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Les encadrements possibles de l’expression comique

L’expression humoristique peut être soumise à divers encadrements. Par exemple, pourraient être considérés comme des limites le respect d’un « code de déontologie »89 ou l’existence d’une « censure de fait »90. Cependant, nous nous intéresserons exclusivement aux bornes juridiques. Nous en relèverons trois types.

• Les limites administratives :

Tout d’abord, très succinctement, il est possible de limiter l’expression préventivement, avant même qu’une parole ne soit effectivement prononcée. En vertu de leurs pouvoirs de police administrative, les maires et préfets peuvent ainsi interdire la tenue de certaines représentations91. Sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, cela fut par exemple récemment le cas pour le spectacle de Dieudonné « Le Mur ». Au regard de « la gravité des risques de troubles à l’ordre public », notamment en raison des nombreuses condamnations pénales de l’humoriste, le Conseil d’Etat valida tous les arrêtés d’interdiction92.

• Les limites civiles :

La liberté d’expression peut aussi être limitée par le droit civil. Lors de la promulgation de la loi sur la liberté de la presse de 1881, le législateur n’avait pas anticipé l’essor de la responsabilité civile. Or, selon l’ancien article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 depuis la réforme du 10 février 2016 93, toute faute faisant naître un dommage

89 Selon Emmanuel Derieux, « Introduction générale, Le droit de la presse : une spécialité légitime ou

dépassée ? », Legicom n°35, 2006, p.13, la déontologie correspond à « l’ensemble des règles de conduite, au

regard desquelles apprécier les pratiques professionnelles de chacun, dont une profession organisée se dote et dont elle assure le contrôle de l’application sinon la sanction ». Le respect d’un tel code se comprend pour le journalisme, profession organisée et règlementée, mais paraît impossible à transposer à l’ensemble des adeptes de l’humour.

90 En atteste par exemple le retrait du site France Inter de la chronique humoristique d’Audrey Vernon

évoquant le suicide d’un cheminot syndicaliste diffusée en direct le 17 mars 2017.

91 Pour cela, les conditions de l'arrêt du Conseil d'Etat, 19 mai 1933, n°17413 17520, dit « Benjamin » et de

l'arrêt du Conseil d'Etat, 27 octobre 1995, n°136727 dit « Commune de Morsang-sur-Orge » devront être respectées.

92 Conseil d’Etat, 9 janvier 2014, n°374508, « Ministre de l'intérieur c. Société Les Productions de la Plume et

M. Dieudonné M’Bala M’Bala ».

93 Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de

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doit pouvoir donner lieu à une réparation de la victime. Dès lors, face à un « abus » de la liberté d’expression, la victime avait le choix entre la voie civile et la voie pénale. Or, le but de la loi sur la presse était, et est toujours, d’assujettir le contentieux de presse à des règles particulières favorables à ses bénéficiaires. Permettre sans détour le recours à la responsabilité civile aurait indirectement pu rendre la loi sur la presse caduque. D’autant plus qu’en pratique la voie civile était davantage choisie par le justiciable notamment en raison du fait que le juge civil « se montre traditionnellement plus généreux […] dans l’appréciation des réparations »94.

Face à cette situation, dès 1951, le doyen Jean Carbonnier, dans son article « le silence et la gloire » se demandait si législateur de 1881 « n’avait pas entendu instituer, pour toutes les manifestations de la pensée, un système juridique clos, se suffisant à lui-même, arbitrant une fois pour toutes tous les intérêts en présence, y compris les intérêts civils et enlevant, du même coup, à l’article 1382 une portion de sa compétence diffuse »95.

Conscient de cette problématique, l’avocat Bruno Landry, dès 1997 proposait la création d’une « chambre de la presse » « qui aurait à connaître de l’ensemble des infractions à la loi du 29 juillet 1881 et statuerait, selon les cas, en formation civile ou correctionnelle »96. Son objectif était d’instaurer une plus grande égalité entre les justiciables et des solutions plus homogènes.

