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Les limites de l’engagement comme source de citoyenneté

PARTIE 6 - ANALYSE DES RESULTATS

D. Les limites de l’engagement comme source de citoyenneté

D. Les limites de l’engagement comme source de citoyenneté 1. Des richesses citoyennes inégales selon les engagements

En raison de la forme d’engagement et de sa nature, la richesse des interactions sociales et des connaissances nouvelles sur le monde varie. L’engagement perçu par le jeune comme étant « citoyen » n’est pas forcément là où on l’attend. Pour certains jeunes, la citoyenneté peut tout simplement résider dans les seules interactions sociales avec d’autres citoyens dans la vie de tous les jours, en dehors de tout engagement formalisé. Mehdi (L1612) l’exprime ainsi : « … par mon comportement, ma façon d’être, je fais partie de la société, je suis un

élément de la société française, voilà.Le fait de parler à des gens, de rigoler avec une

personne, que je ne connaissais pas 5 minutes avant…je participe à la vie de la société pour moi ».

On peut aussi relever que dans notre échantillon, certains engagements formalisés et organisés, tels que le service civique peuvent paraitre moins riches pour le jeune, que des engagements autonomes de sa part en dehors de toute organisation institutionnelle , par exemple c’est le cas pour Armand (L1632) : « Le service civique me prend mes journées et

ma semaine quasiment…je trouve que l’impact est très limité mais bon … du coup c’est tout ce que l’on vas faire avec T., les consultations, les débats, … cela va être plus concret, plus local tout ça…là je pense qu’il y a un intérêt… c’est que ce qui est assez paradoxal ,… ce qui me prend le plus de temps et qui est en soi un engagement, c’est pas ça qui me fait me rendre utile…vraiment »

Certains types d’engagement, tel que parfois le service civique, ou dans certaines associations, semblent être une plus faible source d’épanouissement que d’autres, en raison des contraintes formelles, organisationnelles ou sociales ou hiérarchiques à respecter et qui constituent un carcan pour certains jeunes : Armand (L831), là encore le mentionne : « Je

peux leur parler de l’aspect négatif, c’est-à-dire un peu les limites de ma mission, qui sont liées au cadre même de la mission… »

2- Une forme d’instrumentalisation de l’engagement des jeunes

Les formes d’engagement institutionnalisées constituent parfois une échappatoire à une situation d’impasse ou à une problématique personnelle d’orientation ou d’insertion professionnelle, et cela permet donc au jeune d’en tirer un revenu ou une acquisition de compétence particulière, avant d’être un engagement citoyen. Il est donc dans ce cas partie intégrante d’une politique publique de traitement social de chômage autant voire davantage que vecteur et promotion de citoyenneté.

Juliette (L118) explique comment son échec sur le marché du travail l’a conduite à s’engager en service civique rémunéré : « j’ai essayé de chercher du travail dans le développement

local dans des associations …que je n’ai pas trouvé (Rire) Avec un DUT quand tu as 22 ans c’est un peu compliqué…donc j’ai fait un volontariat en service civique… »

Chloé (L1012) également, était au chômage et a profité d’un service civique rémunéré pour subvenir à ses besoins, même si elle en profite au passage pour capitaliser des compétences

nouvelles et enrichir son expérience: « En fait je venais de quitter mon « boulot » et j’étais

au chômage et j’ai décidé moi-même de repartir en service civique accompagnée par le «CD », même si je perdais vraiment en revenu, mais c’était un choix, parce qu’eux m’apportait une expertise que je n’avais pas et un regard sur le projet qui était important. »

Les jeunes de l’échantillon sont souvent sollicités par les pouvoirs publics et institutions diverses pour organiser ou participer des manifestations citoyennes. Les jeunes s’engageant le plus, sont aussi ceux qui sont le plus sollicités par les institutions, ce qui ne garantit pas par ailleurs une représentativité complète de la jeunesse dans ses institutions.

