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L’angoisse existentielle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 76-80)

LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LA RECHERCHE

Section 2. L’individu et la mort : le rapport individuel à la mort

2. Angoisse existentielle, anxiété à l’égard de la mort, peur de la mort

2.1. L’angoisse existentielle

2.1.1. Les contributions pluridisciplinaires

A travers son analyse sur les motivations liées au développement et l’accomplissement de soi, Maslow (1962) s’interroge sur les différentes peurs qui peuvent bloquer le développement individuel. Il aborde ainsi le problème de la peur de la solitude et la peur liée à sa propre création et à sa grandeur. L’homme serait effrayé devant la

réalisation de ses pleins pouvoirs et peinerait à supporter la totalité des expériences vécues.

Cette idée est également soutenue par William James (1902) et Rudolf Otto (1923) qui abordent la notion de terreur du monde ou du sentiment d’une terreur oppressante, notamment face au miracle de la création. Se créé alors un sentiment humain d’infériorité face à la transcendance de la création. Harold Searles (1961) va plus loin, suggérant que la tragédie de la vie est la finitude de l’homme, sa peur de la mort et le caractère accablant de la vie. Parallèlement à cette idée, Maslow (1962) insiste sur les contributions de Freud, suggérant que la cause de la plupart des maladies psychologiques serait la peur de la connaissance de soi (émotions, impulsions, souvenirs, capacités, destin etc.). Maslow précise : la peur de la connaissance de soi serait une protection de notre estime de soi et du respect de nous-même. Nous aurions peur de la connaissance qui nous amènerait à nous sentir faibles, inférieurs ou honteux. Enfin, en étudiant l’anxiété existentielle dans le contexte du marché du travail, Brown (2000) le relie aux sentiments de vulnérabilité ou de honte. Selon Giddens (1991), alors que la modernité est responsable de nombreux questionnements liés à l’existence et à l’être, il existerait des croyances fondamentales partagées qui protègent le soi des peurs existentielles et permettent de faire face à la vie.

Ainsi, Becker (1973) suggère que l’homme, à la différence de l’animal, se caractériserait par deux grandes peurs : peur de la vie et peur de la mort. Plusieurs auteurs soutiennent l’existence de ces deux dimensions. D’une part, Otto Rank (1924) a fondé son système de pensée sur ces peurs, montrant à quel point elles étaient centrales dans l’étude du fonctionnement de l’homme. Il suggère deux définitions de ces peurs : la peur de la vie serait la peur de l’individuation, i.e. la peur de vivre une vie individuelle isolée et d’être séparé du tout ; la peur de la mort serait la peur de perdre son individualité et d’être dissout à l’intérieur du tout. Tout au long de sa vie, l’homme ferait des allers retours entre ces deux peurs. De plus, l’oscillation entre la volonté de s’unifier et la volonté de se séparer du groupe serait plus supportable grâce au développement d’une relation avec autrui. D’autre part, Heidegger (1927) a placé ces peurs au cœur de la philosophie existentielle : l’anxiété fondamentale de l’homme est son anxiété liée au fait « d’être dans le monde », ce qui englobe la peur de l’individualisation, la peur de l’expérience etc.

Baldwin et Wesley (1996) ont mis en évidence le fait que la peur de la mort n’est pas l’unique forme d’anxiété existentielle. Il en existe bien d’autres, telles que l’absurdité, l’insignifiance, qui peuvent pour certains être assimilés à des formes dérivées de l’anxiété à l’égard de la mort, dans le sens où la perte de sens nous place immanquablement face à la mort. Il est également possible que le désir d’un monde cohérent, ordonné et significatif soit

totalement indépendant de la peur de la mort. Ainsi, Yalom (1980) précise que même si l’homme est capable de vivre pour l’éternité, il sera tout autant concerné par la recherche de sens. En particulier, la distinction entre la peur de la mort et la peur liée à l’absence de sens est délicate : Lifton (1976) propose que la peur de la mort comprend un sens de dissolution ou de désintégration des sens par lequel l’individu structure sa propre vie ; Sartre (1943) pense que la mort est bouleversante seulement parce qu’elle apporte une preuve claire de l’absurdité de la vie (p. 69). Pour Baldwin et Wesley (1996), cette discussion n’a que peu d’intérêt, car la majorité des expériences d’anxiété existentielle implique probablement une confluence de considérations (Lifton, 1976 ; Tillich, 1952), comme cela est reflété dans la question de Tolstoy (1882) : « is there any meaning in my life that the inevitable death awaiting me does not destroy ? ».

