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La portée des théories éthiques de la philosophie morale dans l’élaboration du cadre d’analyse de l’éthique des technologies de l’information

Les 10 commandements de l’éthique informatique

5. Les autres traditions éthiques de la philosophie morale

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons dans cette section de passer en revue quelques-unes des philosophies éthiques non occidentales. Notre choix s’est porté sur la tradition éthique en Afrique et sur l’éthique confucéenne en Asie.

5.1. L’éthique de la Maat en Afrique

Les traditions éthiques de la philosophie morale dans les sociétés africaines se focalisent autour du concept de la Maat. Originellement, la Maat symbolise la déesse de la Justice dans l’Egypte Antique. La conception éthique de la Maat traduit une certaine idée de l’ordre, de l’équité, de l’harmonie et de l’équilibre d’un Tout considéré comme un ensemble auquel l’homme appartient.

« La Maat, c’est à la fois l’ordre universel, et l’éthique qui consiste à agir, en toute circonstance, en accord avec la conscience de cet ordre universel. »

« La Maat représente une exigence éthique de vie, en droit et en philosophie, mais aussi une valeur singulière perçue comme un principe d’unité, un paradigme, une loi d’organisation de la pensée et de la société, une théorie, une norme »

(Bassong 2012 p.44).

En réalité, l’éthique de la Maat se décline dans la majeure partie des traditions philosophiques des sociétés africaines avec une appellation différente selon les lieux géographiques : « Mahano » chez les Yoro de l’Ouganda, « Maad » chez les Sérères du Sénégal et de la Gambie, « Sé » chez les Bambaras du Mali, Ntu chez les Bantus, Mbog chez les Bassa du Cameroun, etc. (Bassong 2012). Néanmoins, ces différentes terminologies recouvrent les mêmes réalités conceptuelles car elles comportent des prescriptions comportementales et un référentiel de valeurs qui permettent à chaque individu d’évaluer « une idée, une chose, un comportement et des institutions comme étant justes, désirables, souhaitables ou préférables. » (Bassong 2012 p.47).

Ainsi, la Maat revêt plusieurs dimensions : politique, philosophique, sociale, éthique et esthétique. Dans sa dimension éthique la Maat apparaît comme une forme d’éthique de la justice (Assmann 1989).

Selon les auteurs, on insiste davantage sur la notion d’équilibre cosmique (Bleeker 1967 ; Derchain 1965), sur l’idée de justice sociale (Assman 1989) ou encore sur l’aspect multidimensionnel qui inclut à la fois « l’ordre universel dictant à l’homme un droit naturel, une conduite générale de bon comportement, et la justice particulière inspirant aux juges et aux responsables politiques des décisions équitables dans le domaine économique et social » (Menu 2005 p.13).

En définitive, l’action juste et bonne au sens de l’éthique de la Maat est celle qui accomplit la Maat et repousse l’Isfet6. En d’autres termes, ce sont les comportements qui réalisent le bien et repoussent le mal tout en étant orientés vers la préservation de l’ordre, de l’harmonie et de l’équilibre de l’univers.

« La connaissance de la Maât ne se traduit pas dans l’action par une volonté de domination et d’asservissement des autres hommes ou de l’environnement ; il s’agit de faire de cet environnement une réserve toujours possible et disponible d’information, de matière et d’énergie. » (Bassong 2012 p.63).

La Maat apparaît aisni comme une philosophie éthique qui va de pair avec une action humaine propice à la vie en bonne entente avec la nature et l’environnement et où la technologie, création de l’homme par excellence, est loin d’asseoir sa supériorité et sa domination sur les objets et la nature.

En matière de TSI, des approches théoriques et empiriques qui mettent en application cette conception sont, à notre connaissance, totalement inexistantes, mais seraient tellement utiles pour produire un discours différent des approches dominantes qui puisent leur source dans certaines conceptions occidentales de l’éthique.

5.2 L’éthique confucénne en Asie

Le confucianisme est une doctrine de philosophie morale issue des enseignements et de la vie de Maître Kong, Confucius de son nomgreco-latin. C’est une pensée morale qui est fortement présente et influente dans plusieurs pays d’Asie, notamment en Chine, au Japon, en Corée, au Vietnam, etc.

