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Les fonctions grammaticales du verbe ‘faire’

VI.13 Adverbes de temps amra : maintenant amra : maintenant

2 La grammaticalisation verbale

2.2.2 Les fonctions grammaticales du verbe ‘faire’

Comme nous l’avons vu au début du paragraphe, le verbe faire, selon les langues, a pris différents chemins de grammaticalisation. En ce qui concerne le siwi, on remarque les usages suivants, dont la grammaticalisation est marquée aussi par le fait qu’on le retrouve, dans ce cas, à la troisième personne du masculin singulier seulement :

(1) gjəʕṃaṛ (aoriste): auxiliaire modale à valeur de ‘peut-être, probablement’

(2) jʕəṃṃaṛ (inaccompli): suivi par la préposition locative ɣuṛ et existentielle di ou par un verbe plein. Pour cet emploi on peut estimer que le rôle de ce verbe consiste à donner de l’emphase, marquer le caractère effectif du verbe ou de la préposition utilisés dans des prédications non-verbales.

(3) jəʕṃaṛ (accompli) : conjonction, marque de discours (1) gjәʕṃaṛ : valeur de ‘peut-être’, ‘probablement :

A l’aoriste, le verbe faire en siwi est grammaticalisé en tant qu’élément introduisant la modalité de probabilité :

2.19

g-jә-ʕṃaṛ n-ħaṭṭ axí /

IRR-3SG.M-faire.AOR 1PL-ajouter.ACC lait.M /

Probablement nous ajoutons du lait (SIZ_VS_NARR.013)

2.20

g-jә-ʕṃaṛ ga-ɣṛ-ax namma ga-nәddm-ax

IRR-3SG.M-faire.AOR IRR-lire.AOR-1SG ou IRR-dormir.AOR-1SG

Peut-être je lirai ou je dormirai (Notes_Siwa_2014)

2.21

g-jә-ʕṃaṛ sə́n n tәʧʧ-íwen /

IRR-3SG.M-faire.AOR deux de fille.F-PL /

g-jә-ʕṃaṛ dább n tәʧʧ-íwen jə-bdəd-in-a

IRR-3SG.M-faire.AOR beaucoup de fille.F-PL 3-être_debout.ACC-PL-RES

Probablement deux filles, probablement beaucoup de filles qui sont debout (Notes_Siwa_2014)

2.22

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IDP.PRO.1SG NEG-savoir.ACC-1SG EXIST chèvre.PL chez père.M ou-non /

ɣer g-jə-ʕṃaṛ di əssnə́t

mais IRR-3SG.M-faire.AOR EXIST deux.F

Je ne sais pas s’il y a des chèvres chez mon père mais probablement il y en a deux (SIZ_VS_ELICIT.faire)

Etant donné qu’il exprime une probabilité, un choix en quelque sorte, il apparaît souvent dans les structures binaires ou ternaires où les autres choix sont introduits par namma ‘ou’ (g-jə-ʕṃaṛ …., namma…., namma…).

La grammaticalisation d’un verbe (dans ce cas aʕṃaṛ) à l’aoriste (à valeur de ‘probablement’) est aussi présente dans d’autres langues berbères : le kabyle, par exemple, se sert de ad+ili pour exprimer la même valeur (Mettouchi 2009 : 440) :

ad y-ili ye-sla

IRR sbj-3M.SG-be [AOR] SBJ.3M.SG-hear [PFV] Probably he heard (Probablement il a entendu)

La différence est qu’en siwi, le verbe qui suit ne doit pas être toujours à l’accompli et qu’en kabyle la même ‘probabilité’ peut être rendue aussi par ad+af (trouver) ou as (arriver) : « It can be either ili ‘be’ or the verbs af ‘find’ or as ‘arrive’, bearing the appropriate person affix »1 (Mettouchi 2009: 440).

Par contre, la notion de probabilité (comme expliqué par l’auteur pour le kabyle) est apportée par le ga+aoriste en siwi aussi, étant donné que cette modalité verbale est spécialisée dans le domaine de l’irrealis, de la possibilité/probabilité.

(2) jʕәṃṃaṛ : suivi par la préposition locative ‘ɣuṛ’ et existentielle ‘di’

L’utilisation de ce verbe peut être considérée comme donnant de l’emphase à la construction existentielle composée de préposition + nom qui suit : une grammaticalisation de

1 Il peut être à la fois le verbe ili ‘être’, le verbe af ‘trouver’ ou as ‘arriver’, avec les affixes indices de personne appropriés.