Le cheminement de la Cour de cassation a été tout autre. Elle a commencé par indiquer que lorsqu’un fait dommageable est susceptible de revêtir une qualification pénale comprise dans la loi de 1881, l’action civile se doit de suivre les règles de fond et de forme normalement applicables devant le juge répressif97. Une telle solution a pour dessein de mettre fin aux contournements du régime favorable à la presse en matière pénale. La voie civile perd son intérêt.

94 Bruno Landry, « L’application des règles de procédure de la loi du 29 juillet 1881 devant la juridiction civile :

point de vue d’un avocat », Liberté de la presse et droits de la personne, Acte du colloque organisé le 20 juin

1997 par le Tribunal de Grande Instance de Paris et l'Ordre des avocats à la Cour de Paris, Paris, Dalloz, 1997, p.59.

95 Jean Carbonnier, « Le silence et la gloire », Dalloz, 32e cahier, chron 28, 1951, p.119 et 120. 96 Bruno Landry, supra note 94, p.62.

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Quatre arrêts de rejet du 12 juillet 2000 rendus dans la forme la plus solennelle de la Cour de cassation, en Assemblée plénière, sont allés encore plus loin. La juridiction déclare que « les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »98. Le recours à la responsabilité devient impossible pour des faits relevant de la loi de 1881. Ainsi, « dès lors que les faits poursuivis correspondent à l’élément matériel de l’un des délits de la loi sur la presse, seule cette loi s’applique, quand bien même le délit ne serait pas constitué pour défaut d’intention de l’auteur »99. Le professeur Patrice Jourdain souligne que « l'application de l'art. 1382 ne s'étend pas exactement à tous les cas d'absence d'infraction punissable ou constituée, mais est subordonnée à l'existence de faits distincts de ceux que la loi pénale sanctionne »100.

Un des arrêts concerne la matière humoristique101. En l’espèce, deux sociétés automobiles demandent réparation à l’émission satirique « Les Guignols de l’Info » sur le fondement de l’article 1382 en raison de propos prêtés à leur président conduisant à dénigrer leurs produits. Les faits litigieux ne sont ici pas susceptibles d’une qualification de presse. On pouvait donc imaginer que les magistrats consentent à l’utilisation de la voie civile.

Tel avait d’ailleurs été le cas de l’arrêt de la deuxième chambre civile102 saisie des mêmes faits, avant le renvoi devant l’Assemblée plénière. Du fait du « caractère outrancier, provocateur et renouvelé des propos tenus s'appliquant à la production de la société automobile », une faute civile avait été relevée. La consécration d’une telle solution aurait pu ouvrir la porte à de nombreux dédommagements. L’action civile exige en effet simplement la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité. Le professeur Bernard Edelman met en exergue l’effet dévastateur de cette solution en ces termes : « d'un côté, au regard de la « faute », il apparaissait que toute parodie était condamnable puisque, par nature, elle était à tout le moins outrancière et provocatrice, de l'autre côté, il était inutile de prendre

98 Cour de cassation, Ass. plén., 12 juillet 2000, n°98-10.160 et Cour de cassation, Ass. plén., 12 juillet 2000,

n°98-11.155 réitérée par Cour de cassation, Civ. 1re, 16 novembre 2016, n°15-22.155 et Cour de cassation, Civ. 3e, 1er décembre 2016, n°15-26.559.

99 Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer, supra note 16, p.712.

100 Patrice Jourdain, « Responsabilité civile en matière de presse », Recueil Dalloz, 2000, p.464. 101 Cour de cassation, Ass. plén., 12 juillet 2000, n°99-19004.

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en compte le fait que le parodiste soit ou non un concurrent, puisque l'intention de nuire n'était pas exigée »103.

