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L’éventail des infractions possibles, qui, en France, relèveraient des délits de presse, est de moindre importance dans l’ordre juridique canadien.

Les comportements suivants sont incriminés : • Le libelle diffamatoire :

Les articles 297 à 316 du Code criminel traitent du libelle diffamatoire. La place réservée au libelle diffamatoire dans le Code fait figure d’exception. L’infraction vient en effet réprimer les atteintes à la réputation et peut sembler mineure par rapport à la gravité des autres incriminations énumérées dans la même partie du Code criminel. Le libelle diffamatoire relève en effet de la partie VIII du Code relative aux infractions contre la personne et la réputation. Cette division comprend par exemple les crimes d’homicide (article 222), de meurtre (article 229), d’aide médicale à mourir (article 241.1) ou encore les voies de faits (article 265).

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L’article 298(1) pose une définition du libelle diffamatoire qui consiste « en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée ». Le terme « ridicule » renvoie directement à la matière comique.

Deux incriminations différentes apparaissent dans le Code criminel aux articles 300 et 301. La première consiste à publier des propos défavorables sur une personne sans motif valable et en sachant qu’ils sont faux. La seconde vise une publication similaire, peu importe qu’elle soit vraie ou fausse. La différence se joue donc sur l’élément intentionnel. La peine sera de cinq ans d’emprisonnement pour la première situation et de deux ans pour la suivante. Or, nous verrons que la décision R. c. Prior168 a déclaré l’article 301 contraire à la Constitution.

L’élément matériel de l’infraction, l’actus reus, est assez large : est nécessaire une publication d’une matière de nature à nuire à une personne ou destinée à l’outrager. A l’instar du droit français, la diffamation peut être explicite ou implicite, la même exigence de publication est requise. La différence notable concerne l’exigence de « matière » pour reprendre l’expression de l’article 298(1). En effet, le libelle diffamatoire suppose une certaine matérialité : une publication dans un journal, une œuvre, une affiche. De simples propos ne sont donc pas condamnables, même s’ils sont publics. Quant à la mens rea, élément mental de l’infraction, il sera étudié par la suite. Le moyen de défense fondé sur la vérité des faits allégués, s’apparentant à l’exceptio veritatis français, existe également.

L’article 298(2) nous intéresse particulièrement. Parmi les modes d’expression d’un libelle diffamatoire, la disposition mentionne l’ironie. Le législateur a ainsi anticipé l’argument de la plaisanterie. Tel est aussi le cas dans l’article 298(1) renvoyant au « ridicule ». Les précisions législatives pourraient laisser entendre que ce mode humoristique ne doit pas donner lieu à une impunité, qu’il ne faudrait pas traiter moins sévèrement la dérision. Or, comme cela sera analysé par la suite, la jurisprudence sort la matière comique du périmètre de cette infraction.

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L’existence de cette infraction a été contestée. La Commission de réforme du droit au Canada169, dans son rapport sur le libelle diffamatoire, a souligné les problèmes posés par une telle incrimination vis-à-vis de la liberté d’expression170. Finalement, au vu de l’importance du droit criminel qui se doit d’être l’ultima ratio, elle s’est prononcée pour son abandon171. Nous verrons que la Cour suprême du Canada n’est est pas venue à la même conclusion puisque l’arrêt R. c. Lucas172, à l’exception d’un article, a validé le régime répressif institué par le Code criminel.

• La propagande haineuse :

Le droit criminel canadien sanctionne la propagande haineuse contre un groupe aux articles 318 à 320.1. Une nouvelle fois, deux comportements sont visés. L’article 319(1) incrimine « l’incitation publique à la haine » c’est-à-dire « la communication de déclarations en un endroit public, incit[ant] à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix ». L’article 319(2) réprime, quant à lui, la « fomentation volontaire à la haine » soit, « la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, foment[ant] volontairement la haine contre un groupe identifiable ».

