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Les diverses conceptions et représentations de la mort

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 40-44)

LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LA RECHERCHE

Encadré 1.1.1. Les apports de l’approche biologique

2. L’approche anthropologique

2.1. Les diverses conceptions et représentations de la mort

2.1.1. Conceptions de la mort selon les cultures

L’objectif de cette sous-partie n’est pas de dresser un panorama des différentes conceptions de la mort selon les cultures, mais plutôt d’en cerner les principaux éléments. Dans ce cadre, nous souhaitons présenter tout d’abord les quatre conceptions fondamentales de la mort qui prévalent dans chaque culture selon Annick Barrau (1994) :

• La mort et la renaissance : il s’agit d’une conception primitive, dans laquelle le défunt renait sous la forme d’un nouveau vivant, ce qui expliquerait une similitude entre les rites de mort et les rites qui annoncent la vie. La vie s’inscrit alors dans une représentation cyclique du temps.

• La mort et le mythe : par le mythe, l’homme accède à la connaissance du temps et de la mort. Le temps est alors un temps destin, fait d’allers retours éternels et l’ordre qui domine est d’essence sacrée et divine. La communication avec l’Etre supérieur devient alors le but premier de l’homme.

• La mort et les modèles : dans la société moderne, la raison prime sur la croyance. Ainsi, la raison s’appuie sur des représentations de la réalité qui deviennent des modèles (images du monde, interprétations de la réalité). La mort est alors pensée comme finitude dans un temps d’histoire linéaire et orientée.

• La mort et le fini : cette conception fait référence à la gestion du temps et de la mort et à la reconstruction de sens face à la mort. Ainsi, l’homme moderne cherche à fabriquer du sens en référence à ce qui le contient.

Nos cultures occidentales individualistes semblent d’ailleurs bien représenter ces deux dernières conceptions de la mort via l’existence de modèles culturels qui permettent d’apporter du sens à la réalité de la mort.

Dans le domaine de la sociologie, les travaux de Milanaccio (2007) ont montré que la mort pouvait être appréhendée de trois manières différentes : comme le commencement d’un nouveau cycle, comme la fin d’un cycle ou comme la continuité de l’existence connue. Dans tous les cas, elle reste cependant mystérieuse et méconnue, donc redoutée, et les sociétés créent de nombreux mythes, symboles, et rituels afin de l’exprimer et de l’extérioriser. !

2.1.2. La mort, tabou et ennemi redouté et rejeté

A partir des études de cas des sociétés archaïques et traditionnelles, Dagognet et Nathan (1999) montrent que dans de telles sociétés, la mort est considérée comme un ennemi et doit être éloignée de la cité. La justification donnée traite d’une question d’hygiène, mais les auteurs démontrent qu’en réalité il s’agit d’une mise à l’écart : la mort est considérée comme un tabou (Thomas, 1991) et les individus redoutent le corps mort du fait de la crainte de contagion mortifère liée au tabou (Ariès, 1977). Thomas (1975) souligne de la même manière que dans la civilisation occidentale, qui pousse loin l’individualisme, l’individu a tendance à refouler la mort, l’abordant ainsi sous forme de tabou ou de dénégation. Il s’agit d’une part d’un refoulement psychologique : la mort est souvent cachée aux enfants, on refuse également de manifester sa douleur devant la mort des autres. D’autre part, il peut s’agir d’un refoulement d’ordre social : avec la déritualisation, la désymbolisation et la professionnalisation des conduites funéraires, l’homme se comporte comme s’il ne devait pas mourir. Ainsi, les discours sur la mort sont révélateurs d’artifices qui veulent réduire l’angoisse et mettre la mort à distance.

Pour Walter (1994), au contraire, les nouvelles pratiques actuelles à l’égard de la mort (la bonne mort, celle qui est choisie, maîtrisée, vécue par le mourant avec les proches etc.) révèlent un refus du déni. Pour d’autres, ces pratiques montrent qu’il s’agit plutôt d’une forme suprême de déni, par l’affirmation illusoire d’une toute puissance de l’individu et du groupe qui l’entoure.

Deux explications peuvent être données aux répulsions et à l’appréhension liées à l’idée de mort. D’une part, la mort porte en elle une idée terrifiante et est vue comme une calamité : dans l’imaginaire populaire, le mort inconsolable ne pense qu’à se venger et chercherait à s’emparer des plus démunis pour vaincre son isolement. D’où l’importance de la veillée du corps dont le but est de protéger les proches du défunt. D’autre part, la mort est ce qui vient briser la communauté familiale et introduit la crise et la dissolution dans la cité : elle sème la crainte et ouvre la voie aux malheurs. Cette approche évoque donc une idée de mort cernée de peurs et de règlements de comptes.

