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Le démonstratif avec suffixe -a(ja)

VI.13 Adverbes de temps amra : maintenant amra : maintenant

6 Les démonstratifs

6.3 Les démonstratifs en siwi

6.3.2 Le démonstratif avec suffixe -a(ja)

Nous aborderons ici le suffixe -a(ja) avec tous les types de démonstratifs dont la langue siwi dispose.

Pour commencer, nous pouvons nous appuyer sur la thèse de Galand qui voit dans a un simple pronom de support (et pose que le rôle de w- et t- est par conséquent de donner une information sur le genre) (Galand 2010 : 99 à propos du touareg wa et ta) tandis que le vrai rôle de démonstratif (deixis) est laissé aux suffixes (dans ce cas -ja ; -om, -ok, erwən).

L’absence de -ja en siwi est en elle-même suffisante pour marquer l’opposition avec les autres suffixes (comme wa au lieu de wa-D chez les Ait Youssi, opposé à wa-N, comme on l’a déjà vu en introduction). Ce qui expliquerait pourquoi les démonstratifs sans ou avec -ja peuvent être utilisés dans le même contexte.

Les démonstratifs

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Le fait que -a soit répété deux fois n’est pas un phénomène isolé en berbère : à propos du chleuh, Galand propose d’analyser aya ‘ceci’ comme « {a noyau + a satellite} ‘ce c(ci)’, une semi-consonne [y] de rupture d’hiatus, très fréquente en berbère, s’interposant entre les deux voyelles. » (Galand 2010 :100). Cette analyse s’adapte bien au suffixe -a(-ja) du siwi. En revanche on glosera indifféremment les suffixes -a et -aja parce que, comme on vient de le voir, il n’y a pas de différence fonctionnelle entre les deux formes. Le choix (pratique) de le gloser RES (resultatif) est justifié par le fait qu’on le considère identique au même suffixe (-a) qui est présent avec les autres catégories grammaticales, notamment après l’accompli, dans la forme qu’on a appelée accompli résultatif (cf. 4.3.1).

Passons maintenant aux fonctions de ce suffixe, en discours. En analysant les données provenant de différents types d’enregistrement, on remarque immédiatement que les fonctions attribuées aux démonstratifs se construisant avec le suffixe -a sont beaucoup moins nombreuses que celles réservées aux autres suffixes.

On l’utilise principalement quand :

(a) Les informations ne sont pas partagées avec le destinataire et restent donc la propriété exclusive du locuteur.

(b) Quand on a un référent général, non spécifié. Le locuteur n’a pas en tête un référent spécifique, il fait recours à son abstraction et à celle du destinataire.

(c) Le démonstratif, sous sa forme pronominale, est utilisé aussi dans les listes pour marquer le contraste (même si cette fonction n’est pas réservée seulement à w-a(ja) vu qu’on retrouve aussi wən, dans ces cas, comme nous le verrons plus loin).

(a) Inaccessibilité des informations pour le destinataire

On utilise le proximal quand le locuteur (ou le protagoniste) ne partage pas le contenu avec son destinataire : c’est le cas, par exemple, dans un conte, quand le personnage principal ouvre une parenthèse pour expliquer ce qu’il pense (ce qui est dans sa tête, qu’il dit à voix basse, mais qui n’est pas partagé avec son interlocuteur dans le discours.). Le fait que le verbe ‘dire’ n’ait pas de clitique d’objet indirect (qui est obligatoire en siwi) nous indique qu’il ne s’adresse à personne :

Les démonstratifs

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6.2

j-əṃṃəl la la la / t-áxʃəm-t tat-ája /

3SG.M-dire.ACC non non non / F-débile-F DEM.F-RES /

la-jə-nfu la-gə-ngr-ax did-əs

NEG-3SG.M-être_utile.ACC NEG-IRR-vivre.AOR-1SG avec-3SG

Il dit (pensa) : « Non, non, non, cette fille débile, il n’est pas possible que je vive avec elle (SIZ_VS_NARR.121)

A chaque fois qu’il pense à ses référents, il utilise les démonstratifs avec -a :

6.3

ħətta w-í-ja bidu xʃím-ən

même DEM-PL-RES aussi débile-PL

« Ceux-ci aussi sont débiles » (SIZ_VS_NARR.121)

Alors que, pour toutes les autres fonctions, les autres suffixes sont utilisés. (b) Référents abstraits imaginés par le locuteur

