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Des interprétations jurisprudentielles restrictives

Autant au Canada qu’en France, la recherche d’un équilibre entre la liberté d’expression et d’autres intérêts à protéger relève du législateur. Toutefois, en France, seul le Conseil constitutionnel pourra modifier l’équilibre en posant une réserve d’interprétation voire en abrogeant un article pénal contraire à la liberté d’expression. Les tribunaux pourront seulement procéder à un contrôle conventionnel au cas par cas en se fondant sur la Convention européenne des Droits de l’Homme. A l’inverse, la majorité des juridictions canadiennes disposent d’une compétence constitutionnelle. Elles peuvent ainsi influer directement sur l’équilibre élaboré. Elles interprètent le droit et « l’adapt[e] et le modifie[e] en fonction de l’évolution sociale »230. Ce faisant, malgré l’existence du Code criminel, le rôle de la jurisprudence est fondamental.

L’estimant inconstitutionnel, nous écartons d’emblée le crime de libelle blasphématoire. Restent ainsi le libelle diffamatoire et la propagande haineuse. Dans le premier cas, la victime peut être unique alors qu’un groupe sera la cible de la seconde infraction.

• La propagande haineuse :

Concernant la propagande haineuse, il faut d’abord mentionner l’arrêt Keegstra231 de 1990. Suite à des propos antisémites tenus par un professeur devant ses élèves, une condamnation est prononcée sur le fondement de l’article 319(2) du Code criminel sur la fomentation volontaire à la haine. L’accusé argue une violation de sa liberté d’expression, violation confirmée par la cour d’appel.

A la majorité de quatre contre trois, la Cour suprême rend une solution inverse. Dans la logique de l’arrêt Oakes232, les sages retiennent que l’article litigieux est attentatoire à la liberté d’expression puisqu’il dispose d’un contenu expressif. Contrairement au raisonnement de la cour d’appel, la Cour estime néanmoins que l’article premier de la Charte

230 Côté-Harper, Rainville et Turgeon, supra note 220, p.42. 231 R c. Keegstra, supra note 173.

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canadienne justifie l’atteinte. La disposition constitue ainsi une limite raisonnable à la liberté d’expression au sens de l’article premier : l’article 319(2) est déclaré constitutionnel.

Est soutenu que l’objectif législatif d’empêcher la souffrance d’un groupe, de réduire la tension raciale, ethnique et religieuse, voire la violence, est louable. Notons qu’un tel objectif aurait pu justifier l’article 181 du Code criminel prohibant la publication volontaire de fausses nouvelles pourtant déclaré inconstitutionnel deux ans plus tard au nom de la liberté d’expression par l’arrêt Zundel233. Cela étant, il est vrai que l’article 319(2) semble plus clair que l’article 181 : le premier défend les intérêt d’un groupe alors que le second traite d’une atteinte à « quelque intérêt public ».

En outre, la juridiction soulève que le fait d’incriminer le message haineux le rend « moins attrayant et diminue en conséquence l'acceptation de son contenu »234. Une telle

affirmation peut être nuancée : même si réprimer un comportement sous-entend une désapprobation sociale, un procès apporte une certaine publicité au propos et accroît la diffusion du message. L’argumentation des juges dissidents soutient notre point de vue235.

L’argument relatif à la mens rea, à l’élément intentionnel de l’infraction est également avancé. La mens rea générale se rattache simplement à la perpétration de l’acte illégal tandis que l’insouciant est celui qui constate un risque prohibé mais qui poursuit son action. En l’espèce, malgré la présomption de mens rea incluant l’insouciance pour les infractions du Code criminel, l’arrêt déclare que la présence de l’adverbe « volontairement » dans l’article 319(2) renforce le degré d’intention exigé. Il est aussi indiqué que l’article doit se limiter aux « formes d’expression les plus intentionnellement extrêmes »236. La simple insouciance,

forme atténuée de mens rea, ne pourrait donc suffire à caractériser le crime237.