L’article 319(3) permet quatre défenses pour ces deux infractions. La vérité des déclarations constitue la première. L’exceptio veritatis n’est ainsi pas limité au libelle diffamatoire, contrairement au droit français. Ce moyen de défense que l’accusé doit établir par prépondérance des probabilités a été validé par la Cour suprême dans l’arrêt Keegstra173.

Une des autres défenses est assez singulière : le fait d’exprimer de bonne foi « une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux » auquel on croit ou pour tenter d’en établir le bien fondé, neutralise l’infraction. Des propos religieux, suffisamment virulents pour constituer une propagande haineuse, peuvent ainsi échapper au

169 Cette Commission indépendante a été instituée entre 1971 et 1993 puis entre 1997 et 2006 afin de

proposer des révisions du droit canadien. Elle est notamment à l’origine de deux rédactions de Codes en droit pénal qui n’ont pas vu le jour. Les travaux de l’organisme ont souvent retenu l’attention des magistrats, influençant parfois des courants jurisprudentiels.

170 Commission de réforme du droit du Canada, Le libelle diffamatoire, 1984, p.12. 171 Ibid, p.65.

172 R c. Lucas, [1998] 1 RCS 439 (C). 173 R c. Keegstra, [1990] 3 RCS 697 (C).

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droit criminel. Cette exception religieuse peut sembler étonnante aux yeux « laïques » du juriste français.

Partant, seules les infractions de libelle diffamatoire et de propagande haineuse pourraient potentiellement relever des délits de presse.

Néanmoins, concernant l’apologie du terrorisme, il faut toutefois noter que certains dires glorifiant des actes terroristes ont été poursuivis sur le fondement de l’incitation à la haine174. De plus, on peut mentionner l’article 83.221 du Code criminel entré en vigueur en 2015. Cette disposition interdit à quiconque de « sciemment, par la communication de déclarations, préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général[…], sachant que la communication entraînera la perpétration de l’une de ces infractions ou sans se soucier du fait que la communication puisse ou non entraîner la perpétration de l’une de ces infractions ». Bien qu’il n’existe pas encore de jurisprudence relative à cet article, il est possible qu’il réprime le même comportement que l’infraction française d’apologie du terrorisme. Tel serait sûrement le cas si le verbe « préconiser », qui n’est pas défini dans le Code criminel, était interprété de la même façon que dans l’arrêt Sharpe. Par analogie avec le verbe « conseiller », l’arrêt précédent soutient en effet que préconiser revient à « encourager activement »175. Aussi, peut-être que la notion d’encouragement actif est plus

restreinte que celle d’apologie. Les affaires Dionne176 et Mugesera177 soulignent à ce titre

que les déclarations doivent être de nature à inciter à la perpétration de l’infraction. Le comportement sanctionné est alors peut être plus exigeant que celui constitutif d’apologie du terrorisme en droit français.

Rappelons par ailleurs que l’article 181 du Code criminel relatif à la publication volontaire de fausses déclarations ou nouvelles a été invalidé dans l’arrêt Zundel178.

En outre, selon le professeur Louis-Philippe Lampron, «  la Charte, en garantissant la liberté d’expression, protège aussi le droit de critiquer les positions avec lesquelles on n’est

174 En ce sens, lire l'article de radio-canada du 3 février 2017, en ligne : http://ici.radio-

canada.ca/nouvelle/1014759/homme-quebec-accuse-incitation-haine.

175 R c. Sharpe, supra note 81, par. 56.

176 R. c. Dionne (1987), 38 C.C.C. (3d) 171 (C.A.N.‑B.), p. 180. 177 Mugesera c. Canada, 2005 CSC 40, par. 64.

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pas d’accord, même si cette critique s’exprime de façon virulente »179. Cela expliquerait l’absence de l’infraction d’injure en droit canadien. L’arrêt Lucas précise même qu’une infraction criminelle prohibant l’insulte serait trop attentatoire à la liberté d’expression180.

