité dans Sternad, Dean & Newell, 2000) a été le point de départ de l’étude de la variabilité du traitement temporel (Allan & Kristofferson, 1974 ; Allan, 1979). Elle postule la proportionnalité entre le seuil de discrimination et l’intensité du stimulus, quelle que soit la modalité perceptive considérée. Un corollaire de cette loi de Weber est que la variabilité des IRI est proportionnelle (fraction de Weber) à la moyenne des IRI. En ce qui concerne l’étude du traitement temporel, l’idée la plus communément admise est que c’est la variance qui augmente linéairement avec l’ISI (McGill & Gibbon, 1965 ; Wing, 1980 cités dans Collyer & Church, 1998 ; Creelman, 1962). D’autres auteurs postulent eux que l’écart-type progresse linéairement en fonction de l’ISI (« Scalar Timing Theory ») (Gibbon, 1977, 1991 ; Gibbon, Church & Meck, 1984 ; Ivry & Hazeltine, 1995).

Les études pour modéliser la variance ont montré qu’elle peut être décomposée en 2 sources de variance, l’une temporelle et l’autre non liée au temps (Wing & Kristofferson, 1973 a, b ; Ivry & Hazeltine, 1995 ; Semjen & al., 1998, 2000). Le modèle de Wing et Kristofferson (1973a, b) a établi la relation suivante sur les délais entre les réponses (IRI) :

I

n

= T

n*

+ M

n

- M

n-1

(1)

Pour le nième intervalle de la séquence de TMS, In représente le nième IRI. Tn* est la représentation centrale du nième intervalle à produire. Mn-1 et Mn sont les délais d’exécution motrice. Selon cette relation (1), un IRI mesuré est donc la transcription de l’intervalle généré au niveau central (Tn*) auquel il faut ajouter le délai moteur pour produire la réponse (Mn) et soustraire le délai moteur de la frappe précédente (Mn-1 qui marque le début de l’intervalle In). L’intervalle généré par l’horloge et les délais moteurs sont assimilés dans ce modèle à des variables aléatoires indépendantes de variances respectives σT² et σM². En conséquence, la variance mesurée se décompose comme suit :

Var (In) = σT² + 2.σM² (2)

Une source de variance des IRI est liée au fonctionnement de l’horloge interne qui génère des intervalles statistiquement équivalents. Cette source de variance dépend directement de l’intervalle cible à produire. L’autre source est liée au délai moteur qui englobe à la fois le délai de transduction du signal et la production motrice proprement dite. Cette variance est indépendante de l’intervalle à produire. Ce modèle à 2 niveaux de variances (composante centrale et composante motrice) rend compte de la propriété de linéarité issue de la loi de Weber. En effet, 1 des 2 sources de variances (la composante centrale) varie linéairement en fonction des IRI et que l’autre (la composante motrice) est constante, l’ensemble constitue donc une fonction linéaire (Wing, 1980, cité dans Wing, 2002) et permet de retrouver la loi de Weber.

Un autre point essentiel de ce modèle est qu’il repose sur l’hypothèse que les IRI adjacents sont corrélés négativement et que les IRI non adjacents ne sont pas corrélés entre eux (cf. équation (1)). La relation de covariance est la suivante :

cov (In-1, In) = - σM² (3)

Pratiquement, cette corrélation permet de calculer la variance liée à la composante motrice à partir de la covariance négative entre les IRI adjacents. La variance de la composante centrale est obtenue par soustraction de la variance totale (cf. équation (2)). Ce modèle permet ainsi d’estimer la variabilité liée strictement à l’horloge, indépendamment de la composante motrice (qui peut être perturbée dans certaines études cliniques par exemple).