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ce genre se retrouve dans une langue largement décrite comme l’anglais : I do have time (J’ai bien du temps) où le verbe faire insiste, donc emphatise, sur le verbe qui suit, dans ce cas have. Effectivement ce verbe donne un effet de sens supplémentaire que la préposition seule ne pourrait pas donner, et cela s’inscrit dans la nécessité de marquer l’effectivité de ce qui suit. Souvent, par exemple, cet auxiliaire est utilisé dans des propositions faisant référence à un lieu ou un moment spécifique, indiqué par des adverbes, par exemple, pour souligner que l’effectivité fait bien référence à ce moment ou à ce lieu, en contraste avec la préposition (ɣuṛ- ; di) seule, qui exprime plutôt une vérité générale :

2.23

ɣuṛ-әs amán

chez-3SG eau.PL

Il y a de l’eau (vérité générale) (SIZ_VS_NARR.114)

2.24

g ʃʃti j-ʕəṃṃaṛ ɣuṛ-әs amán

dans hiver.M 3SG.M-faire.INACC chez-3SG eau.PL

En hiver il y a bien de l’eau (emphase sur le fait qu’en hiver, en particulier, il y a de l’eau, à la différence de l’été où elle est moins abondante) (zabi27_03_2013)

Voici d’autres exemples pour comprendre cette utilisation :

2.25

j-ʕəṃṃaṛ di ʃə́x / i-təṃṃ-an-as ʃə́x

3SG.M-faire.INACC PREP sheikh.M / 3-dire.INACC-PL-3SG.OD sheikh.M

n lәqbílәt

de tribu.F

Il y a bien un sheikh qu’ils appellent sheikh de la tribu (Notes_Siwa_2014)

2.26

j-ʕəṃṃaṛ ɣuṛ-əs i-ṭil-ə́n

3SG.M-faire.INACC chez-3SG PL-jardin.M-PL

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Le haut niveau de grammaticalisation de ce verbe peut être souligné par les exemples suivants, étant donné qu’il n’y a pas d’accord entrel le sujet et le verbe en question. Dans l’exemple 2.27, le narrateur parle de la conteuse et insiste sur sa façon de raconter les histoires :

2.27

әntátәt t-ʕəṃṃaṛ ɣuṛ-әs әttriqt-ə́nn-әs

PRO.IDP.3SG.F 3SG.F-faire.INACC chez-3SG système.F-de-3SG

Elle a bien son système (SIZ_VS_NARR.091)

2.28

әnnhaṛdin j-ʕəṃṃaṛ ɣuṛ-i lәgṛúʃ kóm-a

dans_le_passé 3SG.M-faire.INACC chez-1SG argent.M beaucoup-RES

Dans le passé j’avais vraiment beaucoup d’argent ! (Notes_Siwa_2014)

La négation porte sur le verbe jʕəṃṃaṛ ou sur la préposition prédicative :

2.29

kan әffәkr-aṭ-a l-j-ʕəṃṃaṛ di ʃʃúɣl

si souvenir.ACC-2SG-RES NEG-3SG.M-faire.INACC EXIST travail.M

g ə́ṣṣәf

dans été.M

Si tu te souviens, il n’y a vraiment pas du tout de travail en été (SIZ_VS_CONV.009)

Dans le cas où di et ɣuṛ suivent le complémenteur anni, quand il introduit les complétives de but (cf. 8.Les propositions subordonnées), le verbe est obligatoirement à la forme ga+aoriste :

2.30

anni g-jә-ʕṃaṛ di-ja aʔʤʤár

afin_que IRR-3SG.M-faire.AOR EXIST-RES louer.NV

Afin qu’il y ait une location (SIZ_VS_CONV.013)

jʕəṃṃaṛ peut aussi être suivi par un verbe plein et dans ce cas aussi son rôle est semblable à celui qu’il occupe avant di et ɣuṛ.

