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La justification de l’infraction par le critère du débat d’intérêt général

Lorsqu’est mentionnée l’influence européenne, deux sources potentielles sont concernées : le Conseil de l’Europe créé en 1949 regroupant 47 Etats-membres ainsi que l’Union Européenne datant de 1957 et comportant actuellement 28 pays. Bien que les deux organisations s’intéressent aux droits fondamentaux, nous nous concentrerons sur la vision de la première qui reste la référence en terme de liberté d‘expression.

• La conception de la liberté d’expression du Conseil de l’Europe :

Avant toute chose, il nous semble nécessaire d’exposer la conception de la liberté d’expression du Conseil de l’Europe. La liberté d’expression est garantie par l’article 10 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. L’ensemble de l’arsenal normatif et judiciaire européen lui accorde une force toute particulière.

Par exemple, la Commission européenne des Droits de l’Homme soutient que la liberté d’expression est « la pierre angulaire des principes de la démocratie et des droits de l’homme protégés par la Convention »288.

L’abondante jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, cour suprême commune aux Etats membres du Conseil de l’Europe en matière de droits fondamentaux, accorde toute sa suprématie à la liberté d’expression ainsi qu’à son corollaire, la liberté d’information. La presse a ainsi un rôle de « chien de garde » de l’information289. D’ailleurs, selon Pascal Dourneau-Josette, chef de division à la Cour européenne des droits de l’homme, « le juge doit partir du constat que la liberté d’expression est le principe fort et

288 ComEDH, rapport n°17851/91 du 30 novembre 1993, Vogt c. Allemagne.

289 CourEDH, Thorgeir Thorgeirson c. Icelande, 25 juin 1992, n°13778/88, par. 63, ou CourEDH, Bladet Tromso

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déterminant […] partant, toute atteinte, et a fortiori, toute condamnation, devrait rester réellement exceptionnelle »290.

Interprétant la Convention européenne, la juridiction présente sa conception de la liberté d’expression en ces termes retentissants : « la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société démocratique, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance ou l'esprit d'ouverture sans lequel il n'est pas de société démocratique »291. La jurisprudence française reprend parfois cette formulation292.

L’ensemble des expressions est protégé, l’article 10 de la Convention « ne s’applique pas seulement à certaines catégories de renseignements, d’idées ou de modes d’expression »293. Tous les contenus sont protégés englobant, notamment, « la liberté d’expression artistique […] qui permet de participer à l’échange public des informations et idées culturelles, politiques et sociales de toute sorte »294.

Une multitude d’arrêts illustrent la large conception européenne de la liberté d’expression. Il est par exemple possible de faire mention de la décision Lehideux et Isorni

c. France du 23 septembre 1998295 remettant en cause une condamnation pour apologie de crime de guerre en raison de l’importance du débat historique.

Toutefois, la liberté d’expression n’est pas absolue. La logique est similaire aux conceptions française et canadienne. Le paraphage 2 de l’article 10 de la Convention européenne admet certaines limites à la liberté d’expression296. Partant, lorsque les juges

290 Pascal Dourneau-Josette, « Droit de la presse et informations d’intérêt général. Droit de la presse et

informations d’intérêt général », Légipresse, n°323, 2015, p.25.

291 CourEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, n°5493/72 ou CourEDH, Jersild c. Danemarck, 23

septembre 1994, n°15890/89 ou CourEDH, Oberschlick c. Autriche, 1 juillet 1997, n°11662/85.

292 Pour un exemple : CA Paris, 12 mars 2008, « P.Val et Société Editions Rotative c. Union des organisations

islamiques de France ».

293 CourEDH, Markt Intern Verlag GMBH et Klaus Beerman c. Allemagne, 20 novembre 1989, n°10572/83,

par. 26.

294 CourEDH, Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, n°10737/84, par. 27. 295 CourEDH, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, n°24662/94.

