• Aucun résultat trouvé

La sociomatérialité est une approche à la fois théorique et méthodologique qui conçoit la technologie et l’organisation comme des ensembles de ressources, de procédures et de pratiques qui, dans une dynamique relationnelle entre le social et le matériel, construisent et façonnent les outils technologiques, la structure organisationnelle, les usages et les pratiques sociales de l’organisation.

En réalité, l’approche sociomaterielle n’est pas nouvelle. Les premiers tenants de cette approche n’ont fait que percevoir une convergence de certains travaux de la littérature sur la nature des TSI pour conceptualiser et nommer sous l’appellation de sociomaterialité une réalité qui existait déjà.

“We identify a promising emerging genre of research that we refer to under the umbrella term: sociomateriality.”

(Orlikowski et Scott 2008 p. 434).

Orlikowski et Scott (2008) partent d’une analyse de la littérature en management des organisations qui montre que 95% des articles de recherche dans le domaine ne prennent pas suffisamment en compte le rôle de la technologie dans la vie de l’organisation.

Cependant l’analyse de la littérature sur les technologies de l’information leur permet d’identifier deux courants majeurs dans la littérature qui appréhendent les technologies et l’organisation soit comme des entités autonomes « discrete entities », ou comme des ensembles mutuellement dépendants « mutually dependent ensembles ». (Orlikowski et Scott 2008).

Le premier courant appréhende la technologie comme une entité relativement distincte ou comme une variable indépendante qui peut interagir et impacter directement les divers aspects de l’organisation, particulièrement lors des phases de conception de la technologie, la diffusion, l’implémentation, l'adoption, l'utilisation, ou la mise au rebut. (Huber 1990 ; Aiman-Smith et Green 2002).

“In this stream of work, technology is treated as a specific and relatively distinct entity that interacts with various aspects of the organization, becoming particularly salient during moments of technology design, diffusion, implementation, deployment, adoption, adaptation, use, or breakdown. Many of the studies in this stream posit technology as an independent variable”

(Orlikowski et Scott 2008 p. 439).

Le second courant analyse la technologie et l’organisation c’est-à-dire sa structure et les personnes qui la composent comme des ensembles mutuellement interdépendants. L'accent est mis ici sur les interactions dynamiques entre la technologie et l’organisation.

Une littérature relativement abondante décrit comment cette co-construction s’opère de manière concrète : Les travaux de Von Hippel (1994) montrent comment les utilisateurs façonnent la nature et les capacités des nouvelles technologies. Dans le même sillage, Leonard-Barton (1988) démontre que l’implémentation d’une nouvelle technologie entraîne l'adaptation mutuelle de la technologie et de l'organisation. L’utilisation des médias électroniques est façonnée par la culture, les normes et les pratiques organisationnelles (Markus, 1994 ; Yates et al., 1999). Par ailleurs, d’autres chercheurs comme Boudreau et Robey ont démontré dans leurs travaux que la conception et l'utilisation de la technologie change la nature du travail au sein des organisations (Boudreau et Robey, 2005 ; Orlikowski, 2000 ; Zuboff, 1988).

A partir de ces observations, Orlikowski et Scott (2008) posent les bases d’un troisième courant qui analyse la technologie et l’organisation comme un assemblage sociomatériel « sociomaterial assemblages »

“This promising stream of research, which we organize under the banner of “sociomateriality”, makes a distinctive move away from seeing actors and objects as primarily self-contained entities that influence each other, either through impacts or interactions.”

(Orlikowski et Scott 2008 p.455).

L’utilisation de la technologie est de nature dynamique et interdépendante. Les technologies sont façonnées et façonnent en même temps les réalités des organisations. (Orlikowski et Scott 2008). Il s’agit d’un processus de co-construction marqué par l’interdépendance, la coévolution, et l’interaction entre la technologie et les divers aspects de

l’organisation. En effet, la sociomatérialité repose sur l’idée d’une interpénétration entre l’aspect social et l’aspect matériel qui déterminerait les processus de construction des usages et des pratiques des technologies et systèmes d’information au sein de l’organisation.

“The social and the material are considered to be inextricably related - there is no social that is not also material, and no material that is not also social.”

(Orlikowski 2007 p.1437).

D’un point de vue théorique, la sociomaterialité s’inscrit dans la droite ligne de la thèse de la co-construction (approche sociotechnique) et s’inspire largement de la théorie de l’acteur réseau de Latour (1987) et Callon (1986) selon laquelle il n’y a pas de différence inhérente entre le social et le materiel (Leonardi 2013). En réalité, la particularité de l’approche sociomatérielle repose principalement sur les trois concepts fondateurs de l’ontologie relationnelle, de la notion d’assemblage sociomatériel et de la performativité.

- L’ontologie relationnelle appréhende l’aspect matériel et l’aspect social dans une dynamique relationnelle d’interaction mutuelle. Ainsi les TSI, dans un contexte organisationnel comme dans le contexte de la société en général sont analysés comme des ensembles sociomatériels d’où le terme «sociomaterial assemblage».

- La notion de performativité « performativity » est une terminologie, empruntée aux sciences du langage, selon laquelle un discours est performatif « lorsqu’il contribue à construire la réalité qu’il décrit », c’est-à-dire le fait de créer par la même occasion le phénomène qu’on décrit par opposition à la description de phénomènes qui existent déjà. Dans la perspective sociomatérielle, la notion de performativité met l’accent sur le fait que les relations et les frontières entre les individus et les technologies ne sont pas figées ou prédéfinies à l’avance, mais adoptées et construites dans les pratiques et les usages au quotidien.

“A central idea entailed in sociomateriality is the notion of performativity (…). For scholars of sociomateriality, the notion of performativity draws attention to how relations and boundaries between humans and technologies are not pre-given or fixed, but enacted in practice. A practice lens is thus particularly helpful in grounding this notion of performativity.”

Section 2 :

L’approche sociomatérielle et les différentes positions conceptuelles d’analyse