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Les effets de l'identité professionnelle sur le travail gratuit (Proposition 1)

CHAPITRE III ANALYSE DES RÉSULTATS

B. Les effets de l'identité professionnelle sur le travail gratuit (Proposition 1)

L'identité professionnelle des infirmières a un rôle considérable à jouer dans les manifestations du travail gratuit. En effet, leurs motivations pour la profession, les règles informelles et codes promus au sein de celle-ci, les valeurs professionnelles, le code de déontologie et l'éthique des soins, ainsi que le care sont tous autant d'éléments composants l'identité professionnelle des infirmières étant orientés vers le bien-être des patients et le dévouement de ces dernières à celui-ci. Toutefois, si l'identité professionnelle peut être associée à l'apparition d'un travail gratuit, c'est avant tout parce que trop souvent l'organisation du travail actuelle s'appuie sur celle-ci pour compenser ses lacunes. Ainsi, leur identité professionnelle entraîne les infirmières à s'engager fortement dans leur profession et à embrasser leur rôle même au-delà parfois de celui-ci. En outre, elles semblent adhérer et exécuter du travail gratuit sans que cela ne leur paraisse tellement choquant, puisqu'il est abordé avant tout comme un devoir moral et professionnel.

Ainsi, parmi les manifestations du travail gratuit, le don de soi correspond aux situations de travail où les infirmières effectuent des tâches non prescrites par l'organisation du travail. Au sujet de ces dépassements, les infirmières affirment en majorité qu'elles n'envisageraient pas de faire autrement notamment parce que le bien-être de leurs patients est souvent en jeu. En effet, le bien-être des patients fait partie des préoccupations premières des infirmières. En outre, il se révèle être l'une des principales motivations favorisant l'engagement dans la profession des infirmières. De plus, leur participation au bien-être des patients par les soins qu'elles leur procurent est la source d'un sentiment d'utilité fort important au sentiment de réalisation personnelle des infirmières.

Or, le don de soi ne se manifesterait pas seulement pour assurer le bien-être des patients parfois malmenés par l'organisation du travail, mais également pour pallier les problématiques

engendrées par celle-ci. En effet, les infirmières indiquent effectuer certains dépassements de leurs tâches prescrites parce qu'elles ne peuvent pas fonctionner avec la logique organisationnelle actuellement en place. Ainsi, elles ne se limiteront pas à la division prévue des tâches entre le personnel soignant. Elles effectueront les tâches d'autres parce qu'au final elles envisagent que tous font partie d'une grande équipe de travail ayant la même mission, celle de contribuer à la guérison des patients. À cet effet, l'identité professionnelle des infirmières révèle que la solidarité entre collègues est essentielle à la profession. En effet, celles-ci entretiennent généralement des liens particulièrement forts avec leur collectif professionnel alors que l'entraide et l'esprit d'équipe sont autant présents qu'importants dans leur travail quotidien.

Ainsi, il apparaît que si le don de soi se manifeste dans le travail des infirmières, c'est avant tout parce que l'organisation du travail engendre de trop fortes contraintes, lesquelles seront atténuées par l'identité professionnelle. Dans cette perspective, lorsque l'organisation du travail impose une carence quantitative d'infirmières nuisant à la qualité des soins et au temps accordé à chaque patient, ou encore lorsqu'elle suggère une séparation nette des tâches entre les membres du personnel soignant s'avérant toutefois peu réaliste compte tenu de la nature du travail, la socialisation professionnelle des infirmières fera en sorte que celles-ci choisiront de prioriser le bien-être de leurs patients.

Ensuite, la personnalisation du service des soins est une deuxième manifestation du travail gratuit alors que la pratique des infirmières nécessite une adaptation constante de leur approche aux différentes particularités de chacun. Cet aspect du travail des infirmières est peu visible, car il se joue dans la relation entre une infirmière et son patient. À cet effet, la personnalisation du service ne fait pas appel aux compétences techniques ou pratiques des infirmières, mais plutôt à l'humanité de leurs soins. Ainsi, ici c'est précisément par l'identité professionnelle des infirmières que cette manifestation du travail gratuit est possible. En effet, l'éthique des soins, le code de déontologie, le care et le travail émotionnel ont tous pour effet de transmettre aux infirmières la nécessité pour elles de porter attention à autrui ou du moins d'être préoccupées par l'autre.