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Sa fréquence est beaucoup plus rare que lorsqu’il précède les prépositions prédicatives, mais il mérite quand même d’être analysé. Sa grammaticalisation est presque complète, étant donné qu’on le retrouve dans la majorité des cas à l’inaccompli, troisième personne du masculin :

2.31

l-j-ʕəṃṃaṛ nә-bdәd ɣer af ʃʃúɣl n әlɣíṭ-an

NEG-3SG.M-faire.INACC 1PL-être_debout.ACC juste sur travail.M de jardin.M-PL

Nous ne survivons pas juste avec le travail dans les jardins (SIZ_VS_CONV.009)

2.32

əlmudir-ə́nn-aw j-ʕəṃṃaṛ j-ukil-a i mátṛuħ

chef-de-1SG 3SG.M-faire.INACC 3SG.M-marcher.ACC-RES à matruħ

Mon chef a effectivement voyagé à Matṛouḥ (SIZ_VS_ELICIT_faire)

Dans ce cas également, la négation se fait sur le verbe jʕəṃṃaṛ (ex. 2.31). (3) jәʕṃaṛ comme conjonction, marque de discours.

Dans ce dernier cas, toujours assez grammaticalisé, le verbe (toujours 3SG.M) est à l’accompli. Il peut alors être traduit par ‘donc, alors’. Il peut être utilisé comme marqueur de discours (assez fréquent dans les narrations et conversations) ou pour marquer une conséquence ou un résultat (cf. français ‘ça fait que’, par exemple 3+3 font 6) :

2.33

əssrádin uɣi-x tɣátt t-atrár-t /

ce_matin acheter.ACC-1SG chèvre.F F-nouveau-F /

jə-ʕṃaṛ di g tiqaʕət-ə́nn-aw xamsa

3SG.M-faire.ACC EXIST dans étable.F-de-1SG cinq

n tiɣéda

de chèvre.PL

Ce matin j’ai acheté une nouvelle chèvre et maintenant il y en a donc cinq dans l’étable (avant il n’y en avait que quatre) (SIZ_VS_ELICIT_faire).

Dans l’exemple 2.33, il y a une différence avec l’inaccompli de l’exemple 2.25. Ici le fait d’avoir cinq chèvres est la conséquence de l’achat fait le matin, il n’y a pas d’emphase.

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2.34

ʃʃuɣl i-kәttar / jә-ʕṃaṛ la-ttafi-x

travail.M 3SG.M-augmenter.INACC / 3SG.M-faire.ACC NEG-trouver.INACC-1SG

әlwáqt temps

Le travail augmente et de ce fait je ne trouve pas le temps (SIZ_VS_CONV.011)

2.35

jә-ʕṃaṛ nә-ssin-a aʒar-nax

3SG.M-faire.ACC 1PL-savoir.ACC-RES parmi-1PL

On se connaît donc tous parmi nous (SIZ_VS_CONV.012)

2.36

áṃṃa azəwwar i-raw sḷáṭṭin /

frère.M grand.M 3SG.M-engendrer.ACC hier /

jə-ʕṃaṛ ɣuṛ-əs sə́n n təṛwáwen

3SG.M-faire.ACC chez-3SG deux de enfant.PL

Mon frère ainé a eu un enfant hier et donc aujourd’hui il a deux enfants (SIZ_VS_ELICIT.faire)

Dans toutes sortes de textes, ce verbe est utilisé aussi comme marque de discours : il est syntaxiquement indépendant du reste de la proposition et il est souvent détaché du reste de l’unité qui suit par une rupture intonative.

Dans cet exemple, une femme donne de l’argent au vendeur de noms. Elle veut changer le sien et donc il lui en donne un nouveau :

2.37

t-uʃ-as-tət i aggʷíd / jə-ʕṃaṛ smijət-ə́nn-əs

3SG.F-donner-3SG.OI-3SG.F.OD à homme.M / 3SG.M-faire.ACC nom-de-3SG

hanta / ʕúd qṛə́nfəl /

quoi / ʕud kronfel /

Elle la (une somme d’argent) donna à l’homme et alors, quel est son nom ? ʕud kronfel (SIZ_VS_NARR.121)

Pour terminer avec les différentes fonctions de ce verbe, on peut ajouter qu’il est souvent suivi par hanta (quoi) (à l’accompli, à l’inaccompli et à l’aoriste) dans des questions dont le but

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est d’attirer l’attention du destinataire. Dans ces cas, il peut s’accorder avec le nom auquel il renvoie :