Il est toutefois possible de se demander si l’infraction d’outrage au tribunal définie à l’article 127 du Code criminel pourrait s’apparenter à celle d’injure française. En vertu de l’article 9 du Code criminel, cette infraction est la seule relevant du système de common law. En droit canadien, selon son degré de gravité, un même comportement peut constituer un outrage civil ou criminel.

L’infraction canadienne d’outrage au tribunal possède un périmètre bien délimité. L’atteste la décision R. c. Charbonneau181 où fut poursuivi un avocat « impoli » durant une audience. Est alors soutenu que l’outrage au tribunal pouvait être constitué par une impolitesse. Ainsi définie, un comportement insultant, au sens français, pourrait potentiellement relever du délit d’outrage au Canada.

Mais il n’en est rien. Reprenant l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta, la décision

Charbonneau délimite strictement le périmètre de l’infraction d’outrage. Pour que l’actus

reus soit constitué, il faut que l’accusé ait transgressé une ordonnance d’un tribunal ou y ait désobéi publiquement. Quant à la mens rea, les dires doivent « discréditer l’administration de la justice »182. De telles exigences n’existent pas concernant l’infraction française d’injure.

Ainsi, en l’espèce, même si l’avocat avait fait preuve d’une « grave impolitesse »183, cela ne suffisait pas à caractériser l’infraction, l’ordonnance du tribunal ayant été respectée. La Cour invita tout de même le Barreau à prononcer une sanction au nom du Code de déontologie des avocats. Elle a considéré le comportement répréhensible mais insuffisant pour constituer un acte criminel.

179 Louis-Philippe Lampron, dans « Injure, diffamation, apologie du terrorisme : jusqu’où peut-on aller ? »,

L’actualité, 4 mars 2015, p.1.

180 R c. Lucas, supra note 172, par. 79. Par contre, l’insulte grave est assimilée à un outrage : Ibid, par. 79 et

par. 82.

181 R c. Charbonneau, 2003 CanLII 45361 (QC CS), par. 27.

182 United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 RCS 901 (C), par. 24. 183 R c. Charbonneau, supra note 181, par. 44.

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L’infraction d’outrage au tribunal protège finalement le respect de l’autorité d’un tribunal plutôt que l’honneur ou la réputation de la personne. L’idée se retrouve dans le rapport sur l’outrage au tribunal de la Commission de réforme du droit du Canada selon lequel « [l]es pouvoirs en matière d’outrage au tribunal n’ont pas pour but de protéger la dignité, l’honneur ou la réputation personnels des juges, mais seulement les tribunaux et les juges agissant dans l’exercice de leur fonction judiciaire »184. Est aussi précisé que « [l]es insultes proférées contre un juge en dehors du tribunal qui n’entravent pas vraiment l’administration de la justice, ou ne visent pas à discréditer un tribunal, ne constituent pas une infraction »185. Des propos injurieux, même envers une personne dépositaire de l'autorité publique, ne sont pas réprimés par le droit criminel canadien.

Il n’est donc pas possible de faire un parallèle avec l’insulte présente en droit français. Ce dernier réprime déjà l’outrage envers un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions à l’article 434-24 du Code pénal. L’infraction est classée parmi les atteintes au respect dû à la justice. Le choix d’une infraction spécifique illustre bien que le comportement incriminé n’est pas le même que celui relevant de l’injure même si l’article 33 alinéa 1 vise spécifiquement les injures vers un dépositaire de l’autorité publique parmi lesquels sont comptés les magistrats. La distinction entre l’injure et l’outrage a récemment été rappelée par la chambre criminelle186. Toutefois, en droit français, il n’est pas sûr qu’un comportement injurieux soit vraiment différent d’un comportement outrageant. Au regard de certains arrêts, seule la qualité de la cible diffère. C’est par exemple le cas de l’arrêt du 19 avril 2000 selon lequel « [t]oute expression injurieuse ou diffamatoire, lorsqu’elle s’adresse à un magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire, dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice, est qualifiée d’outrage »187.

