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Les effets de l'identité professionnelle sur l'obligation de disponibilité implicite

CHAPITRE III ANALYSE DES RÉSULTATS

C. Les effets de l'identité professionnelle sur l'obligation de disponibilité implicite

L'association entre l'identité professionnelle des infirmières et l'obligation de disponibilité implicite est partiellement confirmée par nos résultats. En effet, il semble que l'identité professionnelle puisse encourager un certain conformisme chez les infirmières, particulièrement lorsqu'elles débutent dans la profession, aux règles professionnelles relatives notamment à des normes temporelles de disponibilité ou d'investissement au travail. De plus, cette identité professionnelle semble également favorable à la création d'une solidarité et d'un esprit d'équipe entre les infirmières favorisant l'acceptation de celles-ci aux réalités de l'obligation de disponibilité. Cependant, ici encore, l'organisation du travail s'avère fortement impliquée dans l'obligation de disponibilité implicite des infirmières, puisqu'elle entraîne un important manque de temps, ainsi qu'une surcharge de travail forçant la disponibilité des professionnelles jusqu'en dehors de leur temps de travail.

Dans un premier temps, une obligation de disponibilité apparaît se manifester lors des périodes de pauses-repas des infirmières. En effet, les participantes témoignaient se sentir contraintes, souvent par leur charge de travail, à rester sur leurs lieux de travail ou même parfois à leur poste de travail durant leur pause-repas parce qu'elles écourteront leur temps de pause ou encore parce qu'elles effectueront certaines tâches cléricales tout en prenant leur pause. De plus, à certaines occasions, il arrive que le temps alloué pour la pause-repas ou la responsabilité d'une pagette ou d'un téléphone pour les cas d'urgence retiennent implicitement

les infirmières sur les lieux de travail durant leur temps personnel. À cet effet, les infirmières sont susceptibles de vivre une obligation de disponibilité, alors qu'elles resteront à proximité et facilement accessibles en cas de besoins. Ainsi, nombreuses sont les infirmières qui seront implicitement obligées d'être disponibles durant une période qui appartient à leur temps de vie personnelle.

En outre, dans la plupart des cas où les infirmières affirmaient écourter leur pause-repas, la surcharge de travail était invoquée comme explication. En effet, l'organisation du travail actuelle des infirmières est affectée par un important manque de personnel, ainsi qu'un alourdissement des cas et donc une intensification générale de la tâche. Ainsi, peu importe le contexte de leur département ou service respectif, les infirmières ont souvent de la difficulté à remplir toutes leurs tâches dans leur quart de travail. Toutefois, la particularité de leur travail ne leur permet pas de reporter au lendemain ce qu'elles n'auront pas pu faire aujourd'hui. À cet effet, elles seront obligées de trouver le temps de faire ces tâches au risque de nuire au bien- être des patients. Les infirmières utilisent donc leur temps de pause-repas pour travailler, car autrement elles ne pourraient accomplir l'ensemble de leurs tâches.

De plus, quelques infirmières ont relevé être à l'occasion disponibles lors de leur pause-repas notamment celles qui décideront de conserver la pagette ou le téléphone pour les urgences. Toutefois, cette mise en disponibilité n'est pas en principe requise par l'organisation du travail, mais le serait plutôt par les règles informelles. En effet, il existerait certaines règles ayant une incidence sur les rapports des infirmières entre elles. À cet effet, ces règles pourraient également orienter les choix des infirmières d'adopter certains comportements de disponibilité plaidant en faveur d'un grand investissement. Ainsi, plusieurs infirmières affirment par exemple se sentir coupables face à leurs collègues si elles n'acceptent pas de se conformer à ces normes de disponibilité. Une infirmière n'ayant pas formellement à rester à son poste de travail durant sa pause-repas, et ce même si elle est en charge cette journée-là, ressentira une pression en ce sens parce qu'elle ne voudra pas en faire moins que ses collègues. Par ailleurs, le manque d'expérience des jeunes infirmières ferait en sorte que celles-ci seront moins enclines à briser ces normes de disponibilité parce que les règles informelles sont fondées sur un rapport de maître-apprenti entre les infirmières plus âgées et celles plus jeunes. Les jeunes

infirmières ne se sentiront donc pas dans une position d'affirmation et accepteront les normes temporelles déjà en place. Les périodes des pauses-repas se retrouvent donc à être souvent des moments où les infirmières seront disponibles, soit parce qu'elles n'auront pas le choix de travailler, soit parce qu'il est commun de faire ainsi.

