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Cadre théorique de l’étude : Rôle de la culture dans l’analyse du positionnement moral de l’organisation

Comme nous l’avons abordé dans la construction du cadre théorique de cette recherche, l’approche développementale analyse la prise de décision éthique à l’aune du développement moral cognitif (Chapitre 1, Section2, -1.2). En effet le modèle de développement moral de l’individu de Kohlberg (1969, 1981) a été transposé dans le cadre organisationel (Reindenbach et Robin 1991 ; Sridhar et Camburn 1993 ; Logsdon et Yuthas 1997) en raison des similitudes qui existent entre l’apprentissage individuel et l’apprentissage de l’organisation (Hedberg, 1981 ; Cyert and March, 1963 ; Simon, 1957). En conséquence nous proposons de mettre l’accent sur la dimension culturelle qui joue un rôle clé dans le positionnement moral des organisations.

1. Le rôle de la culture organisationnelle dans le développement moral de l’organisation

Dans la droite ligne de l’approche développementale, Reindenbach et Robin (1991) ont proposé un modèle conceptuel du développement moral de l’organisation qui distingue cinq types d’organisations en fonction de la culture éthique : les organisations amorales, les organisations légalistes, les organisations sensibles à l’éthique, les organisations émergentes en matière d’éthique et les organisations éthiques (Voir tableau 30). En effet le modèle repose sur l’idée selon laquelle le développement moral de l’organisation est déterminé par la culture organisationnelle et réciproquement.

« The moral development of a corporation is determined by the organization's culture and, in reciprocal fashion, helps define that culture. In essence, it is the organization's culture that undergoes moral development”.

(Reindenbach et Robin 1991 p.273).

Il est important de souligner que toutes les organisations ne passent pas nécessairement à travers ces cinq stades, et toutes ne sont pas destinées à être des organisations éthiques. Le dernier stade de développement moral de l’entreprise dépend de plusieurs facteurs parmi

lesquels : les fondateurs de l’organisation et leurs valeurs, les stratégies managériales de la direction, les facteurs environnementaux, l’histoire de l’organisation et le secteur d’activité. Le développement moral de l’organisation ne s’inscrit pas nécessairement dans un processus continu et invariable (Reindenbach et Robin 1991).

Les principales sources de la culture organisationnelle proviennent des valeurs et des croyances des membres de l’organisation et plus particulièrement des dirigeants (Schein, 1983), et de l’effet positif dû à la réussite de l'organisation dans la résolution des problèmes survenus et la réalisation des objectifs (Schwartz et Davis, 1981).

Niveau de développement moral Attitude et approche managériale Aspects éthiques de la culture organisationnelle Outils et politiques en matière éthique Stade 1 Organisation amorale

Tous les moyens sont bons. C’est éthique tant

qu’on ne s’est pas fait attraper

Culture « hors la loi »

Etre dur, rapide et efficace Amasser tout ce qu’on peut avoir

Absence de code éthique ou d’autres documents ou d’ensemble de valeurs Stade 2 Organisation légaliste

Jongler avec les règles légales. combattre les changements législatifs qui affectent les résultats de l’entreprise. Utiliser les relations publiques pour limiter les dégâts en cas de survenance de problèmes sociaux

Culture « du légal », si c’est

légal c’est ok

Travailler en zone grise et prévoir des échappatoires La performance économique prime sur les évaluations et les récompenses

Un code éthique s’il en existe un est souvent un document interne (règlement intérieur) « Ne rien faire qui pourrait nuire à l’organisation ». « soyez un soldat de l’entreprise » Stade 3 Organisation sensible en matière d’éthique

Prise en compte de valeurs autres que celles prescrites par les dispositions légales. Recherche d’un équilibre entre le profit et les considérations éthiques, même si le credo reste « ethics pays » Tentative de mise en place d’actions managériales sensibles à la question éthique

Prémisses d’une culture de

« l’entreprise responsable et citoyennne »

Prise en compte de l’intérêt des parties prenantes

Le code a une orientation externe et reflète les attentes de l’opinion publique (image de

l’organisation). Les autres outils en matière éthique sont peu développés Stade 4 Organisation émergente en matière d’éthique L’organisation expose activement sa préoccupation pour des résultats éthiques. Les valeurs des dirigeants deviennent les valeurs de l’organisation.