Dans les sociétés modernes, deux grandes tendances seraient à l’origine de nouvelles représentations et de nouvelles attitudes à l’égard de la mort : l’exacerbation de l’individu et la gestion commercial du défunt qui transforme la mort en un service commercial. Les attitudes à l’égard de la mort se rapprochent plus du refus et de l’éviction. L’approche sociologique insiste alors sur la notion de rupture, de coupure qui intervient avec la mort. A partir de ce constat, Dagognet et Nathan (1999) cherchent à réinsérer la mort dans l’existence, lui accordant ainsi un statut plus social : finalement, quand un membre du groupe meurt, la société vit un renouvellement, une occasion de se fortifier et de se régénérer.

Notons enfin que dans le cadre de ce refoulement, les individus adoptent à la fois une stratégie de coupure entre la vie et la mort, le vivant et le mourant, le vivant et le défunt ; mais aussi une stratégie d’occultation, consistant à banaliser le mourir. La société rejette la mort et l’individu en vient à se désocialiser du mort. Enfin, le mourant est caché en institution, comme si sa mort n’existait pas : elle est programmée, planifiée par une institution qui en fait un objet d’attention.

2.1.3. Les particularités des représentations de la mort dans les medias

Des auteurs comme Walter (1994) ou Legros (2006) soutiennent que les discours contemporains sur la mort ont radicalement changé. Malgré des pratiques sociales et médiatiques relativement courantes (comme en témoigne l’existence du Salon de la mort en Avril 2011), la mort ne s’est pas pour autant banalisée. Le tabou lié à la mort reste donc toujours bien présent, bien qu’il semble s’être déplacé, de sorte à concerner d’autres dimensions liées à la mort. Cet élément est confirmé par Folker Hanusch (2010) dans son livre proposant une

synthèse complète sur les représentations de la mort dans les medias d’information. De plus, l’émergence de nouveaux medias s’accompagne d’un renouveau dans les représentations de la mort et de nouveaux rituels (Florea et Rabatel, 2011). Alors que les medias traditionnels sont tournés vers le sensationnalisme (Moeller, 1999), les nouveaux medias se tournent vers la proximité : la mort représentée n’est plus seulement celle de l’autre, mais c’est une mort dans laquelle nous sommes tous susceptibles de nous projeter et de nous identifier.

Thomas (2000) souligne que la mort dans les medias est « obscène et ab-scène » : les discours et les images sur la mort restent rares du fait de la terreur suscitée par cette idée et inconvenants du fait de son caractère tabou. Dans l’ouvrage de Marc Lits (1993), Frédéric Antoine souligne également la forte disparité qui existe entre l’omniprésence de la mort à la télévision et sa rareté en une des journaux. Plus encore, Lits (1993) met en évidence des motivations complexes qui concourent à la représentation médiatique de la mort, soulignant que la présentation médiatique de la mort répondrait certainement à des attentes inconscientes des lecteurs.

Florea et Rabatel (2011) souligne qu’il existe ainsi un paradoxe entre l’omniprésence de la mort et sa représentation « déréalisante » selon l’expression de Thomas (1991) : tout se passe comme si les individus se focalisaient sur la mort accidentelle, « à laquelle on peut échapper et qui reste de loin minoritaire ». La mort représentée est alors celle qui ne nous atteint pas. Nous retrouvons alors l’idée d’un refoulement psychologique qui consiste à se distancer de la mort.

Ainsi, selon Antoine (1993), l’image de la mort aurait une fonction anxiolytique et permettrait au spectateur d’accepter la mort en tant que phénomène inévitable, tout en récusant la sienne.

Plusieurs contributions anthropologiques traitent des représentations de la mort dans les medias, et insistent sur la nécessité d’apprivoiser sa propre mort au travers de la mort de l’autre. Pour n’en citer que quelques unes : Denis Guthleben (2011) analyse la mort aux Etats-Unis vue par la télévision française et en déduit des éléments sur la façon dont nous appréhendons la mort de l’autre et notre propre mort ; Pascal Hintermeyer (2011) aborde le traitement de l’euthanasie dans la presse ; enfin, Alain Rabatel (2011) explore les représentations médiatiques du suicide.

Pour Thomas (2000), le caractère ineffable de la mort existe lorsque la mort est à la 1ère personne car cela fait référence à ses propres angoisses. Concernant les représentations d’autres formes de rapports à la mort, Florea et Rabatel (2011) mettent en évidence qu’il existe deux modalités de représentations de la mort dans les medias qui sont en réalité deux extrêmes:

- l’atténuation via l’euphémisation, la métonymie ou la référence au lieu dans lequel elle est survenue. De façon générale, les représentations de la mort dans les medias utilisent énormément les symboles (cercueil par exemple), de sorte que le mort peut être aussi bien ce qui est symbolisé que ce qui symbolise (trophée de guerre, martyrs par exemple).

- l’excès via des représentations hyperboliques de la mort, en jouant sur la répétition des images ou le pouvoir des mots utilisés (massacre, nombre de morts suite à une catastrophe).

Notons que les représentations contribuent grandement à modifier, façonner, ou construire l’événement lié à la mort. Pour Fabre-Vassas (1993), les images et les photographies sont d’une extrême importance dans nos sociétés modernes, l’image étant devenue « une part douée de vie et une composante de chacun ».

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