296 Le paragraphe est ainsi formulé : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités

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européens sont face à un litige concernant l’article 10, ils suivent un cheminement bien rôdé : ils commencent par apprécier si une condamnation interne contreviendrait à la liberté d’expression. En cas de réponse affirmative, il est nécessaire de vérifier si l’atteinte à la liberté se justifie au regard du paragraphe 2 de l’article 10. Les juges suivent alors la logique de l’arrêt Lingens c. Autriche297 et déterminent si l’ingérence législative est prévue par la loi298, vise un but légitime en vertu du paragraphe 2 et est nécessaire dans une société démocratique. L'adjectif « nécessaire » signifie que l’ingérence doit être justifiée par un « besoin social impérieux » selon les termes de la Cour européenne.

Il est à noter que la liberté d’expression pourra être bornée par d’autres droits comme celui au respect de la vie privée299 ou celui à la présomption d’innocence300.

Les solutions prétoriennes de la Cour de Strasbourg vis-à-vis de la liberté d’expression sont parfois critiquées pour leur instabilité. Le professeur Philippe Conte dénonce par exemple « une forte impression d’arbitraire » et « des solutions imprévisibles, au sacrifice de la sécurité juridique » en raison du contrôle très factuel de la juridiction301. De même, le professeur Jean Morange dénonce le fait que les solutions françaises « soient remises en cause, sans discussion de fond, pas une jurisprudence trop uniformisatrice, trop casuistique et souvent trop peu argumentée, d’une Cour européenne qui néglige manifestement l’équilibre voulu par les rédacteurs de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme »302.

La Cour européenne a déjà eu à se prononcer au sujet de litiges pénaux liés à l’humour. Certains enseignements ont ainsi déjà été posés. La juridiction attache un intérêt tout particulier à la satire qui, par son exagération, « vise naturellement à provoquer et à agiter

constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. ».

297 CourEDH, Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, n°9815/82, par. 34 à 37.

298 La Cour retient une conception matérielle de la « loi ». Elle y intègre ainsi la jurisprudence. Son objectif est

de s’adapter à tous les systèmes juridiques des Etats membres du Conseil de l'Europe.

299 CourEDH, Von Hannover c. Allemagne, 24 juin 2004, n°39954/08. 300 CourEDH, Dupuis et a. c. France, 7 juin 2007, n°1914/02.

301 Philippe Conte, supra note 116, p.265.

302 Jean Morange, La conception française de la liberté d’expression, La liberté d’expression aux Etats-Unis et

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»303. Aussi, elle affirme que « la satire est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, par les éléments inhérents au genre que sont l’exagération et la distorsion de la réalité, a naturellement pour le but de provoquer et de troubler. Par conséquent, toute ingérence avec le droit d’avoir recours à ce mode d’expression doit être examinée avec une attention particulière »304. La juridiction précise même que « [l]’usage du sarcasme et de l’ironie est parfaitement compatible avec l’exercice de la liberté d’expression journalistique »305.

Un véritable « droit à la critique » a été érigé. A ce titre, dans l’arrêt Koutsoliontos et

Pantazis c. Grèce du 22 septembre 2015, à propos d’un article journalistique, la juridiction

de Strasbourg a estimé que même si « l’article litigieux se caractérisait par un style polémique, sarcastique, incisif et provocateur. […], le rôle des juridictions internes dans une procédure de diffamation ne consiste pas à indiquer à l’intéressé le style à employer lorsque celui-ci exerce son droit de critique, même de manière acerbe. Les tribunaux internes sont plutôt appelés à examiner si le contexte de l’affaire, l’intérêt du public et l’intention de l’auteur des propos litigieux justifiaient l’éventuel recours à une dose de provocation ou d’exagération »306.

• Le point de vue de la Cour européenne quant à l’infraction française de diffamation : Or, malgré la place centrale de la liberté d’expression dans les solutions européennes , les juges européens ont validé la principale incrimination française restreignant cette liberté : la diffamation.