En outre, si la personnalisation du service requiert que les infirmières prêtent une attention soutenue aux patients, c'est également ce que prône l'éthique de la profession par une pratique des soins qui devrait être empreinte de compassion. Depuis déjà bien longtemps, l'éthique de la profession a voulu que les soins soient accordés avec compassion pour la personne malade, c'est-à-dire que les soignantes soient en mesure de percevoir la souffrance chez leurs patients et ainsi d'y remédier. Les infirmières personnalisent donc leur service afin de pouvoir d'une part porter attention aux besoins physiques, mais surtout psychologiques, de chacun de leurs patients et d'autre part ajuster leurs soins ou leurs comportements au besoin.

De plus, le travail du care comme celui des infirmières signifie justement ce travail d'attention à l'autre. En effet, exercer une profession de care requiert notamment d'être en mesure de reconnaître les besoins chez autrui en faisant preuve d'attention, d'écoute et de sollicitude dans les soins. Ainsi, les besoins des individus ne sont pas tous les mêmes, de même que pour leur personnalité ou leurs préférences. À cet effet, le care sous-entend que les infirmières soient sensibles à ces différences. La personnalisation du service agit alors comme une manifestation de la présence du care dans le travail des infirmières, mais aussi de l'influence de leur identité professionnelle sur le travail gratuit.

Par ailleurs, la personnalisation du service fait également appel à une démonstration de sentiments d'empathie par les infirmières afin qu'elles soient en mesure de diffuser une image rassurante à leurs patients, mais sans pour autant être trop affectées par leur état. À cet effet, l'éthique des soins prône également l'empathie comme une attitude essentielle à la pratique des infirmières. En effet, celle-ci, en étant exercée auprès de personnes malades ou dans un état de vulnérabilité, demande aux travailleuses une grande capacité de compréhension de la situation des patients. C'est seulement dans ces conditions que les infirmières pourront pratiquer des soins réconfortants et chaleureux comme le prévoit l'éthique de leur profession. De plus, tant le code de déontologie que le travail émotionnel commandent aux infirmières la préservation d'une distance émotionnelle dans leurs relations avec les patients. Celle-ci permettrait, dans un premier temps, que les infirmières abordent une attitude davantage professionnelle, et dans un deuxième temps qu'elles ne soient pas envahies personnellement par la destinée des patients.

Ainsi, l'identité professionnelle des infirmières semble fortement associée à cette manifestation du travail gratuit qu'est la personnalisation du service.

Enfin, une troisième manifestation du travail gratuit s'exprime sous la forme de l'obligation morale. Celle-ci réfère à la charge mentale, émotionnelle et éthique découlant de la position occupée par les infirmières dans leur rôle professionnel. En effet, celui-ci serait teinté du rôle social féminin amenant dès lors les infirmières à outrepasser la frontière professionnelle et à s'investir personnellement au travail. L'identité professionnelle des infirmières influence certainement la présence d'une obligation morale alors que certaines valeurs professionnelles et même parfois l'éthique des soins encouragent le dévouement des infirmières aux personnes malades. Cependant, l'influence de l'identité professionnelle sur cette manifestation du travail gratuit n'est que partiellement validée. En effet, certaines composantes, dont le code de déontologie, viennent prévenir ce surplus d'investissement personnel au travail. De plus, il semble également que l'organisation du travail encouragerait fortement la disponibilité personnelle des infirmières à leurs patients. À cet effet, l'organisation du travail pourrait favoriser la présence d'une obligation morale pour les infirmières se manifestant en travail gratuit.