233 R c. Zundel, supra note 75.

234 R. c. Keegstra, supra note 173 , par. 5

235 Est ainsi affirmé que « en même temps, il n'est pas certain que le par. 319(2) représente un moyen efficace

de tenir en bride les fomentateurs de haine. Non seulement le processus criminel suscite un vif intérêt chez les médias et fournit à l'accusé de la publicité pour ses causes douteuses, mais il peut aussi lui attirer de la sympathie ».

236 Keegstra, supra note 173, iiib) par.9.

237 La logique est similaire à celle de la décision R c. Zundel (1986) 65 C.R (3d) A (C.A. Ont.) : à propos de l’article

181, avant son abrogation, la Cour d’appel de l’Ontario avait affirmé que le libellé de l’article, une publication « qu’il sait fausse », induisait un certain degré de mens rea. La rédaction était trop exigeante pour sa satisfaire de la simple insouciance. Un journaliste qui avait de simples doutes quant à une publication ne pouvait pas être condamné.

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Cette interprétation peut paraître étonnante au regard de l’arrêt Hamilton238 qui se satisfait de l’insouciance pour l’incitation au crime239. La décision est cependant critiquée d’autant plus que l’arrêt Mugesera240 relatif à l’article 318 sur l’incitation au génocide rejette l’insouciance. Finalement, la solution en marge serait davantage celle de l’arrêt Hamilton.

Quoi qu’il en soit, l’insouciance écartée, un plaisantin ne devrait logiquement pas avoir le niveau de mens rea requis pour que l’infraction de propagande haineuse soit constituée.

Or, rien n’est moins sûr depuis l’affaire Buzzanga241. Cette décision traite de l’ironie, forme d’humour subtile et poussée. En soutenant le contraire de ce qu’il pense, l’ironiste peut créer un malentendu. Il appartient alors au juge de déceler le but véritable de l’accusé.

En l’espèce, suite au report de la construction d’une école francophone, deux Franco- ontariens rédigent une circulaire ironique en se faisant passer pour des Canadiens anglophones critiquant les Canadiens francophones. Leur but était de créer une controverse afin de faire pression sur la mairie. Les deux hommes sont poursuivis sur le fondement de l’article 319(2) pour incitation à la haine contre les Canadiens français. Les accusés arguent qu’ils n’avaient pas l’intention de fomenter la haine, d’autant plus qu’ils sont eux-mêmes francophones, et que leur ton était ironique.

La cour d’appel accepte l’ironie comme argument mais souligne qu’elle n’est pas un moyen de défense automatique. L’humour sera uniquement un argument à prendre en compte pour l’analyse de la mens rea. L’enjeu principal du litige concerne en effet la mens rea nécessaire à la consommation de l’infraction de l’article 319(2). Une nouvelle fois, l’insouciance est exclue pour cet article en se fondant sur l’économie de la loi : l’article 319(1) ne dit mot de la mens rea, donc, la présomption générale de mens rea du Code criminel, comprenant l’insouciance, s’applique. Par analogie, puisque l’article 319(2) contient l’adverbe « volontairement », la mens rea devrait être renforcée excluant ainsi la simple insouciance. Il faut que l’accusé veuille fomenter la haine ou qu’il soit à tout le moins

238 R. c. Hamilton, [2005] 2 R.C.S. 432, 2005 CSC 47. 239 Articles 22 et 464 du Code criminel canadien. 240 Mugesera c. Canada, supra note 177.

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conscient que tel sera l’effet certain ou quasi certain de sa déclaration et qu’il la communique tout de même. Ainsi, si le rieur anticipe les conséquences inéluctables ou quasi inéluctables de son acte, il pourra être condamné.

La question de l’élément moral et de l’anticipation ayant été éludée en première instance, un nouveau procès est ordonné. L’argument de l’humour ne peut donc suffire à lui seul à faire échec à la répression, il servira d’indicateur de l’état d’esprit des accusés. Le professeur Pierre Rainville ajoute à cette analyse la prise en compte du critère du « doute raisonnable », favorable à l’ironiste. Ainsi « [t]out doute raisonnable quant à la fin visée par l’accusé doit lui profiter […] Or, le doute raisonnable peut précisément jaillir de l’ambiguïté même du discours ironique »242.