Une telle validation n’était pas évidente. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet déjà amené la France à abroger certaines infractions touchant la liberté d’expression. Par exemple, l’arrêt Colombani et autres c. France du 25 juin 2002307 a poussé le législateur à abroger le délit d’offense d’un chef d’Etat étranger308, considéré comme

303 CourEDH, Alves da Silva c. Portugal, 20 octobre 2009, n°41665/07, par. 27. 304 CourEDH, Ziembinski c. Poland (n°2), 5 juillet 2016, n°1799/07, par. 45. 305 Ibid, par. 44.

306 CourEDH, Koutsoliontos et Pantazis c. Grèce, 22 septembre 2015, n°54608 et 54590/0, par. 43. 307 CourEDH, Colombani et autres c. France, 25 juin 2002, n° 51279/99.

308 Tel a été le cas par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de

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ancêtre du crime de lèse-majesté309. En sus de l’atteinte à la liberté d’expression, la condamnation française se fondait aussi sur l’impossibilité de faire jouer le fait justificatif d’exceptio veritatis pour ce délit de presse310. Comme c’est fréquemment le cas, le droit du public à l’information était aussi avancé, des raisons diplomatiques ne devant supplanter ce droit.

La question de la validité même du délit de diffamation s’est posée notamment après la publication du rapport Guinchard prônant sa dépénalisation311. Alain Peyrefitte, ancien ministre et ancien président du Comité éditorial du Figaro, espérait lui aussi cette dépénalisation : « une société ouverte, transparente, civilisée, comme celle que nous prétendons être, doit permettre de ne juger qu’au civil, se dépénaliser, désencombrer les tribunaux et utiliser des structures alternatives comme la médiation »312. A l’inverse, le magistrat Jean-Yves Monfort estime que le procès pénal serait mieux adapté aux infractions de presse de par son caractère symbolique, protecteur et public313.

Or, la jurisprudence européenne n’a jamais remis en cause le délit de diffamation. Elle a déjà implicitement admis l’utilité de ce délit dans l’arrêt Colombani et autres c. France qui invalide le délit d’offense d’un chef d’Etat étranger notamment en raison du fait qu’il est possible à ce chef d’Etat de se défendre par le biais de la diffamation314. Une étape supplémentaire a été franchie dans l’arrêt Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France du 22 octobre 2007 qui conclut à la non-violation de l’article 10 en présence d’une diffamation. En l’espèce, est ainsi soutenu que tout créateur et quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume des devoirs et responsabilités315. Aussi, la logique de l’exceptio veritatis

309 Diane de Bellescize, « La France et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme », Rev Trimest Droits Homme n°61, 2005, p.257.

310 CourEDH, Colombani et autres c. France, supra note 307, par. 66 et 69.

311 Rapport Guinchard, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, 2007, p.19 et p.292 à 294 : la dépénalisation

a été proposée pour la diffamation, à l’exception de celles présentant un caractère discriminant, et pour l’injure. Plusieurs raisons ont été avancées dont le fait que la faute civile suffit, que ce contentieux représente, selon une étude de 2006, 91% du contentieux de presse, que la majorité des condamnations proviennent de citations directes et que les réquisitions du parquet sont rares.

312 Alain Peyrefitte dans le Colloque Presse-Liberté, Chastagnol et Percin, supra note 5, p.107. 313 Opinion de Jean-Yves Monfort dans le Rapport Guinchard , supra note 265, p.293.

314 CourEDH, Colombani et autres c. France, supra note 307, par. 67.

315 CourEDH, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, 22 octobre 2007, n°21279/02 et 36448/02, par.

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est validée dans cet arrêt même si la décision Mamère c. France 316 remet en cause la limite temporelle décennale de ce fait justificatif.

Cette logique est poussée encore plus loin dans l’arrêt Petrina c. Roumanie du 14 octobre 2008 puisque la Cour est allée jusqu’à inciter les Etats à adopter une infraction de diffamation. Elle a souligné qu’elle n’était pas convaincue que « les raisons avancés par les tribunaux internes afin de protéger la liberté d’expression étaient suffisantes pour primer face à la réputation du requérant » et a estimé « qu’il n’y avait pas un rapport de proportionnalité raisonnable entre les intérêts concurrents impliqués »317.