Jaspers (1989) voit à travers la philosophie morale du confucianisme une éthique sociale et politique car chez Confucius « l’éthique se réalise dans le comportement des hommes entre eux et dans l’exercice du pouvoir, elle se concrétise sous forme individuelle dans l’idéal du ‘noble’ ». (Jaspers 1989 p.217). Le noble ou « junzi », désigne dans la morale confucéenne l’homme de bien ou l’homme vertueux et sage. Il incarne le modèle éthique individuel auquel tout individu doit tendre car il représente l’archétype de « l’homme supérieur par la puissance de ses vertus » et par le fait qu’il « s’efforce de se perfectionner ». (Moioli 2011 p.224).

Concrètement l’éthique confucéenne repose sur quatre concepts fondamentaux : le Ren, l’Ordre, l’observance des rites (Li) et la Mansuétude. Ces concepts s’articulent autour d’un dénominateur commun, le Ren.

Le concept de « Ren » est considéré comme le « fil conducteur du confucianisme qui unifie et relie tous les autres concepts » de l’éthique confucéenne (Moioli 2011 p.231). Il contient en lui même toutes les vertus cardinales du confucianisme : la mansuétude, la sagesse, l’observance des rites (Li), la droiture (justice) et le courage.

« Le Ren est la vertu suprême, complète, achevée, l’absolu de la vertu, le sens de l’humain et de la dignité de l’humain.»

Le Ren est un concept qui semble intraduisible dans nos langues selon Thiéblaut (2007) et Moioli (2011). Cependant on pourrait le paraphraser comme signifiant « la vertu d’humanité », ou « l’humanitude » de Senghor (1964), dans les sens où il exprime l’idée de « la réalisation de soi » chez Maslow (1962 ; 1964) et du « total functionning » chez (Rogers 1961) qui traduisent l’état d’acomplissement dans lequel l’être humain se rapproche de la plénitude de son humanité et de ses potentialités.

Ainsi, le Ren apparaît comme une sorte de perfection morale à laquelle l’individu doit tendre, dans l’accomplissemnt de tous les actes.

Le deuxième concept central de l’éthique confucénne est l’Ordre. Il s’agit ici de l’odre moral devant s’inspirer de l’ordre cosmique qui garantit l’harmonie et le fonctionnement de l’univers. Au même titre que l’éthique de la Maat, le confucianisme est une philosophie morale qui s’inscrit dans l’ordre et l’harmonie de l’univers.

Le troisième concept est le Li ou l’observation des rites. En partique, le Li se décline par l’observance d’un code de bonne conduite dans « toute cérémonie, religieuse, publique, mais aussi dans le moindre événement de la vie quotidienne.» (Moioli 2011 p.231).

« Le Li est la manifestation extérieure et visible de l’ordre moral interne par lequel un homme s’inscrit au cœur de l’ordre cosmique et universel »

(Moioli 2011 p.231).

Le quatrième concept de l’éthique confucéenne est la Mansuetude. C’est une vertu de bienveillance qui impose d’aimer tous les hommes, une sorte d’éthique de l’altérité au sens de Levinas (1995) doublée de l’impératif catégorique Kantien qui suppose de traiter l’humanité comme soi-même.

« Ce que tu ne désires pas pour toi-même ne l’impose pas aux autres ». (Lunyu XII-2, In Moioli 2011 p. 184).

« Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas que les autres vous fassent ; ne désirez pas pour les autres ce que vous ne voulez pas que les autres désirent pour vous. Si vous agissez ainsi, cela suffit ».

Le confucianisme a fait l’objet de quelques applications en management pour réconcilier l’éthique et la performance (Lelarge 2010), et en TSI pour examiner la question de la vie privée et de la protection des données personnelles dans une perspective de pluralisme éthique (Ess 2006), et pour analyser l’intégrité éthique des professionnels des technologies de l’information au Japon et en Chine (Davison et al 2009).

Il est important de souligner que la mise en œuvre pratique de l’ensemble de ces théories éthiques de la philosophie morale à travers les comportements, requiert la mobilisation de facteurs psychosociologiques qui influencent la prise de décision. D’où la nécessité de s’intéresser dans la section suivante à l’apport des conceptions psychosociologiques dans la conceptualisation du processus de prise de décision éthique.

Section 2 :

L’apport des conceptions psychosociologiques dans la conceptualisation du