Ainsi, l'obligation morale ferait en sorte que certaines infirmières peuvent expérimenter un sentiment de culpabilité envers les patients, par exemple, lorsqu'elles savent que leurs soins seront affectés par le manque de personnel ou encore face aux attentes formulées par ceux-ci. Cette charge mentale que portent les infirmières pourrait être influencée notamment par les valeurs véhiculées au sein de la profession, ainsi que par l'éthique des soins, qu'elles intérioriseront par leur identité professionnelle. En effet, parmi les valeurs professionnelles, il semble que les soins devraient être empreints de sensibilité, de patience, mais surtout d'amour pour les patients. L'éthique entourant la pratique des infirmières prône également des traitements aux patients suivant ces mêmes valeurs. À cet effet, le fait que les patients manquent de bons soins ou encore que ceux-ci soient négligés par manque de personnel entre en contradiction avec certaines composantes de l'identité professionnelle des infirmières. Ainsi, ce conflit interne que peuvent vivre certaines infirmières est tout à fait susceptible de conduire à une obligation morale pour le travail gratuit. Quant aux attentes formulées ou non

par les patients, il semble probable que l'éthique des soins en véhiculant que la générosité et le dévouement soient nécessaires à la pratique des infirmières engendre un certain conformisme de celles-ci au dépassement de leur rôle professionnel en adoptant une posture davantage familière avec les patients.

Toutefois, d'autres composantes de l'identité professionnelle des infirmières s'opposent à cet investissement personnel dans le travail, c'est le cas notamment du code de déontologie. En effet, celui-ci évoque que les infirmières se doivent de conserver une distance émotionnelle et professionnelle dans leurs relations avec les patients. Ainsi, ceci explique donc que certaines infirmières refusent d'adopter une posture trop familière avec les patients même si ceux-ci entretiennent des attentes à cet égard. Enfin, l'organisation du travail joue encore une fois un rôle dans la manifestation de l'obligation morale. En effet, il semble que celle-ci soit conçue sur l'idée d'un engagement illimité et donc d'un dévouement des infirmières pour leur travail et leurs patients. Ainsi, les gestionnaires de la santé s'appuieraient sur l'identité professionnelle des infirmières pour limiter les effets de la pénurie du personnel soignant. À cet effet, l'organisation du travail semble également responsable de l'apparition d'une obligation morale pour les infirmières.

En somme, notre proposition 1 souhaitait vérifier l'association entre l'identité professionnelle des infirmières et les manifestations du travail gratuit. Nos résultats montrent que de manière générale l'identité professionnelle favorise l'apparition du travail gratuit fortement dans le cas de la personnalisation du service, mais partiellement dans les cas du don de soi et de l'obligation morale. En effet, concernant ces deux dernières manifestations du travail gratuit particulièrement, il semble que l'organisation du travail actuelle pousserait les infirmières à pratiquer dans un contexte ne leur permettant pas d'être en accord avec l'éthique de leur profession. En effet, plus d'une fois, les infirmières ont affirmé quitter leur quart de travail sans qu'elles ne puissent se sentir accomplies justement parce qu'on leur imposait de pratiquer d'une manière qui ne leur permettait ni de prendre soin des patients comme elles le voudraient ni de laisser les dossiers à leurs collègues comme elles le devraient. Dans ces cas, l'organisation du travail forcerait les infirmières à agir en dépit de leur identité professionnelle, en réaction à ces situations de travail insoutenables. Ainsi, une part du don de soi, ainsi que de

l'obligation morale et donc du travail gratuit serait l'effet de ces contraintes organisationnelles. Toutefois, une autre part serait également l'effet d'une identité professionnelle encourageant les infirmières à se dévouer à leur profession, mais aussi à se soucier de l'autre. Ce dévouement pousserait donc certaines infirmières à s'investir outre mesure dans leur profession soit en franchissant la barrière de leur rôle professionnel, soit en abordant une posture personnelle au travail. Enfin, quant au souci de l'autre, celui-ci n'entrerait pas en contradiction avec les limites professionnelles, mais c'est en jouant dans la sphère relationnelle, quasi intime, de la profession, qu'il devient un travail gratuit.

C. Les effets de l'identité professionnelle sur l'obligation de disponibilité