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CHAPITRE I REVUE DE LA LITTÉRATURE

D. Les déterminants de l'invisibilité au travail

II. L' IDENTITÉ PROFESSIONNELLE

Le terme profession n'a pas toujours eu le même usage que celui qui en est fait aujourd'hui. Il a également varié, selon qu'il soit employé du côté francophone ou du côté anglophone, où il a toujours eu un sens peut-être plus défini qu'en français. Ainsi, en français, il a d'abord été religieux signifiant l'acte de profession de foi, il était alors une vocation, un engagement pour une carrière religieuse. Il a ensuite été utilisé pour désigner des groupes professionnels, soit ceux appartenant à une même branche professionnelle, ou se reconnaissant sous le même nom de métier, ou encore pratiquant une activité semblable (Dubar, Tripier, Boussard, 2011, p. 12). Il a aussi eu un sens plus large où profession équivaut à occupation, c'est-à-dire qu'elle peut autant signifier une « activité indépendante, salariée, servile ou libérale, la profession est, en ce sens, ce qui apporte la subsistance grâce à un revenu économique » (Dubar, Tripier, Boussard, 2011, p. 11). Enfin, Dubar, Tripier et Boussard (2011) ajoutent un quatrième usage au terme profession lorsque celui-ci est employé comme adjectif. Il représente alors « une fonction, ou compétence reconnue au sein d'une organisation » (Dubar, Tripier et Boussard, 2011, p. 12). Cet usage du qualificatif « professionnel » pour désigner l'individu compétent a permis en quelque sorte d'élargir ces groupes professionnels à toute une panoplie de nouveaux professionnels (Dubar, 2015), qui le sont devenus par la reconnaissance de leurs qualités individuelles pour les fonctions qu'ils occupent au sein de leur organisation. Cette dernière définition ou signification que prend le terme profession est caractéristique du mouvement de professionnalisation que connaîtra la fin des années 1980 avec « l'envahissement de la logique compétence doublée des exigences multiples de professionnalisme » (Dubar, Tripier et Boussard, 2011, p. 322). L'importance qui sera alors accordée à la notion d'identité en sociologie, mais surtout en sociologie du travail, est selon Lallement (2007, cité dans Dubar,

Tripier et Boussard, 2011) symptomatique de cette nouvelle ère où la compétence professionnelle règne au sein de pratiquement toute grande entreprise.

« [L]e thème de l'identité professionnelle va progressivement faire tache d'huile aussi bien dans le discours social que dans certains travaux sociologiques. Dans le discours social, la notion d'identité professionnelle [...] accompagne la diffusion du nouveau modèle de l'individu “ acteur ” de sa situation de travail, mais aussi “ professionnel ” ayant à gérer sa carrière, à anticiper son parcours, à accroître ses “ compétences ” » (2011, p. 323)

En effet, l'individu acquiert une plus grande autonomie et responsabilité dans son travail et ses tâches quotidiennes, mais il devient également l'auteur de sa vie professionnelle, maître de son savoir et surtout de son sentiment de réalisation personnelle. Ainsi, les effets du travail sur l'identité personnelle deviennent peut-être plus importants que jamais alors que l'implication subjective des individus dans celui-ci s'accroît. En effet, selon Dubar (2000 cité dans Dubar, Tripier et Boussard, 2011) certaines formes identitaires, autrement dit certaines identités professionnelles, ont progressivement été invalidées parce qu'elles ne répondaient plus à ces nouvelles exigences managériales requérant des individus une « mobilisation subjective pour l'entreprise », et ce, sans contrepartie financière. De nouvelles formes identitaires sont alors apparues jumelées à des comportements de surinvestissement chez les individus qui « sont obligés de faire sans cesse la preuve de leur excellence et d'entrer en compétition permanente avec leurs pairs pour évoluer dans leur carrière » (Dubar, Tripier et Boussard, 2011, p. 329).

Ainsi, les identités professionnelles s'étant développées sous l'influence de ces nouvelles normes d'organisation du travail semblent engendrer des comportements chez les professionnels, qui les poussent non seulement à se surinvestir, mais également à répondre à ces pressions ou bien économiques et basées sur l'efficacité ou encore sociales et basées sur la reconnaissance (Dubar, Tripier et Boussard, 2011). De plus, selon Causer et Gasparini (2009), il importe de s'intéresser à ces évolutions identitaires notamment « parce qu'elles sont symptomatiques de transformations de fond qui engagent largement le devenir du travail et des travailleurs » (2009, p. 3). En outre, dans la perspective où nous tentons de comprendre dans quelle mesure des travailleuses acceptent consciemment d'effectuer un surplus de travail ou de se mettre à disposition permanente pour ce travail, il nous semble pertinent de questionner le rôle du processus identitaire.

Également, l'identité professionnelle paraît pertinente pour comprendre l'adhésion ou plutôt l'acception par les travailleuses de ces nouvelles normes. En effet, selon certains auteurs, notamment Dubar (2002 ; 2015), l'identité professionnelle est le fruit d'un processus de socialisation. Sans entrer ici dans les détails de ce processus, il importe de retenir que « [d]ans un lieu de travail, les praticiens d'un métier partagent des façons de faire, mais aussi de penser et de se comporter, en quelque sorte reconnues et validées par le milieu professionnel. (Beckers, 2007) Ainsi, nous pouvons imaginer l'influence du cadre professionnel sur la construction identitaire qui elle est influencée par un besoin de reconnaissance. Les individus qui entrent alors dans une profession sont donc susceptibles d'être portés à s'incorporer, et puis à s'identifier, aux façons de faire du milieu.

Ainsi, cette section de la revue de la littérature portera sur la définition et la compréhension des formes que peut prendre l'identité professionnelle. D'abord, nous passerons en revue quelques travaux ayant permis de mettre en lumière le processus identitaire au sein du travail (A), ainsi que les courants théoriques majeurs ayant contribué au développement d'une vision de l'identité professionnelle. Nous terminerons cette partie par l'élaboration de notre propre définition de l'identité professionnelle des infirmières, à partir d'une synthèse du concept. Nous poursuivrons en nous intéressant justement aux composantes de cette identité professionnelle propre aux infirmières (B). À cet effet, l'histoire de la profession permet de comprendre son évolution par les femmes l'ayant occupée, ainsi que par son long chemin vers une reconnaissance légale et sociale. Dans cette section, nous traiterons également du code de déontologie puisqu'il est la source d'un ensemble de règles et de normes de conduite influant sur l'identité des infirmières. Par ailleurs, l'identité professionnelle des infirmières étant indissociable des concepts de care (C), et du travail émotionnel (D), nous compléterons le chapitre en faisant un détour par ces deux composantes.

A. Les auteurs et les modèles théoriques sur l'identité professionnelle