Après résistance de la cour d’appel, le litige revint devant la Cour de cassation, en Assemblée plénière, qui invalida l’utilisation de la voie civile. Fut ainsi soutenu que « les propos mettant en cause les véhicules de la marque s'inscrivaient dans le cadre d'une émission satirique diffusée par une entreprise de communication audiovisuelle et ne pouvaient être dissociés de la caricature faite de M. X..., de sorte que les propos incriminés relevaient de la liberté d'expression sans créer aucun risque de confusion entre la réalité et l'œuvre satirique ». Les propos relevaient donc bien de la caricature, genre humoristique auquel la Cour accorde un régime de faveur. Parodier une marque, sans qu’un risque de confusion soit constitué entre la satire et la réalité, est ainsi non constitutif d’une faute civile ou pénale. La Cour emprunte un raisonnement du droit de la propriété intellectuelle ainsi qu’une mention à la liberté d’expression. Ainsi, « la raison de l’exclusion de la responsabilité réside dans l’exercice du genre parodique, doté d’un intérêt supérieur à l’intérêt défendu par le dénigrement fautif »104.

Toutefois, du fait du caractère circonstancié de l’espèce, la Cour n’a pas voulu écarter totalement l’article 1382. Si un risque de confusion existait ou si les faits ne relevaient pas de la satire, un fait dommageable ne relevant pas d’une infraction de presse pouvait encore donner lieu un dédommagement civils.

Il a fallu attendre l’arrêt de la première chambre civile du 27 septembre 2005 pour que «les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne [puissent] être poursuivis sur le fondement de ce texte [l’article 1382 du Code civil] »105. Le pas qui avait été franchi pour la matière satirique s’applique désormais à toutes les abus d’expression envers les personnes. La matière humoristique s’est révélée précurseur de la solution, révélant une certaine bienveillance de la Cour de cassation envers l’acte comique.

Ainsi, depuis 2005, la responsabilité pour faute ne peut plus être utilisée. Seul l’intérêt lésé compte, il n’est même plus nécessaire de justifier que tel dire pourrait correspondre à tel

103 Bernard Edelman, « Une belle victoire des Guignols de l’Info », Recueil Dalloz, 1999 p.449. 104 Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer, supra note 16, p.739.

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élément matériel de l’infraction. La séparation des régimes semble la bienvenue. Outre le fait que les contournements de la voie pénale ne soient plus possibles, l’exclusion de la responsabilité pour faute permet d’éviter une jurisprudence trop hétérogène. Le contentieux de la presse étant déjà factuel, subjectif, maintenir l’intervention d’un deuxième arbitre n’aurait fait qu’amplifier les divergences prétoriennes.

Si l’on s’éloigne de la loi de 1881, il faut noter que les actions civiles en réparation se sont multipliées comme celles fondées sur l’article 9 du Code civil sur le respect de la vie privée ou sur l’article 9-1 relatif à la présomption d’innocence. Ainsi, « en l’absence de relation avec une infraction au sens de la loi de 1881, le droit commun de la responsabilité civile assure encore la nécessaire protection des droits des individus et des groupes »106.

Rappelons qu’au Canada, les infractions que nous allons étudier relèvent du Code criminel et non d’une loi criminelle spécifique à la presse. Il est ainsi logique que les justiciables aient conservé le choix de la voie civile ou de la voie criminelle. Comme nous l’avons déjà abordé, la voie civile est presque toujours préférée.

• Les limites pénales :

Pour en venir au cœur de notre sujet, il nous faut nous intéresser aux frontières pénales de la liberté d’expression que l’on retrouve dans la loi du 29 juillet 1881.

Le législateur français a fait le choix d’interdire certaines expressions qu’il estime contraires aux valeurs de la société. Depuis une trentaine d’années, on assiste à un mouvement inverse de celui qui avait abouti au vote de la loi de 1881. Alors que la loi sur la presse avait pour objectif de supprimer les délits de parole, des textes législatifs sont progressivement venus compléter ou créer de nouvelles incriminations. Par exemple, depuis la loi du 30 décembre 2004107, la diffamation, l’injure et la provocation publiques ont été étendues aux propos visant une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