Dans un deuxième temps, le temps alloué aux périodes de chevauchement entre les quarts de travail permettant aux infirmières de passer le relais de leur travail aux suivantes s'avère souvent insuffisant. À cet effet, plusieurs infirmières sont obligées d'être disponibles en dehors de leurs heures de travail parce qu'elles n'envisagent pas de quitter sans avoir transmis toutes les informations sur les dossiers à la prochaine infirmière. De plus, l'organisation du travail ne semble pas toujours tenir en compte le nombre important de patients soignés par les infirmières et la lourdeur des dossiers de chacun. Ainsi, il semble que la manière dont est organisé actuellement le transfert des dossiers durant le chevauchement entre les quarts oblige les infirmières à être disponibles au-delà de cette période. Par ailleurs, l'identité professionnelle pourrait jouer un rôle dans cette obligation de disponibilité alors que les infirmières considèrent devoir rester pour préserver le bien-être des patients.

Actuellement, l'organisation du travail alloue une période de quinze minutes où les quarts de travail des infirmières se chevaucheront afin que celles terminant puissent transmettre les dossiers concernant les patients à celles prenant leur relève. Toutefois, selon les infirmières, la manière dont est organisé le transfert des dossiers, ainsi que le temps réservé à cette période les obligent à rester au-delà de leur temps de travail. En effet, il semble que les infirmières ont fréquemment à transmettre des informations à plusieurs infirmières différentes les obligeant à patienter parfois entre chacune puisque celles-ci devront également rencontrer plus d'une seule infirmière. De plus, les dossiers des patients sont parfois complexes et nécessitent donc un certain temps aux infirmières afin qu'elles puissent transmettre toutes les informations à leurs collègues. Ainsi, il semble que les chevauchements de quarts puissent difficilement se faire dans une période limitée à quinze minutes, puisque le processus nécessite que les infirmières rencontrent plusieurs personnes à la fois et que le temps qu'elles devront accorder à chaque dossier variera grandement. Par ailleurs, il est possible que des infirmières arrivent en retard à leur quart de travail. À cette occasion, l'organisation actuelle des chevauchements de quarts, ne

prévoyant aucune mesure alternative, force les infirmières à rester disponibles jusqu'à l'arrivée de leur remplaçante.

Ainsi, si la période des chevauchements de quarts oblige souvent les infirmières à être disponibles en dehors de leur temps de travail parce que l'organisation du travail engendre de telles conséquences, il semble que l'identité professionnelle pourrait faciliter l'acceptation de celles-ci à l'obligation de disponibilité. En effet, plusieurs infirmières expliquent rester au-delà de leur quart de travail parce qu'il est crucial selon elles de transmettre les bonnes informations aux prochaines infirmières alors que le bien-être de leur patient est en jeu. Elles considèrent comme une obligation professionnelle le fait de devoir rester au travail tant et aussi longtemps qu'une autre infirmière n'aura pas pris le flambeau. Enfin, il est possible de penser que c'est par leur éthique professionnelle que les infirmières sont conduites à vouloir assurer le bien-être des patients jusqu'au bout, puisque c'est avant tout pour la sécurité des patients que les infirmières affirment être obligées de rester disponibles. Enfin, il demeure que dans le cas des chevauchements de quarts, l'obligation de disponibilité est avant tout liée à l'organisation du travail.

Dans un troisième temps, les demandes pour les heures supplémentaires présentent souvent une forme implicite d'obligation de disponibilité pour les infirmières parce que le caractère volontaire serait plutôt illusoire. En effet, il semble que les infirmières concéderaient davantage aux temps supplémentaires parce qu'il est une réalité de leur profession que pour toute autre raison. Ainsi, l'identité professionnelle serait fortement associée à l'adhésion des infirmières à cette norme de disponibilité temporelle prenant la forme du temps supplémentaire. En outre, les règles informelles, ainsi que la solidarité entre collègues expliquent toutes deux bien souvent le consentement des infirmières à faire plus d'heures que prévu.

