Grille de lecture et d’analyse des problématiques relatives à l’usage éthique des TS

Dans la continuité des travaux de Moor (1985 ; 2005) et Brey (2012), nous élaborons une grille de lecture et d’analyse de l’usage éthique qui permet l’identification des problématiques éthiques ainsi que des principes de « bon usage ». Elle est applicable dans le cadre organisationnel, sociétal, ou du secteur d’activité.

Elle peut également servir de cadre analytique dans un contexte particulier comme l’étude spécifique d’une technologie de l’information et de la communication tout au long des stades de son processus de développement. La grille comprend trois niveaux de lecture et d’analyse : la détermination du niveau d’évolution technologique (1), la détermination des parties prenantes (2) et l’identification et l’analyse des problématiques éthiques et principes d’usage (3) (voir figure 6). Cette grille de lecture s’appuie sur les travaux de Moor (1985 ; 2005) sur l’éthique des TI et les stades de l’évolution technologique, et sur ceux de Brey (2012) relatifs à l’anticipation des problématiques éthiques émergentes.

Cette grille permet de fournir un cadre analytique qui permet de cartographier, à un instant donné, les problématiques éthiques actuelles et/ou émergentes et les principes d’usage d’une technologie en particulier, d’une application, d’une plate-forme collaborative ou du système d’information d’une organisation.

Figure 6 : Étapes de la grille de lecture et d’analyse de l’usage éthique.

2.1. La détermination des parties prenantes et du niveau d’évolution de la technologie

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1er _{(Section 3,-3.), les parties prenantes sont} définies généralement comme tout individu ou groupe d’individus qui peut « affecter ou être affecté » par l’exercice d’une activité (Freeman 1984, Mitchell, Agle et Wood 1997). En matière de TSI, ce sont toutes les personnes susceptibles d’affecter ou d’être affectées par l’usage d’une technologie de l’information. Cela va du concepteur à l’utilisateur final et peut inclure les non-utilisateurs dès lors qu’ils sont directement ou indirectement touchés par l’usage de la technologie.

L’importance de la détermination des parties prenantes repose sur le fait qu’elles sont souvent de manière directe ou indirecte à l’origine des problématiques éthiques des TSI, et en subissent généralement les conséquences. Par ailleurs ce sont les parties prenantes qui, en réalité, définissent les pratiques sociales et les principes d’usage des TSI dans le cadre de la dynamique de co-construction sociomaterielle des usages et de la technologie (Orlikowski et Scott 2008, Leonardi 2011).

Les parties prenantes varient selon que l’analyse des problématiques éthiques porte sur une technologie particulière, ou sur un contexte global, en l’occurrence une organisation ou un secteur d’activités. Mais généralement, on établit une distinction entre les parties prenantes internes et les parties prenantes externes. Par exemple dans le cadre d’une analyse des problématiques éthiques du système d’information d’une entreprise, les parties prenantes seraient : en interne les dirigeants, les salariés, les propriétaires, les concepteurs du système ;

La détermination des parties prenantes de la technologie

La détermination du niveau d’évolution de la technologie

L’identification et l’analyse de problématiques éthiques et des principes d’usage

en externe, les fournisseurs, les clients, les pouvoirs publics et le cas échéant les concurrents et les populations concernées par la zone d’activité de l’entreprise.

L’importance ou l’acuité des problématiques éthiques se pose et s’analyse différemment selon la partie prenante dont il s’agit. Egalement, leur nombre ainsi que leur degré d’implication va évoluer positivement ou négativement en même temps que l’évolution de la technologie. D’où la nécessité de déterminer le stade d’évolution dans lequel se trouvent le ou les technologies en cause.

2.2. La détermination du niveau d’évolution de la technologie

Concernant la détermination du niveau d’évolution de la technologie, les travaux de Moor (2005) que nous avons exposés dans le chapitre 2 (Section 2,-2.1.), font référence en la matière. En effet, selon Moor (2005), les problématiques éthiques s’accroissent à mesure que la technologie évolue vers le stade de la Puissance.

Moor (2005) distingue trois stades de développement de la technologie : (1) l’Introduction, (2) la Diffusion et (3) la Puissance. Dans le premier stade les problématiques éthiques et leurs implications sociales sont très marginales, dans le deuxième, elles sont notables et dans le troisième elles deviennent très significatives.

Par la suite, Brey (2012) a proposé d’intégrer un stade supplémentaire qu’il nomme « Recherche et développement », dans lequel les problématiques éthiques et leurs implications sociales sont quasi inexistantes. Cenpendant, il préconise de prendre en compte ce stade qui vient avant les autres pour permettre aux concepteurs des outils technologiques d’anticiper les problématiques futures ou probables qui peuvent découler de l’usage des technologies en phase de recherche et développement.

C’est dans cette même perspective que Bjørn et Østerlund (2014), dans le cadre de l’étude des systèmes d’information dans les services d’urgence hospitalier, soulignent l’importance de prendre en compte, dès la conception des outils de gestion, l’aspect sociomatériel de ce type de service.

2.3. L’identification et l’analyse de problématiques éthiques

Les problématiques éthiques peuvent être identifiées et analysées selon trois niveaux d’analyse : (1) au niveau de la technologie elle même, (2) de ses artéfacts et (3) de ses applications particulières (Brey 2012).

Cependant, pour une prise en compte complète de l’éthique dans les différents stades d’évolution de la technologie et du point de vue des différentes parties prenantes, il est essentiel à notre avis d’ajouter un quatrième niveau d’analyse qui se positionne avant les 3 premiers niveaux d’analyse de Brey. Nous l’appellerons Niveau 1 : Valeurs et principes éthiques fondamentaux (voir tableau 14). Elle comporte l’ensemble des valeurs jugées fondamentales dans un contexte historique et socio-culturel donné.

L’ajout de ce niveau d’analyse est fondamental, il permet de matérialiser la prise en compte des considérations éthiques en amont depuis les premières phases de recherche et développement jusqu’aux usages effectifs de la technologie. Le niveau Valeurs et principes éthiques fondamentaux doit servir de repère opérationnel à chaque étape, de la recherche et du développement jusqu’à l’utilisateur final en passant par la conception de la technologie et de ses fonctionnalités et ses diverses applications et usages.

Chez les différentes parties prenantes de la technologie, ce niveau d’analyse Valeurs et principes éthiques fondamentaux a pour fonction d’encourager les comportements éthiques en évaluant leurs actions selon le filtre des valeurs et principes à protéger, de les guider lorsqu’ils sont confrontés à des dilemmes éthiques, de les ‘éduquer’ et dans une certaine mesure de les ‘discipliner’.

Par ailleurs, l’adjonction de ce niveau d’analyse se justifie par une conception largement partagée par les pionniers de l’éthique des TSI selon laquelle les traditions éthiques de la philosophie morale et les principes et valeurs fondamentaux de l’être humain doivent servir de cadre pour analyser les problématiques actuelles ou émergentes engendrées par la technologie informatique (Maner 1980, 1996 ; Wiener 1950 ; 1964). (Voir tableau 14).

Niveaux d’analyse Objet (champ) de l’analyse éthique

Problématiques éthiques et principes d’usage relatif…

Niveau 1