Juliette (L53 et L389) participe très fréquemment aux initiatives des pouvoirs publics, c’est assez édifiant : « J’ai monté une association…donc il faut s’en occuper, cela demande du

temps, […] Mais c’est vrai que l’engagement prend beaucoup de place avec le Conseil Régional […]. J’ai aussi organisé le festival de la jeunesse en Moselle, … il y avait une trentaine de porteurs de projets, […] il y a eu 600 visiteurs c’était aux arènes de Metz … là il y a la Ville qui va mettre en place des boites à partages, les élus […] et c’est moi qui vais piloter ce projet…mais cela c’est encore à voir […] Je fais aussi des apéros projets… j’ai présenté des bourses qui existaient au niveau du département et de la région […]. Et j’ai fait aussi avec la ville, « Etudiant dans ma ville » … « Bouge ton engagement », on avait fait une espèce de carte un « Passeport de l’engagement » … les jeunes passaient de stand en stand et il y avait des petits défis et à la fin il y avait un petit cadeau pour ceux qui avaient rempli leur défi …donc c’était vraiment pour inciter les jeunes à s’engager …c’était « Bouge ton engagement » …

Les jeunes peuvent se montrer parfois critiques à propos d’actions, d’événements ou dispositifs citoyens et participatifs. Ils relèvent les incohérences entre la volonté affichée des pouvoirs publics et la mise en pratique effective. Armand (L903) par exemple vit ces institutions de l’intérieur et se montre un peu critique : « Si on prend le cas de ces réunions

auxquelles je participe, et bien ce n’est pas étonnant qu’une instance comme ça ne soit pas forcément aussi participative et ouverte que le voudrait la théorie… »

3. L’engagement citoyen comme reproducteur social ?

Certaines formes d’engagements ne suscitent pas de la reconnaissance sociale dans tous les milieux socioculturels. Armand (L905) relève ainsi : « Après je pense que tout le monde …ne

sait pas ce que c’est un service civique… c’est plutôt positif en général …avec des gens ouvert, quand c’est avec des gens qui viennent des milieux ….ou d’écoles ...assez prestigieuses et tout ça…c’est limite : « Ah c’est bien … », enfin c’est un peu condescendant… »

Certains jeunes évoquent le fait d’être catalogués, stigmatisés en fonction de leur engagement. C’est le cas de Nina (L892) : « Certains me voit comme une « Gaucho »,

d’autres comme une folle associative et certains, genre mes parents ou bien d’anciens camarades de classe qui n’ont pas forcément suivie la même voie que moi et qui s’arrêtent au diplôme c’est un regard admiratif, ils ne comprennent pas… »

Dans notre échantillon, les missions engendrées par les formes d’engagement institutionnalisées de type service civique semblent moins riches en termes de compétences mobilisées et de perception en tant que participation citoyenne pour les jeunes engagés. Armand (L831) revient sur le cadre limité de ses missions : « Je peux leur parler de l’aspect

positif […], après ce sera aussi même un peu plus souvent l’aspect négatif, c’est-à-dire un peu les limites de ma mission, qui sont liées au cadre même de la mission… »

Certains réussissent néanmoins à mobiliser une compétence qui les passionne dans ce cadre institutionnel Cédric (L1435) par exemple parvient à mettre en œuvre sa passion pour la vidéo dans ses animations à destination des enfants : « Dans le travail avec les enfants pas

vraiment, c’est plutôt à part, après le service civique ça m’a permis un peu de lié les deux, de travailler avec les enfants et de faire de l’audiovisuel avec eux …Je ne me vois pas faire ça plus tard »

Les jeunes disposants d’un niveau socioculturel élevé dans leur milieu d’origine semblent être ceux qui ont un parcours de réussite sociale plus élevé au travers de l’engagement. C’est le cas de Jean-Pierre et Chloé par exemple, qui retirent un salaire de leur engagement. Ils sont titulaires de diplômes de niveaux élevés et semblent disposer d’une autonomie d’action

et de marge de manœuvres pour orienter plus librement que d’autres leur carrière en fonction de leurs valeurs. Il est à noter aussi qu’ils sont les plus âgés de l’échantillon.

Dans notre échantillon, le niveau de diplôme agit relativement comme un correcteur du milieu d’origine dans le parcours de d’engagement. Par exemple Michel et Armand issus de milieu plus modestes ont obtenu un MASTER. Leur engagement actuel est rémunéré, ce qui leur permet de mieux orienter leur parcours en fonction de leurs valeurs.

En tout cas, la quasi-totalité des jeunes de l’échantillon a un parcours scolaire relativement émérite. Les emplois associatifs et les engagements des jeunes participent plutôt d’une réorientation personnelle et d’une recherche sur la façon de prendre leur place dans une vie professionnelle qui soit en adéquation avec leurs valeurs ou passion. Il faudrait donc pouvoir étudier leurs trajectoires et celles des autres jeunes dans quelques années.