C’est souvent le cas quand on oppose deux référents. Le locuteur, à travers le choix de ce suffixe, demande à l’interlocuteur de se figurer des référents abstraits. Quand il est adnominal et donc qu’il y a un nom adjacent, il suggère juste qu’il n’y a pas de référence spécifique. Cet usage est appelé par Bühler (1934) ‘Deixis am Phantasma’ et ‘deictic projection’ par Lyons (1979 :88-103). Il est caractéristique des narrations et descriptions (Diessel 1999 :95) : « the deictic center has been shifted from the speaker to an imaginary observer in the story world. »6 Dans l’exemple suivant, aucune tribu n’a été introduite auparavant. Le locuteur ne réfère pas à une tribu en particulier :

6.4

ənnhaṛdin l-jə-nfu ga-nʤf-aṭ səg

dans-le-passé NEG-3SG.M-être_utile.ACC IRR-se_marier.AOR-2SG depuis

ləqbílət tat-á g ləqbílət tat-á

tribu.F DEM.F-RES dans tribu.F DEM.F-RES

Les démonstratifs

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Dans le passé il n’était pas possible qu’on se marie entre deux tribus différentes (SIZ_VS_NARR.068)

De même, au début d’un conte, on a :

6.5

tɣátt əgd-á / azídi əgd-á

chèvre.F dans-RES / chacal.M dans-RES

D’une part la chèvre, d’autre part le chacal (SIZ_VS_NARR.101)

Le lieu est abstrait, ni le locuteur, ni le destinataire ne savent où les référents sont positionnés mais on sait qu’ils sont dans deux positions séparées.

C’est le même scénario pour l’exemple suivant :

6.6

ga-ħaṭṭ-aṭ ħə́bba ss-á / ħə́bba ss-á

IRR-mettre.AOR-2SG peu DEM-RES / peu DEM-RES

Tu (en)mets un peu de ce côté un peu de l’autre côté (SIZ_VS_CONV.004)

Et dans un autre conte, un vendeur de noms propose ceux qu’il vend à une fille qui veut changer le sien, étant donné qu’il ne lui convient pas. Il ne spécifie pas quels sont les noms :

6.7

ɣuṛ-i ams-á / ɣuṛ-i ams-á /

chez-1SG comme_ça-RES / chez-1SG comme_ça -RES /

ɣuṛ-i ams-á

chez-1SG comme_ça -RES

J’(en) ai comme ça, comme ça, comme ça…(SIZ_VS_NARR.121)

Dans un jeu, certains des enfants chantent, face à un arbre (en attendant que les autres restent immobiles derrière eux) :

6.8

w-ája jaẓiṭ-ə́nn-aw / t-ája t-jaẓəṭ-ə́nn-aw

DEM.M-RES coq.M-de-1SG / DEM.F-RES F-coq-de-1SG

Les démonstratifs

- 174 - Dans la description de la division de l’hérédité, les gens :

6.9

i-tẓan-an w-á d w-á

3-diviser.INACC-PL DEM.M-RES avec DEM.M-RES

Ils divisent ça avec ça (SIZ_VS_NARR.119)

(c) Contraste dans les énumérations:

Dans les énumérations, le pronom démonstratif est utilisé. Dans ce cas aussi, les référents sont abstraits. Le locuteur met en constraste deux référents ou plus:

6.10

ga-təṃṃ-as i w-ája əf̣f̣ai /

3SG.F-dire.AOR-3SG.OI à DEM.M-RES arrêter.IMP /

i w-ája əxxi

à DEM.M-RES arrêter.IMP

Elle dit à une personne : « Arrête ! » A l’autre : « Ça suffit ! » (SIZ_VS_NARR.091)

6.11

w-á i-təṃṃəl ə́nn-aw / w-á

DEM.M-RES 3SG.M-dire.INACC de-1SG / DEM.M-RES

i-təṃṃəl áʧʧi ə́nn-aw

3SG.M-dire.INACC NEG de-1SG

L’un dit: ‘c’est le mien’, l’autre dit ‘ce n’est pas le mien’ (SIZ_VS_NARR.119)

6.12

w-ája i-xəddəm g əlfondóq / w-ája g əlbazár

DEM.M-RES 3SG.M-travailler.INACC dans hôtel / DEM.M-RES dans bazar

L’un travaille dans l’hôtel, l’autre dans le bazar (SIZ_VS_CONV.009)