Le choix de la cible d’étude : 40-59 ans et 60-79 ans

En particulier, plusieurs éléments justifient notre choix de nous concentrer sur l’étude des individus de plus de 60 ans.

, Des rappels de la mort plus fréquents chez les seniors

Les seniors s’insèrent dans une période de la vie où la retraite, la perte d’un conjoint, les changements physiques et physiologiques, les maladies dues à l’âge etc. constituent autant

de rappels de l’échéance finale et donc d’événements stressants auxquels ils doivent s’ajuster et ce, à des âges variables. Cela suppose donc que les individus seniors seraient exposés plus fréquemment à des situations de saillance de mortalité, réactivant ainsi la conscience de leur propre mort.

, Des interrogations sur la manière de faire face

La TMT appliquée aux seniors laisse en effet entrevoir certaines interrogations qu’il s’agit de résoudre. Il est possible de supposer que le senior dispose de moins de ressources pour conserver une estime de soi acceptable, notamment avec le départ en retraite, la perte des rôles sociaux et la solitude. Il est possible également de supposer que l’estime de soi à un âge avancé est mise à mal du fait du processus de vieillissement : les pertes cognitives et physiques ainsi que la perte des rôles sociaux fragilisent l’individu senior et l’estime qu’il a de lui-même. Il conviendra donc d’évaluer l’estime de soi de l’individu, afin de la considérer comme une variable modératrice de l’effet de la saillance de mortalité sur les comportements. De plus, dans la perspective de la TMT, nous pouvons nous interroger sur la capacité à défendre le modèle culturel, du fait de l’évolution rapide de la société vers de nouvelles règles, de nouvelles valeurs avec lesquelles ils n’ont pas vécu. Ainsi, de prime abord, la difficulté potentielle à appliquer les mécanismes de défense cités par la TMT les rend plus vulnérables que les individus des autres tranches d’âge (McCoy, Pyszczynski, Solomon et Greenberg, 2000). Cela justifie de plus la pertinence d’une comparaison entre différentes tranches d’âge.

, Une cible pour laquelle il existe une ambiguïté

Nous avons vu que l’anxiété à l’égard de la mort diminue à un âge avancé pour ensuite se stabiliser. Les seniors semblent donc aborder la mort avec plus de sérénité et d’acceptation. Toutefois, la perception de l’horizon temporel limité et le départ en retraite suscitent un sentiment d’urgence à profiter de la vie, se faire plaisir et faire les choses qu’ils n’ont pas eu le temps de faire pendant leur vie active. La présente recherche vise à mieux comprendre cette ambiguïté ou du moins l’arbitrage opéré par les individus seniors face à la situation de saillance de mortalité.

, Des ressources et des stratégies particulières pour faire face.

Diehl, Coyle et Labouvie-Vief (1996) démontrent que les seniors sont généralement moins défensifs et moins agressifs dans le choix de leurs stratégies d’adaptation face à des

situations difficiles. Ils utiliseraient ainsi plus aisément la reformulation positive ou la prise de distance (par rapport au problème source de stress) que d’autres stratégies plus agressives comme les reproches, l’autoaccusation ou la confrontation directe. Ils justifient cet aspect en soulignant le fait que les seniors arrivent à prendre de la distance par rapport à l’évènement négatif, utilisant ainsi le déni ou la reformulation positive pour minimiser la situation.

Conclusion de la section 5

La section 5 est consacrée à l’exploration de nouvelles pistes de recherche relatives à l’influence de la saillance de mortalité sur les comportements individuels. Notre approche se distingue des recherches antérieures sur différents points. Tout d’abord, la saillance de mortalité réactive la conscience de l’inévitabilité de sa propre mort de façon situationnelle, mais est susceptible de susciter des émotions négatives et positives d’intensité variable selon les caractéristiques individuelles. Ainsi, l’approche de la TMT, préconisant des mécanismes de défense de soi via des motivations extrinsèques (valorisation de l’estime de soi et défense du modèle culturel) semble incomplète : il peut exister d’autres mécanismes axés sur la croissance de soi, selon des motivations plus intrinsèques. Sans prétendre à une exhaustivité, deux stratégies sont alors envisagées en réponse à une situation de saillance de mortalité:

, une stratégie d’évitement liée à la défense de soi, pour laquelle on retrouve les mécanismes de défense recommandés par la TMT qui visent à réduire l’anxiété et à éviter un affect négatif ;

, une stratégie d’approche liée à la croissance de soi, pour laquelle l’individu cherche plutôt à se rapprocher de ce qu’il considère comme positif, bénéfique, satisfaisant et ce qui apporte du sens à sa vie.

Enfin, du fait de l’objet de recherche étudié, nous pensons que l’âge chronologique joue un rôle fondamental dans l’effet de la saillance de mortalité et en particulier, dans la mobilisation de l’une des deux stratégies. Notre choix se porte donc sur deux tranches d’âge que sont les 40-59 ans et les 60-79 ans. Notons enfin que notre approche tend à envisager, non pas l’existence de l’une des deux stratégies et l’absence de l’autre, mais plutôt la prédominance de l’une par rapport à l’autre dans un contexte situationnel qu’est la saillance de mortalité.

Conclusion du chapitre 2

Le chapitre 2 vient clore la première partie de ce travail doctoral destinée à présenter les éléments théoriques de la recherche. Il propose une définition du concept central de cette recherche, la saillance de mortalité, ainsi qu’un état de l’art des recherches antérieures portant sur l’effet de la saillance de mortalité sur le déploiement de mécanismes de défense et les comportements. Cette approche nous a amené à explorer les apports des théories fondamentales que sont la TMT et la MMT, ainsi que ceux de théories liées à la motivation telles que la SDT et la théorie de l’orientation régulatrice. Cet ancrage théorique nous a permis ensuite d’envisager des pistes de recherche qui portent sur les stratégies mises en œuvre en réponse à une situation de saillance de mortalité et leurs effets sur les comportements. En particulier, deux processus indépendants sont envisagés face à une situation de saillance de mortalité : une stratégie de défense de soi axée sur la prévention et une stratégie de croissance de soi axée sur la promotion.

Cette piste de recherche souhaite venir compléter les recherches existantes dans le domaine de la saillance de mortalité. Dans cet objectif, une phase empirique est à ce stade mise en oeuvre. Le prochain chapitre présente ainsi l’étude qualitative exploratoire qui a permis de préciser les axes de recherche les plus pertinents au regard de l’objet de recherche.