A ce stade, la condamnation de l’auteur d’un acte humoristique pourrait être envisagée s’il dispose de la mens rea nécessaire pour constituer l’une ou l’autre des infractions d’incitation à la haine. Or, nous pouvons en douter au vu des deux arrêts suivants : Le premier arrêt, Mugesera243, reproche au requérant d’avoir incité au meurtre, au génocide et à la haine dans un discours prononcé au Rwanda. Les sages s’intéressent aux deux infractions d’incitation à la haine possibles. Les développements de l’arrêt relatifs à ces infractions explicitent les contours des incriminations. Pour l’article 319(1), l’arrêt souligne que, pour être constituée, l’incitation à la haine exige un certain degré de gravité : « seules les formes d’aversion les plus intenses tombent sous le coup de l’art[icle] »244. Un propos simplement offensant ne doit pas être réprimé. Pour l’article 319(2), il est précisé que le verbe « fomenter » s’entend du soutien actif ou de l’instigation, qu’il faut plus qu’un simple encouragement245. Les discours doivent avoir pour finalité d’engendrer la haine contre un groupe particulier.

Une sentence de l’arrêt nous intéresse particulièrement : il est mentionné le fait que les juges doivent apprécier objectivement le discours mais aussi tenir compte des

242 Pierre Rainville, « Dérision et religion : de l’ironie à la répression », à paraître aux Presses universitaires de

Bordeaux.

243 Mugesera c. Canada, supra note 177. 244 Ibid, par. 103.

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circonstances, des destinataires et du « ton employé »246. La précision entrouvre une porte au propos humoristique qui sera vraisemblablement prononcé sur un ton railleur.

Partant, le premier paragraphe réprime des formes graves d’incitation à la haine, des aversions intenses. Le second sanctionne un soutien actif supérieur à un encouragement et exclut l’insouciance. Selon cette analyse, la dérision ne devrait pas pouvoir constituer l’une ou l’autre des infractions d’autant plus que le ton employé, le contexte, est pris en compte. L’exclusion de l’écrit ou du dire comique devrait être encore plus probable depuis l’arrêt

Whatcott247.

Cet arrêt modifie indirectement les crimes de propagande haineuse. La disposition législative analysée dans la décision n’est pas l’article 319(1) ou 319(2) puisqu’il s’agit d’une infraction provinciale interdisant une publication qui expose autrui à la haine ainsi que celle ridiculisant, rabaissant ou portant atteinte à la dignité. Le comportement prohibé se rapproche néanmoins de celui du Code criminel.

Dans le cas présent, le mis en cause est poursuivi pour avoir distribué des tracts homophobes. Après condamnation par les juges du fond, la Cour suprême du Canada est saisie du litige. L’atteinte à la liberté d’expression est principalement invoquée248. Cette décision présente deux grands intérêts pour notre sujet.

Tout d’abord, la Cour suprême canadienne s’évertue à bien délimiter les contours de l’infraction en retenant une définition rigoureuse du terme « haine ».

La juridiction se fonde sur la notion de « personne raisonnable » afin de souligner que l’appréciation doit être objective, peu importe la sensibilité ou l’émotion suscitée par la publication. Sont ensuite écartés les propos simplement « répugnants et offensants »249 au profit de ceux comportant une réelle gravité c’est-à-dire renvoyant à « l’exécration, au dénigrement et au rejet qui risquent d’emporter la discrimination et d’autres effets préjudiciables »250 . L’exclusion de propos « offensants » offre davantage de liberté à

246 Ibid, par. 106.

247 Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra note 153. 248 L’arrêt contient également des développements relatifs à la liberté de religion. 249 Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra note 153, par. 46. 250 Ibid, par. 57.

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l’humour. Une dérision condamnable devrait être d’une gravité telle que, finalement, elle dépasserait certainement le stade de l’humour, elle ne serait qu’un prétexte à une incitation à la haine. L’accent est également mis sur les effets des propos qui doivent être « susceptibles d’exposer la personne ou le groupe ciblé à la haine d’autres personnes ».