4. Comment concilier ses valeurs et son avenir ?

Les jeunes de l’échantillon échafaudent des perspectives concrètes de conciliation de leurs valeurs avec les moyens de vivre. Leurs hypothèses se détournent plutôt d’une forme entrepreneuriale et privilégient des formes associatives ou liées à l’Economie Sociale et Solidaire…

Jean-Pierre (L1734 et L1858) pour son activité future à adopter une forme privée ou associative, en raison du besoin de concilier certaines de ses valeurs: « Monter mon propre

cabinet d’étude, en forme privée…donc il y a cette possibilité… d’avoir une forme associative […]s’il y a un conflit de valeurs, un moment donné, soit je l’accepte et je vais mal … je tombe malade …soit je reste fidèle à mes idéaux mes principes et effectivement en poursuivant dans la voie dans laquelle je suis, cela peut « matcher »

Juliette (L1748) évoque quant à elle la possibilité de l’économie sociale et solidaire qui a ses yeux serait une sorte d’intermédiaire entre le monde associatif et entrepreneurial : « je ne

après avec le développement de l’économie sociale et solidaire, il y a peut-être des moyens de trouver un arrangement (Rire) Si cela doit être une entreprise, cela serait une entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire. »

Nina (L1706) hésite encore et ferait dépendre ses choix de la liberté d’expression qu’elle ressentirait : « Vu les moyens : En association, mais je ne suis pas contre l’entreprise

…Début en associatif pour aller vers l’entreprise …Tout serait lié à la liberté d’expression dans toute ces formes, soit la danse, la peinture, la parole de journaliste …je ne sais pas si cela passerait en entreprise …le but n’est pas de faire de l’argent sur la liberté d’expression … »

Pour Elisa (L1714 et L1838) la question de passer en entreprise s’est posée concrètement pour son activité, mais ses valeurs et envies actuelles ne correspondait pas à l’objet social d’une entreprise qui est de dégager du profit. La question reste ouverte pour l’avenir : « Je

pense de type associatif, on nous a demandé pour le magazine de passer en entreprise, mais ça ne correspond pas forcément à nos valeurs pour l’instant ce que l’on veut : C’et s’aider entre jeunes … » […]« J’aimerais bien que mes valeurs soient liées à ma vie professionnelle, mais je reste consciente que ce ne sera pas toujours possible…parce que justement la vie en société ne permet pas parfois de toujours tout faire coller à nos valeurs, mais j’essaierai au maximum… »

On peut aussi relever à travers le témoignage de cholé(L1783) que l’environnement concurrentiel propre au monde entrepreneurial n’est pas non plus étranger aux formes associatives ou solidaires, et que des stratégies personnelles ou associatives en découlent : « J’avais toujours l’idée de créer une auberge de jeunesse, un peu culturelle basée à Nancy,

parce qu’il n’y a plus d’auberge de jeunesse et c’est un scandale. Et je sais qu’il y a d’autres gens qui ont peut-être l’idée aussi, donc là se serait de la créer avant […] Mais on ne passerait pas par un modèle entrepreneurial, …la forme dépendra des contraintes, qui sont liées aux domaines juridique, social …. Mais par exemple monter une entreprise pour mener un projet solidaire, dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, ce n’est pas quelque chose auquel je me ferme ».

IV. TUTORAT ET ACCOMPAGNEMENT

Il apparait au cours de notre étude, que l’accompagnement des jeunes ou le tutorat par une ou plusieurs personnes plus âgées au sein de la structure d’accueil, peut jouer dans la plupart des cas un rôle clef dans le parcours d’engagement des jeunes. Les modalités et styles relationnels du tutorat peuvent varier assez fortement.

Les domaines d’intervention du tuteur ou des personnes accompagnantes, concernent bien sûr l’aide opérationnelle dans la mission d’engagement pour faciliter l’intégration du jeune et la réalisation technique de sa mission, mais surtout, le tuteur contribue significativement à améliorer la confiance en soi du jeune et à lui conférer une part de reconnaissance sociale. Cette relation peut être marquée par une certaine affectivité. Par ailleurs, un tutorat peut aider le jeune à conscientiser ses compétences acquises, peut l’éclairer sur certains aspects de sa relation aux autres, ou lui transmettre une expertise sur des thématiques citoyennes. Enfin, il permet parfois d’élaborer avec le jeune des perspectives d’activités « post engagement ».