106 Emmanuel Derieux, supra note 60, p.117.

107 Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les

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Aussi, dès qu’un texte vient reconnaître une période historique ou un évènement comme un crime particulier, le champ de certaines infractions de presse est indirectement étendu. Tel est par exemple le cas de la loi du 29 janvier 2001108 reconnaissant le génocide arménien ou la loi du 21 mai 2001109 faisant de la traite et de l’esclavage des crimes contre l’humanité. Ces lois sont dites mémorielles c’est-à-dire qu’elles sont « destinées à « faire mémoire » de tel ou tel évènement historique en le présentant comme une vérité de droit, affirmée comme telle par le pouvoir législatif, la négation de cette vérité étant éventuellement assorties de sanctions »110. Le professeur Guy Carcassonne y voit d’ailleurs « une vérité officielle par détermination de la loi »111. Une part de la doctrine soutient que ces lois seraient inconstitutionnelles : « Pour s’en tenir au seul droit à la liberté d’expression, il est aisé de conclure que ces lois (ou propositions) portent en particulier atteinte à la liberté de recherche et n’apparaissent aucunement nécessaires dans une société démocratique, au sens de l’article 10 de la Convention européenne, car leur objet n’est pas la protection des droits d’autrui ou d’un intérêt public »112.

Nombre d’auteurs estiment que ces compléments législatifs ont réintroduit en France des délits d’opinion. Il n’existe aucune définition en droit positif de ces délits et les avis doctrinaux sont nombreux. Un parallèle entre une infraction et un délit d’opinion est néanmoins souvent péjoratif, la liberté d’expression devant primer pour une grande majorité d’auteurs. Selon le professeur Olivier Roumelian, le délit d’opinion « consiste en une interdiction de s’exprimer sur un sujet déterminé sous peine de sanction pénale »113. Il semble que soient aujourd’hui assimilés aux délits d’opinion les délits de presse.

Le but est finalement de venir sanctionner des opinions publiques jugées dangereuses, néfastes, indésirables, blessantes ou outrageantes. En définitive, la loi de 1881 qui voulait

108 Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

109 Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime

contre l’humanité.

110 Jean-Marie Carbasse, Les 100 dates du Droit, Paris, coll Que sais-je ?, PUF, 2011, p.123. 111 Guy Carcassonne, La Constitution, 7e ed, Paris, coll. Point n°541, Seuil, 2005, p. 408. 112 Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer, supra note 16, p.100.

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être « un système juridique clos »114 selon l’expression du Doyen Jean Carbonnier, s’est peu à peu étendue.

Pour tous les délits de presse, une publication est nécessaire. En effet, comme l’indique le magistrat Philippe Bilger « [l]’infraction de presse ne se rapporte pas à la pensée solitaire ou sauvage mais à l’opinion qui a pour vocation d’être sociale »115. Les modes de publicité sont énumérés à l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse. Le professeur Philippe Conte en distingue trois : celui par la parole, celui par l’écrit et celui par un moyen de communication au public par voie électronique116.

En sus de l’auteur et de la cible, l’acte comique fait intervenir un troisième acteur : le public. En effet, « il faut que l’acte humoristique soit donné en partage. […], il faut que l’humoriste puisse communier avec un autre dans cette même mise en cause du monde social et des personnes »117. En cela, la raillerie remplira la condition de publicité nécessaire à la commission d’une infraction de presse. Par exemple, la publicité pourra être le fait de propos tenus lors d’un spectacle humoristique, d’une intervention télévisée ou radiophonique. Cela sera également le cas d’écrits ou de dessins publiés dans des journaux ou romans. La condition de publicité pourra être remplie par l’utilisation d’internet118.

L’énumération suivante des délits de presse, non exhaustive, se concentre sur les infractions les plus à même de venir sanctionner le mot d’esprit119.

114 Jean Carbonnier, supra note 95, p.119.

115 Philippe Bilger, Le droit de la presse, Paris, coll Que sais-je ?, PUF, 2003, p.22 et 23.

116 Pour plus de précision sur la notion de publicité, voir Philippe Conte, Droit pénal spécial, 4e éd, Paris,

LexisNexis, 2013, p.258 à 260.