Ainsi tout comme pour l'obligation de disponibilité lors des périodes de pauses-repas, il semble que les règles professionnelles informelles inciteraient fortement les infirmières à accomplir des heures supplémentaires. En effet, certaines participantes mentionnaient ressentir un sentiment de culpabilité si elles ne répondaient pas positivement aux demandes pour les

heures supplémentaires. De plus, quelques-unes soulevaient que leur manque d'expérience professionnelle les rendait souvent inconfortables à refuser de se soumettre à ce temps supplémentaire. Or, les règles informelles de la profession encourageraient précisément les infirmières à adopter certains comportements associés à davantage de disponibilité. De plus, ces règles seraient transmises généralement par les infirmières déjà en place depuis plusieurs années. À cet effet, une pression serait engendrée par les règles auxquelles semble consentir l'ensemble des professionnelles ce qui pourrait favoriser l'acceptation par les plus jeunes infirmières, mais également par toutes les autres, de la réalité du temps supplémentaire.

Par ailleurs, la proximité existant entre les infirmières sollicitant pour le temps supplémentaire et les infirmières sollicitées pourrait faire augmenter le conformisme de ces dernières alors qu'elles se sentiraient coupables de refuser. En effet, plusieurs infirmières affirment accepter de faire des heures supplémentaires par solidarité avec les assistantes, ainsi qu'avec leurs collègues puisqu'elles sont conscientes des difficultés pouvant affecter leurs collègues lorsqu'il manque de personnel. À cet effet, la solidarité entre collègues est particulièrement importante pour les infirmières qui comptent les unes sur les autres pour faire face notamment aux difficultés organisationnelles. Ainsi, il apparaît que l'esprit d'équipe existant entre les infirmières pourrait encourager en quelque sorte l'obligation de disponibilité des infirmières aux heures supplémentaires.

En somme, notre proposition 2 souhaitait vérifier l'association entre l'identité professionnelle des infirmières et leur propension à accepter de se mettre en disponibilité hors de leur temps de travail ou pour les heures supplémentaires. Selon nos résultats, cette proposition ne peut être confirmée qu'en partie alors qu'il semble que l'organisation du travail ait un grand rôle à jouer dans l'obligation de disponibilité implicite. En effet, en ce qui concerne les périodes de pauses-repas, l'organisation du travail engendrerait une surcharge et un alourdissement de la tâche des infirmières les obligeant à empiéter sur leur période de repas pour pouvoir terminer leur quart de travail à l'heure convenue. De plus, concernant les périodes de chevauchement de quart, l'organisation du travail aurait encore ici un rôle important à jouer dans l'obligation des infirmières de rester au-delà de cette période. En n'accordant qu'une période fixe de quinze minutes aux infirmières pour la transmission des dossiers des patients, les infirmières se

retrouvent souvent obligées d'être disponibles après leur quart de travail parce qu'elles n'auront pas pu terminer de donner toutes les informations à celles qui prendront leur relève. Cependant, l'identité professionnelle permet également d'expliquer la présence d'une obligation implicite de disponibilité. Ainsi, les règles informelles, la solidarité entre collègues, mais aussi l'éthique professionnelle sont tout autant d'éléments qui encouragent l'adhésion des infirmières aux normes temporelles de disponibilité promues au sein de la profession. Les règles informelles de la profession ont démontré avoir un impact sur les comportements des infirmières, alors qu'elles encouragent un grand investissement de leur part pour leur profession. Les jeunes infirmières entrant dans le milieu se sentiront alors bien souvent obligées d'être davantage disponibles pour ne pas en faire moins que les autres. À cet effet, la solidarité entre infirmières est également présente dans le milieu, car leur travail ne pourra se faire individuellement, mais bien avec l'aide de toute une équipe. Cette solidarité incite donc les infirmières à répondre aux demandes pour les heures supplémentaires. Enfin, l'éthique professionnelle fait en sorte que les infirmières ne se sentiront pas confortables de quitter sans avoir transmis toutes les informations nécessaires à celles qui prendront la relève de leur quart de travail.