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La question de l’identification des problématiques éthiques soulevées par les TS

SOURCES LES QUESTIONS ETHIQUES

2. Les méthodes d’identification des problématiques éthiques des TS

Les travaux de Moor (1985 ; 2005) sur les problèmes éthiques et les stades d’évolution technologique ainsi que ceux de Brey (2012) sur l’anticipation des problématiques éthiques émergentes sont à l’heure actuelle parmi les plus importantes publications sur la méthode d’identification des problèmes éthiques des TSI. D’autres auteurs se sont intéressés à ce sujet, dans le cadre particulier du commerce électronique (Kracher et Corritore, 2004). Ils proposent un cadre d’analyse de l’éthique du e-commerce comprenant trois niveaux : les principes moraux généraux et les idéaux, les normes et règles morales et enfin les recommandations spécifiques et les injonctions.

2.1. Le niveau d’évolution technologique

Le niveau d’évolution de la technologie fait référence aux différentes étapes du cycle de croissance et de maturité de la technologie. Selon Moor (2005) les problématiques éthiques s’accroissent et s’intensifient au fur et à mesure de l’évolution de la technologie.

Moor (2005) a développé un modèle bien établi de l’évolution des technologies. Ce modèle tripartite analyse l’évolution technologique selon trois stades de développement : le stade d’introduction, le stade de diffusion et le stade de la puissance (Introduction, Permeation, Power). D’un point de vue théorique, ce modèle tripartite repose sur la Loi de Moor selon laquelle l’impact social d’une technologie et les problématiques éthiques qu’elle engendre s’amplifient à mesure que la technologie évolue vers le stade de la puissance.

“Moor’s Law: As technological revolutions increase their social impact, ethical problems increase.”

(Moor, 2005 p. 117).

L’avantage de ce modèle réside dans le fait qu’elle est applicable à presque l’ensemble des technologies de l’information et de la communication, même s’il n’est pas établi que toutes les technologies suivent nécessairement ce processus de développement.

1er Stade Introduction : C’est le début de l’implémentation de la technologie, le nombre

d’utilisateurs est limité à un cercle d’initiés. La technologie est vue comme un objet de curiosité intellectuelle et a un coût relativement élevé.

2e Stade Diffusion : La technologie devient plus standardisée et le nombre d’utilisateurs augmente de plus en plus. Son impact social devient notable et son coût de moins en moins élevé.

3e Stade Puissance : La technologie est définitivement établie et largement utilisée par

un nombre ne croissant de personnes. Son prix diminue considérablement tandis que son impact sur la société est très significatif.

Les travaux de Brey (2012) ont contribué à l’amélioration du modèle de Moor. Selon Brey, pour anticiper les problèmes éthiques, il est pertinent d’ajouter à ce modèle de Moor une 4e étape qui se positionne avant les trois autres stades d’évolution technologique : le stade 1 qu’il appelle Recherche et développement. Ainsi, il apporte au modèle de Moor une approche proactive pour l’identification voire l’anticipation des problématiques éthiques à chaque stade d’évolution de la technologie. Chaque stade de développement coïncide avec des types de problématiques spécifiques (voir tableau 12).

Stades d’évolution des technologies Coût par utilisation Utilité Intégration dans la société Impact social Problémati- ques éthiques Stade 1 Recherche et développement

Indéterminé Très limitée Inexistante Inexistant Problématiques futures ou probables

Stade 2 Introduction

Elevé Limitée Mineure Marginal Problématiques

nouvelles et/ou émergentes

Stade 3 Diffusion

Moyen Modérée Modérée Notable Problématiques

émergentes et/ou actuelles

Stade 4 Puissance

Bas Elevée Majeure Très

significatif

Problématiques actuelles et manifestes Tableau 12 : Processus d’évolution technologique, impact social et types de problématiques, (adapté

2.2. L’identification et l’évaluation des problématiques éthiques

Sous l’impulsion des travaux de Moor, Brey (2012) a élaboré une nouvelle approche de l’éthique des technologies de l’information appelée l’éthique technologique d’anticipation (anticipatory technology ethics, ATE). Il s’agit d’un cadre d’analyse qui permet d’identifier et d’anticiper les problèmes éthiques soulevés par les TSI. Il comporte trois niveaux d’analyse : le niveau technologique, le niveau de l’artefact et le niveau de l’application.

L’approche de Brey propose donc un cadre d’analyse des problématiques éthiques comportant trois niveaux d’analyse :

1er niveau : Technologie : L’analyse éthique se focalise sur les fonctionnalités de la

technologie en général. A ce niveau, les problématiques éthiques sont souvent inhérentes à la nature de la technologie elle-même.

2e niveau : Artefact : L’analyse éthique se concentre sur les fonctionnalités,

composantes, procédures et techniques qui y sont intégrées. Ici, les problématiques sont généralement celles qui relèvent des conséquences néfastes et des risques que peuvent engendrer ces outils.

3e niveau : Application : L’analyse éthique se focalise sur l’utilisation concrète de la technologie, de ses composantes et des techniques et procédures qui la mettent en œuvre pour un but particulier, dans un domaine spécifique, ou un contexte particulier. Ici les problématiques éthiques sont de plusieurs ordres : les problématiques éthiques relatives aux buts des activités pour lesquelles la technologie est utilisée ; les problématiques relatives aux effets collatéraux et aux conséquences imprévisibles provenant de l’usage de la technologie dans certains contextes ou par certaines catégories d’utilisateurs ; les problématiques éthiques relatives aux droits et aux intérêts des parties prenantes susceptibles d’être affectées par un usage particulier de la technologie, de ses composantes ou des procédures et techniques qui la mettent en œuvre.

2.3. L’évaluation des problématiques éthiques

L’évaluation des problématiques éthiques est essentielle à plusieurs égards. D’une part, elle intervient a priori dans toutes les étapes du processus individuel de prise de décision éthique. D’autre part, elle permet a posteriori d’apporter des réponses appropriées aux problématiques éthiques et contribue à l’efficacité des démarches collectives ou organisationnelles d’audit et de mise en place de règles de bonne conduite.

Le modèle de mesure de l’intensité morale de Jones (1991) analyse et évalue l'ampleur de la question morale par rapport à une situation donnée. Selon cette approche, plus la problématique éthique a une forte intensité morale, plus elle développe chez l’acteur une intention morale et conduit à des comportements éthiques. Cette méthode permet de déterminer par ailleurs les problématiques éthiques les plus importantes dans l’usage des TSI.

Des travaux ultérieurs ont par la suite plus ou moins validé certaines composantes des critères de mesure de l’intensité morale (Marshall et Dewe, 1997 ; Frey 2000). Pour ces chercheurs, seuls les critères de l’ampleur des conséquences et du consensus social sont significatifs dans la mesure de l’intensité morale d’une situation donnée ou d’une problématique éthique. Peslak (2008) a démontré qu’il existe des différences majeures quant à l’importance relative des 6 composantes de l’intensité morale de Jones (1991). Les critères de l’ampleur des conséquences, le consensus social, les autres critères tels que la proximité, et la probabilité de l’effet bien que décisifs ont une influence limitée sur la formation de l’intensité morale eu égard aux différentes problématiques éthiques étudiées.

En somme, l’ampleur des conséquences et le consensus social apparaissent comme les critères de mesures les plus appropriés pour évaluer l’intensité morale d’une problématique.

Nous verrons dans la section suivante la question de la construction sociale des usages dans le cadre de l’opposition entre le déterminisme social, le déterminisme technologique et la théorie de la co-construction.

Section 3 :

La construction sociale des usages : entre le déterminisme social, le