184 Commission de réforme du droit du Canada, L’outrage au tribunal, 1982, p.4. 185 Ibid, p.5.

186 Cour de cassation, Ch. Crim., 10 janvier 2017, n°16-81.558 : « toute expression injurieuse, qu'elle s'adresse

directement ou par la voie d'un rapporteur nécessaire à une personne chargée d'une mission de service public, ou à un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire, dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice, entre dans les prévisions, respectivement, des articles 433-5 et 434-24, même si elle présente un caractère public » .

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Il reste néanmoins une infraction qui aurait pu relever des délits de presse français : le libelle blasphématoire.

• Analyse du libelle blasphématoire :

Selon le dictionnaire Larousse, le blasphème se définit comme une « parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ». Il nous semble intéressant d’étudier l’historique du blasphème en France avant d’analyser l’infraction canadienne.

Le délit de blasphème n’existe plus dans l’arsenal législatif français depuis la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. L’absence du délit se comprend aisément du fait de la conception française singulière de la laïcité. La loi du 9 décembre 1905188, à son article 2, indique en effet que « [l]a République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Il est donc logique que le droit français ne reconnaisse pas le blasphème.

Il est cependant important de noter le particularisme du droit local d’Alsace et de Moselle. Ce droit, héritage historique venant d’Allemagne, comporte encore quelques singularités notamment des jours fériés supplémentaires ou l’enseignement religieux à l’école publique. Le délit de blasphème y existait également jusqu’à peu.

Issu de l’article 166 du Code pénal allemand de 1871, le délit réprimait de trois ans d’emprisonnement le fait de causer « un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageant » ou de « publiquement outrag[er] un des cultes ». Mais, depuis le retour de la région à la France en 1918, cette infraction n’a jamais été utilisée en pratique et n’a même jamais été traduite en français ou publiée au journal officiel. Après plus d’un siècle d’inutilisation, le délit a été abrogé189.

La seule invocation de l’article 166 date de 2013. Le 10 juillet 2013, Charlie Hebdo avait titré « Le Coran c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles » après une tuerie en Egypte.

188 Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

189 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017, supra note 146. L’infraction avait déjà fait l’objet d’un échange devant

le Sénat en 2015. Répondant à une question écrite (n° n°15521 de M. Patrick Abate (Moselle - CRC), publiée dans le JO Sénat du 02/04/2015 - page 736) du sénateur Patrick Abate, le Ministère de la justice avait déjà affirmé l’inapplicabilité de l’article en raison de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 précisant que l’absence de version officielle en français d’une loi est contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi. L’article 166 était ainsi déjà implicitement abrogé.

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La Ligue de défense judiciaire des musulmans avait alors déposé une citation directe pour blasphème en Alsace. Pour une question formelle, la procédure fut déclarée nulle190. L’abrogation a donc le mérite d’éviter ce type de poursuite et, dans l’espèce précédente, de protéger le journal satirique.

Néanmoins, ce n’est pas parce que le délit de blasphème n’existe pas en France qu’il n’y a pas de litiges liés à la religion. Comme vu précédemment, l’injure et la diffamation sont en effet aggravées lorsqu’elles visent des personne en raison de leurs croyances191. De même, l’infraction de provocation à la discrimination et à la haine traite les personnes visées en raison de leur religion de façon spécifique. Cette prise en compte juridique du fait religieux n’est pas forcément contestable. Le législateur français a fait le choix de protéger certaines personnes en raison de critères spécifiques tels l’orientation sexuelle, le sexe, la nationalité ou la religion. L’apparition de la religion dans cette énumération ne pose pas davantage de difficultés que les autres catégories.