Culture « des valeurs éthiques »

Ces valeurs fondamentales permettent de fournir une orientation dans certaines situations.

Les codes éthiques deviennent des documents d’action. Les articles du code reflètent les valeurs fondamentales de

L’entreprise met l’accent sur l’éthique mais manque d’organisation et de planification à long terme. Le management éthique connait des succès et des échecs

Une culture moins réactive et plus proactive aux problèmes sociaux quand ils surviennent

l’organisation. Les guides, les

déclarations, les comités éthiques, les médiateurs sont parfois utilisés.

Stade 5 Organisation éthique

Recherche d’équilibre entre les impératifs éthiques et les impératifs économiques. L’analyse éthique est

entièrement intégrée dans les missions et dans le plan stratégique.

Utilisation de l’analyse SWOT24 pour anticiper les

problèmes et trouver des solutions alternatives

Culture « éthique effective »

Les valeurs éthiques

soigneusement sélectionnées reflètent le profil de

l’organisation et guide ses actions

Culture organisationnelle planifiée et dirigée vers l’éthique.

L’embauche, la formation, les primes et les licenciements obéissent aux règles éthiques de l’organisation

Les documents mettent l’accent sur le profil et les valeurs éthiques fondamentales de l’organisation.

A tous les niveaux, tous les documents de l’organisation reflètent ces valeurs

Tableau 30 : Stades de développement moral et culture organisationnelle, (Adapté de Reindenbach et Robin, 1991)

24 SWOT (Strengths Weaknesses Opportunities and Threats) est un outil d’analyse qui sert à évaluer ou à diagnostiquer un projet, une politique ou une stratégie à travers quatre facteurs : les forces, les faiblesses, les opportunité et les menaces.

2. L’importance de la culture organisationnelle dans l’éthique des TSI

Dans les sciences humaines et sociales, la conception dominante appréhende la culture comme un ensemble de valeurs, de représentations et de croyances destinées à orienter les comportements individuels au sein d’un groupe (Rokeach 1973 ; Morin 1975 ; Gaudibert 1977 ; Schein, 1983).

« La culture constitue un corps complexe de normes, symboles, mythes et images qui pénètrent l'individu dans son intimité, structurent les instincts, orientent les émotions »

(Morin 1975 p.13).

Hofstede (1980 ; 2004) analyse la culture comme « la programmation collective de l'esprit qui distingue les membres d'un groupe ». Il identifie plusieurs niveaux d’expression et d’analyse du phénomène culturel : le niveau national, organisationnel, professionnel, et selon les genres (masculin/féminin). Pour certains auteurs, il est évident que le développement moral de l’organisation à travers la prise en compte des considérations éthiques est intrinsèquement lié à la culture organisationnelle (Dalla Costa 1998). Pour fonder et pérenniser les valeurs éthiques d’une organisation, il faut que celles-ci émergent de l’interne, et soient développées au sein « de la culture unique de l’organisation ». (Dalla Costa 1998). La culture éthique organisationnelle est par ailleurs perçue comme un processus dynamique.