Les contours de l’interdit provincial sont ainsi précisés : l’appréciation de l’infraction doit être objective, les propos graves et les effets de l’incitation importants. D’ailleurs, la condamnation pour les seconds tracts comportant l’inscription « Des sodomites dans nos écoles publiques » est invalidée. Malgré leur caractère choquant, la Cour soutient qu’ils ne répondent pas au degré de haine requis. Dans cette perspective, une plaisanterie ne devrait pas tomber sous le coup de l’interdit provincial ou, par analogie, sous celles du Code criminel.

Second intérêt pour notre sujet, la Cour suprême fait le choix de censurer un passage de l’interdit contesté s’apparentant à une plaisanterie251. Conformément au test de l’arrêt

Oakes252, les juges estiment que l’infraction porte atteinte à la liberté d’expression. Il est donc nécessaire de déterminer si elle se justifie dans une société libre et démocratique conformément à l’article premier de la Charte canadienne.

Selon eux, la répression des propos incitant à la haine se justifie en vertu de la protection de la dignité humaine et de l’objectif législatif de s’attaquer aux causes de la discrimination. En outre, la liberté d’expression reste totale dans le cadre privé et n’est limitée que lorsqu’est visé un groupe de personnes et non un individu pris isolément.

Néanmoins, la seconde partie du texte litigieux est déclarée inconstitutionnelle : il n’est plus permis de réprimer une expression qui ridiculise, rabaisse ou porte atteinte à la dignité car elle ne satisfaisait pas à la définition précédente du terme « haine ». Un tel comportement « ne saurait exprimer les sentiments violents et extrêmes inspirant la haine qui ont été jugés essentiels à la constitutionnalité »253 de la loi provinciale. La référence au ridicule est particulièrement notable pour notre sujet. Les sages permettent aux dires railleurs d’échapper à une condamnation pour incitation à la haine envers un groupe de personnes. L’analyse aurait pu être différente si une personne unique était visée. Sur ce point, la vision

251 Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra note 153, par. 90. 252 R c. Oakes, supra note 73.

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des juridictions canadiennes se rapproche de celle du législateur français qui protège certains groupes particuliers.

Cette décision peut être mise en parallèle avec le rapport de la Commission de réforme du droit du Canada « Notre droit pénal ». Selon le compte rendu, le droit canadien accorde une importance considérable à la liberté individuelle qui doit contenir un certain degré « de liberté, de justice, de tolérance, de dignité humaine et d’égalité »254. Des infractions comme la propagande haineuse « constituent des violations de ces valeurs importantes ». De ce fait, l’infraction doit constituer un « crime véritable » c’est-à-dire que les comportements réprimés doivent être « à la fois graves et répréhensibles », toute peine devant être une « dénonciation du mal »255.

Enfin, l’arrêt Calego International inc256 tempère certains enseignements de l’arrêt

Whatcott en matière de responsabilité extracontractuelle. En l’espèce, les dires litigieux sont

prononcés en privé par un patron à ses travailleurs étrangers. A la lumière de la définition du terme « haine », la décision convient que le discours litigieux ne pouvait tomber sous l’incrimination d’incitation à la haine en raison d’un manque de gravité suffisante257. Dans un but pédagogique, les juges indiquent que la solution aurait été identique si les propos litigieux avaient été publics258. Néanmoins, une faute civile génératrice de dommages et intérêts est retenue. Au final, comme l’observe le professeur Pierre Rainville, « [d]es propos discriminatoires peuvent ainsi donner parfois lieu à un dédommagement sans relever pour autant de l’incitation à la haine »259.

• Le libelle diffamatoire :

Il faut à présent aborder les infractions de libelle diffamatoire des articles 300 et 301 du Code criminel. Malgré la référence explicite à l’ironie et au ridicule, les juridictions canadiennes rendent malaisée une nouvelle fois la condamnation de l’auteur d’un acte comique. Ecarter l’humour de la répression s’explique d’autant plus que, à la différence de

254 Commission de réforme du droit du Canada, Notre droit pénal, 1976, p.21. 255 Ibid, p.22.

256 Calego International inc c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA

924.

257 Ibid, par. 28. 258 Ibid, par. 38.

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l’incitation à la haine qui touche une collectivité, le libelle diffamatoire concerne une personne unique. Le préjudice paraît dès lors moins important. La réduction prétorienne du périmètre de la répression s’est faite de différentes manières, mêlant des déclarations d’inconstitutionnalité à un renforcement de la mens rea.