Cependant, les juridictions sont particulièrement attentives à ne pas indirectement rétablir le délit de blasphème. En atteste l’arrêt du 22 octobre 2002 considérant que « l’opinion discutée ne constituait pas une provocation à la haine, même si elle peut heurter des personnes dans leur attachement communautaire ou leur foi »192. A ce titre, la doctrine soutient que « [s]i l’on ne saurait nier la réalité d’une contrariété, voire d’une blessure, pour certains d’entre eux, elle est inhérente au libre débat d’idées d’une démocratie, et cette circonstance ne saurait entraîner de condamnation, sous peine de restaurer les délits de « tendance » abolis en 1881 »193. L’avocate Cyrille Duvert en tire la conclusion qu’« il y a là une manière très nette de dire que les croyants doivent supporter la critique, et d’affirmer la primauté de la liberté d’expression sur le sentiment religieux »194.

190 TGI Strasbourg, 17 février 2014, « Ligue de défense judiciaire des musulmans c. Charlie Hebdo ».

191 Pour une illustration concernant des propos de l’humoriste Dieudonné relatifs à la communauté juive :

Cour de cassation, Ass Plen, 16 février 2007, n°06-81785.

192 TGI Paris, 17e ch, 22 octobre 2002, « Société des Habous et des Lieux Saints de l’Islam c. Houellebecq ». 193 Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer, supra note 16, p.500.

194 Cyrille Duvert, « Le contrôle judiciaire du traitement médiatique des symboles religieux : du numéro

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Sur ce point, le contentieux mettant en jeu l’humour est assez abondant. Les juridictions se montrent bienveillantes envers les railleries religieuses, notamment sous la forme caricaturale.

En atteste la fameuse affaire des caricatures de Mahomet du journal Charlie Hebdo pour laquelle l’hebdomadaire fut poursuivi pour injures envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée195. Selon la cour d’appel196, les trois caricatures litigieuses ne visaient pas l’ensemble des musulmans, un élément constitutif de l’injure étant ainsi manquant. Notons qu’en première instance, les juges du fond avaient considéré qu’une des caricatures pouvait outrager l’ensemble des musulmans, mais que la volonté d’offenser le groupe visé était absente. Le tribunal avait aussi précisé que « [e]n France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ». Ainsi, il semble que la caricature soit permise tant qu’elle ne constitue pas une attaque directe et personnelle envers l’ensemble d’un groupe. L’appréciation est très large.

De façon plus générale, les juridictions semblent faire preuve de complaisance envers le genre caricatural, très présent dans la presse française197. En témoigne cette formule de la cour d’appel de Paris de 1994 : « [l]a caricature permet des excès qui ne sont pas admis pour des articles de fond […] Elle autorise des outrances, voire des provocations que ne permettrait pas un écrit à vocation informative »198. Il serait même possible de dire que l’indulgence peut concerner certains journaux à la ligne éditoriale bien définie. En atteste l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 1999199 relatif à un dessin de Charlie Hebdo. Est alors

195 Article 33, al 3, de la loi du 29 juillet 1881.

196 CA Paris, 12 mars 2008, « P.Val et Société Editions Rotative c. Union des organisations islamiques de France

».

197 Sur ce sujet, lire l’article de Basile Arder, « La caricature, exception au droit à l’image », Légicom n°10, 1995,

p.10 à 13.

198 CA Paris, 11 ème section, 20 octobre 1994.

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déclaré que l’hebdomadaire, réputé pour son anticléricalisme et son caractère satirique, « connaît une diffusion auprès de lecteurs avertis qui ne se méprennent pas sur la portée de son contenu ».

De même, suite à une distribution de prospectus représentant une religieuse placée près d’un préservatif et accompagnée de l’expression « Sainte Capote protège nous » pour annoncer une manifestation de prévention du Sida, la chambre criminelle a soutenu que même « si le tract litigieux a pu heurter la sensibilité de certains catholiques, son contenu ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression »200. L’infraction d’injure n’a ainsi pas été retenue.

Le même raisonnement a été appliqué envers une caricature du Christ doté d’un