Le professeur Philippe Conte tire de cette jurisprudence la conclusion que « le recours au droit pénal pour protéger la réputation n’est pas, en tant que tel, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression »318.

Partant, malgré l’importance de la liberté d’expression dans l’esprit européen, le délit de diffamation n’est pas remis en cause. Il n’en demeure pas moins que la Cour européenne semble avoir à cœur de limiter les expressions pouvant tomber sous le coup de cette incrimination.

• Le critère du débat d’intérêt général :

En effet, la juridiction de Strasbourg cherche à trouver un équilibre entre les deux paragraphes de l’article 10 de la Convention, souvent au bénéfice de la liberté d’expression. Pour ce faire, en vertu de son rôle créateur de droit319, un critère est fréquemment utilisé en jurisprudence : le débat d’intérêt général. C’est finalement cette notion prétorienne qui se révèle déterminante dans la mise en balance de la liberté d’expression et des autres droits et libertés.

Il n’existe aucune définition du débat d’intérêt général en droit positif. Pascal Dourneau-Josette, Chef de Division au Greffe de la Cour européenne des Droits de l'Homme, y voit un avantage pour le juge national dont l’office est d’interpréter les contours de la

316 CourEDH, Mamère c. France, 7 novembre 2006, n°12697/03.

317 CourEDH, Petrina c. Roumanie, 14 octobre 2008, n°78060/01, par. 52. 318 Philippe Conte, supra note 116, p.254.

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notion320. Il est cependant possible d’opérer un lien entre le débat d’idées et le droit du public à l’information.

Ce critère sera déterminant quant à la force du contrôle opéré par la juridiction européenne. Si le débat est relatif à l’intérêt général, l’œil de la Cour se fera sévère, laissant peu de marge aux Etats. Si l’intérêt général n’est pas concerné, les Etats pourront plus facilement échapper à une condamnation.

Au regard de la jurisprudence européenne, l’application du critère est extrêmement vaste. Comme le souligne la professeure Agathe Lepage, « [l]e débat d'intérêt général est devenu le fer de lance de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme dans sa conquête constante de nouveaux domaines d'influence »321.

En atteste l’arrêt Eon c. France du 14 mars 2013322 qui, en présence d’un sujet polémique, utilise automatiquement le critère du débat d’intérêt général. Il suffit alors qu’un dire soit porté sur la place publique, médiatique, pour que son auteur échappe à une condamnation.

Le critère peut ainsi se retrouver dans une infinité de sujets dont, évidemment, l’acte humoristique. A ce propos, la décision précédente s’intéresse à l’acte satirique. Etait en cause un militant ayant brandi une pancarte lors du passage de l’ancien Président de la République française Nicolas Sarkozy où était inscrite la phrase « Casse-toi pov’con ». Ces paroles, amplement médiatisées, avaient été prononcées par l’homme politique lui-même quelques temps auparavant à l’encontre d’un homme refusant de lui serrer la main. Condamné en droit interne sur le fondement du délit d’offense au chef de l’Etat323, le prévenu porte l’affaire devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Précisons que même si la Cour ne s’est pas prononcé pas sur la conventionalité du délit d’offense au chef de l’Etat, la décision a incité le législateur à supprimer l’infraction de presse324. En revanche, le délit de diffamation

320 Pascal Dourneau-Josette, supra note 290, p.29.

321 Agathe Lepage, « Et une nouvelle conquête pour le débat d’intérêt général ! », Communication Commerce

électronique, n°12, 2016, comm. 103.

322 CourEDH, Eon c. France, 14 mars 2013, n°26118/10. 323 Article 26 de la loi du 29 juillet 1881.

324 Suppression opérée par l’article 21 de la loi n°2013-711 du 5 août 2013 portant diverses disposition

d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'union et des engagements internationaux de la France.

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reste possible à l’encontre du chef d’Etat, cela constitue même une circonstance aggravante325.