117 Patrick Charaudeau, supra note 28, p.137.

118 Un simple tweet peut ainsi fonder des poursuites pour un délit de presse. En atteste celles exercées à

l’encontre de Maître Eolas, avocat et blogueur, en raison d’un tweet railleur. En ce sens, lire l’article de Zineb Dryef, Le Monde, 18 novembre 2016, en ligne : http://www.lemonde.fr/m-moyen- format/article/2016/11/18/a-la-poursuite-de-maitre-eolas_5033555_4497271.html.

119 L’ensemble des infractions de presse ne sera pas abordé. Certaines infractions, comme la contestation des

crimes contre l’humanité (article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881), les deux délits de publication de fausses nouvelles (article 27), la réalisation ou la diffusion de sondages sur la culpabilité d’une personne (35 ter II), la publication d’actes de procédure pénale (38 alinéa 1) ou la diffusion d’informations portant atteinte aux victimes d’infractions (art 35 quater, ou 39 quinquies), sont peu utilisées en pratique. Par ailleurs, il existe d’autres infractions limitant l’expression dans le Code pénal comme la provocation au suicide (article 223-13) ou les atteintes à la vie privée (articles 226-1,-2 et -3) dont le contentieux est foisonnant devant la Cour européenne.

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◦ La diffamation publique :

La diffamation publique120 constitue l’une des infractions de la loi de 1881, régie aux articles 29 à 35 et 42 à 65-2. Ce « crime de langue », selon l’expression de la professeure Dominique Lagorgette121, est l’infraction de presse la plus couramment utilisée. Conformément à l’article 29 de la loi de 1881, la diffamation peut se définir comme « [t]oute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Outre la publication, il est possible de mettre en exergue les éléments constitutifs de la diffamation : une allégation ou une imputation, un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération ainsi qu’une personne ou un corps déterminé. L’imputation est directe, le diffamateur soutient avoir personnellement constaté le fait en question. L’allégation est plus implicite, elle se rapproche de la rumeur, d’un dire sur la foi d’un tiers. En pratique, les tribunaux ne s’embarrassent pas d’une telle distinction. La jurisprudence s’attarde davantage sur la forme de l’imputation. Elle en retient une conception très large : peu importe l’utilisation d’une interrogation122 ou d’une insinuation123. Les subtilités de langages ne sont pas déterminantes.

Concernant l’objet de la diffamation, il doit s’agir d’un fait précis et déterminé. Cette exigence permet d’établir une distinction avec l’injure même si ce n’est pas toujours chose aisée124. La diffamation doit faire référence à un évènement, un acte précis, dont il est possible de prouver la véracité ou la fausseté ou qui peut faire l’objet d’un débat contradictoire125.

En outre, est nécessaire une atteinte à l’honneur ou à la considération. Ce critère est laissé à la libre appréciation des juges, ce qui peut parfois être délicat. Selon l’encyclopédie Larousse, l’honneur s’apparente au « sentiment de sa propre dignité, réputation » tandis que

120 Si la diffamation n’est pas publique, les articles R.621-1 et R. 624-3 du Code pénal peuvent tout de même

sanctionner le comportement par le biais d'une contravention.

121 Dominique Lagorgette, « Insulte, injure et diffamation : de la linguistique au code pénal ? », Argumentation

et Analyse du Discours, 15 avril 2012, par. 29

122 Pour une illustration : Cour de cassation, Ch. Crim., 24 novembre 1960, n°552.

123 Pour une illustration : Cour de cassation, Ch. Crim., 2 novembre 2016, n°15-84.614 ou Cour de cassation,

Ch. Crim., 23 juin 2015, n°14-83.599.

124 Pour une illustration : Cour de cassation, Ch. Crim., 14 février 2006, n°05-82.475 sur l'expression « néo-nazi

notoire selon le chercheur Jean-Yves Eamus » .

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la considération se définit comme la « bonne opinion qu'on a de quelqu'un, l’estime, l’égard accordé à quelqu'un ». Les termes sont donc proches même si le point de vue diffère :