Le modèle résumé ci-dessus représente une première approximation du fonctionnement de l’horloge. Cependant, il est basé sur les tâches de TMS essentiellement. Ce modèle a donc été étendu par la suite aux tâches de synchronisation, afin de modéliser de façon globale le mécanisme de production d’intervalles. Ce travail a conduit à des ajustements des équations pour tenir compte de l’influence du rétrocontrôle sensoriel. Une correction linéaire de l’intervalle généré par l’horloge a ainsi été introduit (Vorberg & Wing, 1994, 1996, cités dans Semjen & al., 1998 ; Semjen, & al. 2000 ; Schulze & Vorberg, 2002). L’équation initiale (1) n’est pas modifiée, seul le terme dépendant de l’horloge l’est comme suit :

T

n*

= T

n

- α . A

n-1

L’intervalle généré initialement par l’horloge est Tn. Cet intervalle est corrigé en soustrayant une proportion fixe (facteur α) de l’asynchronie précédente (An-1) (cette correction peut être

étendue aux 2 asynchronies précédentes, en faisant intervenir un facteur de proportionnalité β supplémentaire). Comme il l’a été mentionné plus haut, la période des intervalles de l’horloge est adaptée initialement (Semjen & al., 1998) et elle est stabilisée pendant la phase de synchronisation (Semjen & al., 2000). L’horloge corrige seulement les différences de phase entre les ISI et les réponses, en ajustant localement l’intervalle Tn en tenant compte de la dernière erreur de synchronisation An (importance du rétrocontrôle dans la phase de synchronisation). Cette nécessité d’ajustement local de la réponse est par ailleurs en accord avec l’interprétation de Collyer (Collyer & al., 1992, 1994) selon laquelle les valeurs prises par la période de l’horloge sont des valeurs discrètes.

Ce modèle est l’objet d’études spécifiques incluant le calcul d’estimateurs des différents paramètres et des simulations d’autant plus complexes que le modèle se généralise (Semjen & al., 2000). Caractériser les intervalles produits par l’horloge (composante centrale de la variabilité) à partir des intervalles mesurés expérimentalement est donc un exercice complexe qui fait intervenir de nombreux paramètres, eux même à évaluer.

Il doit être précisé que ces modélisations ne présagent en rien de la façon dont les intervalles Tn sont eux-mêmes produits fondamentalement. Cependant, il existe des hypothèses sur les moyens qui permettent à l’horloge de mettre en relation la valeur de l’intervalle qu’elle produit (Tn) et la valeur de l’ISI cible lors d’une tâche de synchronisation. Ces moyens sont eux-mêmes sources de variabilité car l’horloge interne doit opérer une approximation de l’intervalle cible en utilisant les ISI perçus. Selon les auteurs, les valeurs des ISI sont moyennées au fur et à mesure qu’ils sont perçus (multiple-look model, Drake & Botte, 1993) ou c’est la distribution des valeurs déjà présentées qui permet de déterminer la valeur de l’intervalle à générer (Scalar Timing Theory, Gibbon & al., 1984). Dans ce dernier cas, la réponse est produite quand le temps perçu est suffisamment proche de la valeur échantillonnée en mémoire. La proximité de l’intervalle Tn avec la valeur cible est mesurée par l’écart à la moyenne :

(T

n

-m) / m

Dans cette relation, m est la valeur échantillonnée. La frappe suivante est produite lorsque ce ratio est inférieur à un seuil (par exemple : 10%).

Ces prédictions ont été confirmées par les données expérimentales (Wing, 2002) et ont donné lieu à des méthodes d’estimation de différents paramètres et à des simulations mathématiques (Kampen & Snijders, 2002). A noter qu’il semble exister un biais par rapport aux prédictions

lié à un nombre trop faible d’IRI dans la séquence (Wing, 1979 cité dans Wing2002) ; à l’inverse dans les séquences trop longues d’IRI, un effet de dérive est observé (Madison, 2001).

A l’heure actuelle, les modélisations des sources de variabilité sont en cours de développement. Leur intérêt est de formuler des hypothèses quant au fonctionnement formel de l’horloge, la question fondamentale étant de savoir comment l’intervalle Tn est mesuré au sein de l’horloge et quelles en sont les bases biologiques. Par ailleurs, ils ne rendent pas compte de tous les phénomènes et ne font pas intervenir le concept de fenêtre temporelle, ni les phénomènes cognitifs comme par exemple l’attention dédiée à la tâche de traitement temporel (Schulze & Vorberg, 2002).