Selon la solution de l’arrêt, manifester son mécontentement en quelques mots sur une pancarte relève du débat d’intérêt général. L’application du critère se révèle extrêmement large. Toute personne peut participer à un tel débat, journaliste ou non. Cela étant, l’arrêt met l’accent sur le combat idéologique du prévenu, sur son militantisme. Elle prend finalement en compte un élément extrinsèque à l’affaire. La Cour relève la nature politique de la critique, élément ayant à coup sûr influé sur la solution. De même, est relevé que l’expression émanait initialement du Président lui-même et qu’elle avait été largement diffusée dans les médias.

Il est aussi à noter qu’il n’y a même pas besoin d’un « débat » au sens courant du terme. Il n’y a eu en l’espèce aucun échange de propos entre le militant et le Président. Finalement, il suffit que les propos revêtent un caractère public. Est-ce dire qu’il suffit que les médias se saisissent de l’affaire pour que cela devienne un débat d’intérêt général ? Fonder l’application d’un critère juridique sur des circonstances de fait paraît problématique.

Reste alors la notion « d’intérêt général » perçue par le professeur Christophe Bigot comme « indéfinissable, facteur d’imprévisibilité et arbitraire »326. Pour autant, aux dires de la Cour de Strasbourg, l’intervention satirique participe de l’intérêt général. La fonction sociale de l’action comique étant indéniable, nous ne pouvons qu’adhérer à cette vision.

En outre, la solution ne fait aucune référence à une « base factuelle suffisante ». Or, selon la professeure Nathalie Droin, la Cour de Strasbourg utiliserait le critère du débat d’intérêt général comme un fait justificatif « dès lors que les propos reposent sur une base factuelle suffisante »327. Cette référence a par exemple été faite dans l’arrêt Morice c.

France328. La notion de « base factuelle suffisante » paraît se fonder sur la même idée que l’exceptio veritatis sans en atteindre le même degré de véracité exigé. L’arrêt Chalabi c.

325 Conformément à l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881.

326 Christophe Bigot, « Droit de la presse et informations d’intérêt général. L’utilisation du critère de l’intérêt

général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, 2015, p.33.

327 Nathalie Droin, « Diffamation, débat d’intérêt général et bonne foi : la Cour de cassation persiste et signe.. »

, JCP G n°11, 2017, p.492.

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France329 admet par exemple que des faits jugés insuffisants à constituer l’exceptio veritatis peuvent néanmoins établir une base factuelle suffisante au regard du droit européen. Le professeur Emanuel Dreyer soutient ainsi qu’ « exiger une base factuelle suffisante, c'est exiger la preuve d'une vérité vraisemblable. […] À Strasbourg, elle compense l'absence d'exceptio veritatis ; chez nous, elle évoque une exceptio veritatis atténuée »330.

Ainsi, l’existence seule d’un débat d’intérêt général ne suffit habituellement pas pour permettre de tout dire, encore faut-il que les dires soient, dans une certaine mesure, vérifiables. Or, l’exigence d’une base factuelle suffisante peut poser souci à l’acte comique. Contrairement au journaliste dont le rôle est d’informer le public et pour lequel la vérification de l’information est primordiale, l’objectif de l’humoriste est bien différent. Peu importe que son discours soit véridique tant qu’il provoque le rire. L’humoriste ne se prétend pas journaliste, il est d’ailleurs généralement conscient que ses paroles ne seront pas prises au sérieux.

L’absence d’exigence d’une « base factuelle suffisante » dans l’arrêt Eon c. France est donc particulièrement importante dans le cas du contentieux humoristique. Dans l’espèce, exiger une telle preuve serait totalement incohérent au vue des circonstances. L’absence de cette référence ouvre encore plus le champ des possibles au critère du débat d’intérêt général. Au final, la juridiction supranationale a condamné la France sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne. Elle a énoncé que la sanction était disproportionnée et avait notamment « un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d'intérêt général »331.

La satire peut donc faire partie du critère du débat d’intérêt général. La précision a son importance eu égard à la largesse du critère européen. S’il suffit que le propos ou l’écrit