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Les différentes conceptions de l’éthique des TS

1. Historique et conceptions dominantes de l’éthique des TS

Il est communément admis que l’éthique des technologies et systèmes d’information en tant que champ d’étude a amorcé ses premiers balbutiements vers la fin des années 1940 avec le développement des premières technologies informatiques, sous l’impulsion de Norbert Wiener (1950) et en marge de ses travaux sur la cybernétique (Tavani 2001 ; Bynum 2005). Mais il a fallu attendre les années 1980 pour que des chercheurs et des praticiens comme Maner (1980, 1996), Johnson (1985), Gotterbarn (1991) s’intéressent aux implications éthiques liées aux technologies de l’information pour poser les bases d’une discipline en pleine expansion (Kefi, 2015).

Norbert Wiener (1950), considéré donc comme le pionnier de l’éthique des TSI, estime que les principes de justice tels que : la liberté, l’égalité, la bienveillance et le principe d’atteinte minimale à la liberté doivent servir de cadre d’analyse des problématiques relatives à l’éthique informationnelle : « principle of freedom, principle of equality, principle of benevolence, principle of minimun infrigement of freedom »21. Il en va également pour les couples de valeurs fondamentales de l’être humain qui sont les suivants : la vie et la santé, le travail et la richesse, la créativité et le bonheur, la démocratie et la liberté, la paix et la sécurité (Wiener 1950 ; 1964 ; Bynum 2005).

Généralement, l’évolution de cette discipline est analysée à l’aune des quatre phases de développement de la technologie informatique et des questions éthiques impliquées (Tavani 2008, 2013).

La phase 1 (1950-1960) : Correspond aux premiers développements de la technologie

informatique et des ordinateurs. Les questions éthiques étaient principalement liées aux conséquences du développement de l’intelligence artificielle et à la question de la protection de la vie privée.

La phase 2 (1970-1980) : Coïncide avec le développement de la technologie

informatique, la commercialisation des premiers ordinateurs personnels et leur mise en réseau (via des réseaux privés). Les questions éthiques associées à cette phase sont la vie privée, la propriété intellectuelle et marginalement la criminalité informatique (cybercriminalité).

La phase 3 (1990 à nos jours) : C’est l’ère d’Internet, avec la disponibilité et

l’accessibilité de plus en plus croissante d’Internet pour le public. La prolifération des technologies et des applications basées sur le Web soulève en effet des problématiques liées à la liberté d’expression, la confidentialité, les données personnelles, la cybercriminatité, etc. qui s’ajoutent aux problématiques déjà existantes.

La phase 4 (de nos jours à un futur proche) : Correspond à la convergence entre les

technologies de l’information et de la communication et la nanotechnologie, la biotechnologie, les objets connectés, etc. Les questions éthiques sont relatives notamment à l’intelligence artificielle et aux modifications génétiques. On peut rajouter aussi les problématiques liées aux big data, à la robotique et ses conséquences sur certains secteurs d’activité, les modifications physiologiques et génétiques de l’homme « augmenté », etc.

Dans la littérature, l’éthique des TSI est appréhendée comme la branche de l’éthique appliquée qui étudie les problématiques éthiques « créées, aggravées ou transformées » par la technologie informatique et l’ordinateur (Maner 1980). Pour cet auteur, l’éthique informationnelle (ce qu’il appelle information ethics) examine les problématiques soulevées par les TSI et analyse leurs implications éthiques et sociales. Ainsi, les traditions éthiques de la philosophie morale telles que l’utilitarisme de Bentham et Mills ou le déontologisme kantien pourraient servir pour l’analyse et l’identification de ces différentes problématiques (Maner 1980 ; Bynum 2001).

Dans cette même perspective, Tavani (2007, 2013) conçoit également la cyberéthique comme une branche de l’éthique appliquée qui examine l'impact de la cybertechnologie sur nos systèmes sociaux, juridiques ou moraux, et évalue les pratiques sociales, les politiques d’usage et les lois qui ont été édifiées en réponse aux problématiques générées par l’usage et le développement des technologies.

« Cyberethics examines the impact of cybertechnology on our social, legal, and moral systems, and it evaluates the social policies and laws that have been framed in response to issues generated by its development and use » (Tavani 2013, p.4).

Dans son ouvrage Computer Ethics (1985), Johnson affirme que l’éthique informatique étudie la manière dont la technologie informatique soulève de nouvelles facettes des problématiques morales classiques déjà existantes.

Cependant, la conception de l’éthique informationnelle « information ethics » chez Mason (1986) repose sur l’idée d’un nouveau contrat social de la société de l’information dans lequel il conviendrait de faire en sorte que l’usage de ces outils, et les informations qui y transitent, participe à l’amélioration de la dignité de la personne humaine. Il s’agit d’une conception morale des technologies de l’information autour du concept central de la dignité de la personne humaine. En d’autres termes, les TSI ne doivent pas porter atteinte à la vie privée des personnes, doivent être viables et fiables, protéger la propriété intellectuelle, et être accessibles à tout un chacun.

« Our moral imperative is clear. We must insure that information technology, and the information it handles, are used to enhance the dignity of mankind. To achieve these goals we must formulate a new social contract, one that insures everyone the right to fulfill his or her own human potential.»

(Mason 1986 p.11).

On doit actuellement à Floridi (2002, 2008) la réflexion éthique la plus originale et probablement la plus controversée. Ce philosophe critique d’abord les théories éthiques classiques, qu’elles soient centrées sur l’agent ou sur l’action, car elles excluent un tiers primordial dans toute considération liée à l’éthique : le troisième élément de la relation morale, celui qui reçoit l’action de l’agent et en subit les effets, à savoir ce que Floridi désigne par le « patient » (par analogie avec l’éthique médicale ou la bioéthique).

Ce tiers exclu dans les conceptions classiques de l’éthique est l’information au sens large ou ce que l’auteur appelle l’infosphère qui comprend l’équivalent informationnel de tout ce qui vit ou simplement existe dans la réalité, comprenant les humains, objets, événements, etc. La notion d’entropie, concept-clé de la théorie de l’information de Shannon, pourrait ainsi servir de fondement à une morale normative : tout ce qui tend à faire perdre de l’information, autrement dit à augmenter l’entropie serait condamnable. Tout ce qui conduirait à diminuer l’entropie, c’est-à-dire à faciliter la communication en accroissant l’information, serait appréciable.

Cette conception est assez critiquée car elle met sur le même pied d’égalité les humains et les non humains et considère comme de la matière informationnelle toute « chose » physique ou morale (Mingers et Walsham, 2010). Elle reste néanmoins à plus d’un titre tout à fait pertinent dans l’ère de l’information et de la communication dans laquelle nous vivons.

D’autres conceptions de l’éthique des TSI sont controversées, comme nous le verrons dans ce qui suit, en raison des limites qui ont été volontairement fixées quant à l’objet du champ d’étude de cette discipline.