En effet, des études ont démontré l’importance de la culture éthique organisationnelle dans la construction de l’éthique informationnelle. Ainsi, le facteur le plus déterminant dans les comportements éthiques concernant l’usage des TSI est le contexte organisationnel, c’est- à-dire « l’environnement éthique de l’organisation » (Banerjee, Cronan et Jones 1998). Dans les organisations, l’importance de l’éthique dans la de prise de décision des managers est fortement influencée par les caractéristiques de l'environnement éthique de l'organisation (Ferrell and Gresham 1985 ; Trevino 1986) :

“The most important variable in explaining ethical behaviour intention was the organization- scenario variable (…). In addition, an individual's personal normative beliefs and organizational ethical climate were statistically significant variables. Moral judgement and attitude were not statistically significant”

Les décisions de changement ou d’implantation des SI mettent en jeu les valeurs fondamentales et la culture de l’entreprise. Ces décisions peuvent promouvoir ou porter atteinte aux valeurs revendiquées par l’organisation. En effet, l'adoption d'un nouveau système d'information (ou un changement dans un système d'information existant) implique une négociation entre les acteurs. Les concepteurs des systèmes doivent négocier avec différents groupes et individus sur la façon dont le système sera mis en œuvre.

Jin et Drozdenko (2010) ont démontré, dans le cadre d’une étude sur les professionnels des TSI, la relation qui existe entre les valeurs de base de l’organisation, la responsabilité sociale, l’éthique et la performance économique de l’organisation. L’étude démontre que : plus l’entreprise est performante en matière de responsabilité sociale, plus ses employés sont éthiques, il existe une relation entre les comportements éthiques revendiqués et prônés par l’organisation et les mesures globales de performance organisationnelle, car l’éthique et la RSE affectent à leur tour les résultats de l’entreprise :

“Managers from organizations with organic core values reported a higher level of social responsibility relative to managers in organizations with mechanistic values; that managers in both mechanistic and organic organizations which were perceived as more socially responsible were also perceived as more ethical; and that perceived ethical attitudes and social responsibility were significantly associated with organizational performance outcome measures.”

Jin et Drozdenko (2010 p.341).

Par ailleurs, d’autres études menées aux Etats-Unis en 2005 par l’ERC (Ethics Ressource Center) montrent l’importance de la culture organisationnelle dans les comportements éthiques des employés. Selon cette étude, 70% des employés travaillant dans des organisations à faible culture éthique ont observé des violations éthiques, contre 34% pour les organisations ayant une forte culture éthique (Verschoor 2005).

Dans cette optique, la mise en place des valeurs éthiques de l’entreprise ne doit pas être un exercice imposé par les dirigeants de l’entreprise, mais un processus de concertation auquel doivent participer toutes les parties prenantes concernées. Les politiques et outils pour promouvoir une éthique des TSI dans l’organisation doivent s’inscrire dans le cadre global de la culture éthique de l’entreprise. Il s’agit de mettre en place dans l’organisation un système de valeurs de base qui prône le partage du pouvoir, la transparence dans l’information, une culture démocratique et la RSE (Jin et Drozdenko 2010).

Section 2 :

Démarche méthodologique

1. Méthode de recueil des données et échantillon de recherche

Notre échantillon de recherche est composé de plusieurs organisations issues de divers secteurs d’activités : entreprises, universités et organismes de recherche, fondations et associations, acteurs de l’industrie du livre, administrations publiques et collectivités territoriales, etc. Concrètement, nous avons étudié les chartes d’usage des TSI de 66 organisations ainsi réparties :

- 18 entreprises parmi lesquelles des grands groupes, des entreprises du secteur informatique et des télécommunications et des entreprises de services, de conseil des organismes financiers ;

- 18 universités et organismes de recherche ;

- 12 associations et organisations à but non lucratif, y compris des fondations et des ONG ;

- 12 organisations de l’industrie du livre, comprenant des entreprises d’édition, des bibliothèques, des librairies numériques et des grands opérateurs de l’industrie du livre numérique ;

- 06 administrations publiques et collectivités territoriales.

En outre pour étudier les différences culturelles, notre échantillon comprend des organisations africaines et des organisations européennes (voir tableau 31)

Le mode opératoire de l’échantillonnage est opportuniste, car les données recueillies, en l’occurrence les chartes éthqiues, sont issues essentiellement d’organisations disposant de chartes d’usage des technologies et systèmes d’information diffusées sur leurs sites Internet.