2.1.2. L’anxiété existentielle selon la Terror Management Theory (TMT)

La TMT est l’une des principales théories mobilisées dans cette recherche. Elle a fait l’objet de nombreuses investigations dans les recherches anglo-saxonnes, mais reste cependant très peu exploitée dans les recherches françaises. Elle apporte des éléments d’explication de la façon dont les individus font face à la conscience de la perspective de leur propre mort.

La TMT souligne que seule l’espèce humaine est concernée par la conscience de l’inévitabilité de la mort (Greenberg, Pyszczynski et Solomon, 1986). Les individus seraient ainsi les seuls à avoir un instinct de préservation de soi. Ainsi, grâce aux processus liés à l’évolution, les individus ont développé des capacités cognitives complexes qui leur permettent de développer une pensée abstraite et autoréflexive. Ces mêmes capacités cognitives leur permettent d’acquérir une conscience de sa propre condition d’être mortel. La mort devient alors sujette à diverses représentations et perceptions par les individus, demeurant aux yeux de tous un événement inévitable, imprévisible et incontrôlable.

La confrontation de la conscience de l’inévitabilité de sa propre mort et de l’absence de contrôle sur sa propre vie et de l’instinct humain fondamental de préservation de soi renvoie l’image d’un monde perçu comme inorganisé et insignifiant. Cela créé ainsi une anxiété existentielle, réactivée par des rappels de la mortalité (Becker, 1973 ; Arndt et Solomon, 2003). La terreur existentielle serait donc la manifestation émotionnelle de l’instinct de préservation de soi. Cette anxiété ressentie fait naître par la suite de nombreux besoins chez l’individu : besoins d’ordre, de prévision, de contrôle personnel, de sens et de stabilité de son

propre environnement. Elle active ainsi la volonté de satisfaire à nouveau ces besoins dans sa propre vie (Greenberg, Pyszczynski et Solomon, 1986) afin de réduire l’anxiété ressentie.

Pyszczynski et al. (1996) suggèrent également que l’individu chercherait à trouver du réconfort et à penser à autre chose dans un objectif défensif. Nous développerons ces stratégies pour faire face par la suite.

Selon Wong (1999), l’anxiété à l’égard de la mort vient des capacités cognitives propres aux êtres humains, alors conscients de leur propre mortalité inévitable et effrayés devant l’incertitude de ce qui pourrait se passer après la mort. De plus, la capacité des individus à réfléchir sur la vie et la mort créé une anxiété existentielle supplémentaire. Goodman (1981) insiste sur la particularité de la peur existentielle de la mort : « The existencial fear of death, the fear of not existing, is the hardest to conquer. Most defensive structures, such as the denial of reality, rationalization, insulation erected to Ward off religiously conditioned separation-abandonment fears, do not lend themselves readily as protective barriers against the existencial fear of death ».

2.1.3. L’anxiété existentielle selon la Meaning Management Theory (MMT)

« What is important is wether the individual continues to question and seek out God, meaning, purpose and value » Cluff (1984)

Sur le modèle de la TMT, Wong (2000, 2005) développe une théorie fondée sur une perspective existentielle humaniste (Neimeyer, 2001) considérant à la fois des processus cognitifs et comportementaux. Le modèle de la MMT consiste alors, dans le cadre d’une démarche plus positive, à trouver du sens dans les réalités de la vie et de la mort afin de se protéger contre plusieurs types d’anxiétés, dont l’anxiété face à la mort. Ainsi, la MMT suggère que les individus ont besoin de sens. Plus spécifiquement, ils auraient besoin de percevoir le monde et les événements à travers un prisme de représentations mentales qui organisent leur perception du monde. Elle se décline alors en trois grands principes :

1. Le sens est une relation : il est ce qui permet de relier les individus, les objets, les lieux, les idées entre eux, selon une organisation prévisible ;

2. Les hommes sont créateurs de sens : ils ont la capacité à construire et à appliquer des représentations mentales des relations ;

3. Le modèle de « compensation fluide » (fluid compensation): dès lors qu’il existe une menace sur le sens, les individus réinventent un réseau alternatif de relations.

Ainsi, il existe plusieurs menaces potentielles liées à la recherche de sens. La saillance de mortalité, qui réactive les pensées liées à sa propre mort, en est une. Ce concept central, mobilisé dans cette recherche, sera défini dans le chapitre suivant.

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