Tout d’abord, à l’instar de l’arrêt Zundel précité, la décision R. c. Prior260 a invalidé l’article 301261 en raison de son atteinte injustifiable à la liberté d’expression. La Couronne n’avait en effet pas à apporter la preuve que l’accusé avait connaissance de la fausseté du libelle. La locution comique échappe ainsi à cette incrimination. Il ne reste plus que l’article 300 du Code criminel.

Pour cette infraction, la lumière a été faite sur la mens rea : l’arrêt Lucas262 renforce l’élément psychologique nécessaire pour que l’infraction de libelle diffamatoire soit constituée. L’infraction ne peut être retenue qu’en présence d’un troisième type d’élément intentionnel plus complexe : l’intention spécifique. En plus d’avoir eu l’intention d’accomplir l’actus reus, l’accusé devra avoir eu pour dessein l’atteinte d’un objectif particulier. La doctrine française parle ici de dol spécial, par opposition au dol général.

Dans l’arrêt Lucas, les accusés ont exhibé des pancartes dénonçant le silence et les agissements d’un policier qui aurait été informé d’agressions sexuelles contre des enfants. Condamnés pour libelle diffamatoire, ils arguent une violation de la liberté d’expression.

Toujours selon la même logique, la Cour suprême admet la violation de cette liberté puisque l’infraction interdit une forme particulière d’expression. Or, l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte puisque l’objectif législatif de protection de la réputation des personnes est louable. Les sages soulignent également que les termes de l’infraction de libelle diffamatoire sont suffisamment précis.

Malgré tout, une partie de l’article 299c) est déclarée inconstitutionnelle au regard de la liberté d’expression263. Pour que la publication, élément constitutif de l’infraction, soit

260 R. c. Prior, supra note 168.

261 L’article 301 dispose « Quiconque publie un libelle diffamatoire est coupable d’un acte criminel et

passible d’un emprisonnement maximal de deux ans ».

262 R c. Lucas, supra note 172. 263 Ibid, par. 84 à 87.

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réalisée, l’article exigeait que le libelle soit montré ou délivré « dans l’intention qu’il soit lu ou vu par la personne qu’il diffame ou par toute autre personne. ». Or, la Cour suprême soutient que la mens rea exigée à cet article est trop générale. Elle est ainsi attentive à ce que la publication ait un certain impact, une certaine étendue dans sa diffusion. A l’instar du droit français, la moquerie portée à la connaissance de la victime seule ne saurait être réprimée. Au final, la publication ne pourra résulter que de deux cas : d’une exhibition en public selon l’article 299a) ou si elle a été lue ou vue par des personnes en particulier selon l’article 299b). La responsabilité est ainsi limitée à certains modes de publication. L’invalidité de l’article 301 par la décision Prior264 ainsi que celle partielle de l’article 299c) limite de manière significative le champ d’application du libelle diffamatoire.

Toutefois, malgré la justification de l’atteinte à la liberté d’expression, toujours dans l’arrêt Lucas, la Cour suprême veille à encadrer les comportements pouvant tomber sous le coup de l’article 300 du Code criminel. Pour ce faire, elle se focalise sur la mens rea : l’article en question soutient que « est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque publie un libelle diffamatoire qu’il sait être faux. ». Textuellement, l’accusé doit donc avoir connaissance de la fausseté de ses propos.

Or, par le biais d’une interprétation de la loi, notamment historique, les juges viennent ajouter un nouvel élément à la mens rea : l’intention de diffamer265. Pour être condamné, l’accusé devra avoir eu, en plus de la connaissance de la fausseté de l’information, l’intention de nuire à la réputation de la personne diffamée ou l’intention de l’outrager, sachant que l’insulte est insuffisante à la caractérisation de l’outrage. Classiquement, une telle preuve devra être rapportée par la Couronne hors de tout doute raisonnable ; la charge pesant sur le ministère public est alors renforcée. Comme l’indique le professeur Pierre Rainville « [l]’ajout de cet élément mental fait obstacle à une condamnation fondée sur la susceptibilité