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Les conditions pour exécuter la décision de l‟ingénieur

194. Face à ces dilemmes des deux grands concepts sur la nature juridique de la décision de l‟ingénieur, les juges anglais ont pris un autre chemin de sécurité

172 G

LAVINIS, op. cit., (note 37), p 472.

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qui aide à réconcilier sur la qualification de la nature juridique de la décision de l‟ingénieur, d‟une part, et, d‟autre part, à assurer l‟exécution de cette décision dans le respect des principes fondamentaux d‟une procédure. Tel sera l‟objet de ce qui suit.

§1. Le sens de la « décision de l’ingénieur devenant définitive et obligatoire » dans les cahiers de la FIDIC

195. En ce qui concerne la compréhension des termes de « décision de l‟ingénieur devenant « définitive et obligatoire » pour les parties », dans l‟arrêt du 12 octobre 1999, la Cour d‟appel anglaise a estimé que « […] si une décision [de l‟ingénieur] qui devient définitive et obligatoire peut être rendue dans une

phase initiale du contrat. Tout dépendra des circonstances particulières [c‟est

nous qui le soulignons] qui prévalent dans des industries respectives et même

dans les contrats particuliers. Ce que la cour doit faire est tout simplement d‟expliquer les termes du contrat qui a été adopté par les parties dans une situation précise174 ».

196. Ainsi, à l‟instar de ce raisonnement, dès que le contrat précise que « la décision de l‟ingénieur est devenue « définitive et obligatoire » pour les parties, ce double effet ne suffit pas pour que cette décision soit considérée naturellement comme une sentence arbitrale devant être mise à exécution en tant que telle. Une explication des juges ou des arbitres est nécessaire en fonction des situations précises. La question se pose de savoir ce qu‟est « la situation précise ». Sont-ce les éléments du contrat ou ce qui est exigé de l‟ingénieur lui-même et notamment de son impartialité ? Il semblerait que les deux situations coexistent.

174 Harbour & General Works Ltd v Environment Agency [2000] 1 W.L.R. 950, para 963:

« […] if a decision which is final and binding can be taken at an early stage of the contract. All will depend on the particular circumstances that prevail in particular industries and indeed on particular contracts. What the court must do is simply construe the words of the contract which has been adopted by the parties in any particular situation ». C‟est un arrêt relatif au Conditions de l‟ICE. Il est compris que le mécanisme de règlement des litiges par l‟ingénieur de ces Conditions est similaire à celui des Conditions de la FIDIC 1987, ce qui a été reconnu dans l‟arrêt [2014] EHWC 4796 (TCC) de la Cour d‟appel anglais du 12/12/2014.

§2. Les éléments examinés avant la mise à exécution de la décision de l’ingénieur

197. Dans l‟affaire précitée, pour fonder son raisonnement, le juge a fait droit à l‟argumentaire de l‟intimé au motif que lorsque la décision de l‟ingénieur deviendra définitive et obligatoire pour les parties, le tribunal arbitral ne sera plus compétent pour réexaminer les problèmes déjà soumis à l‟ingénieur. Pour le juge, la « situation particulière » dans ce cas-là tient au fait que le règlement procédural de l‟arbitrage choisi par les parties n‟autorise pas le tribunal arbitral à réexaminer les problèmes déjà soumis à l‟ingénieur. Il semblerait que ce soit une argutie du juge plutôt qu‟une explication car, que ce soit le contrat ou le règlement procédural de l‟arbitrage, tous deux sont à l‟origine d‟une convention des parties qui impose que lorsque la décision de l‟ingénieur devient définitive et obligatoire, nul n‟est compétent pour la réexaminer.

198. Néanmoins, hormis cet exemple sur « une situation précise », il est souhaitable, même lorsque la décision de l‟ingénieur est devenue définitive et obligatoire, de toujours s‟assurer de l‟absence de fraude ou de mauvaise foi de l‟ingénieur. C‟est la solution de la jurisprudence américaine175

. À titre d‟exemple, dans la décision de la Cour suprême des États-Unis en 1972176

, au sujet de la décision d‟un acteur qui règle des litiges en vertu du mécanisme prévu par le contrat, la Cour a confirmé qu‟ « en l‟absence de fraude ou de

mauvaise foi, le règlement des litiges de l‟Agent fédéral [comme ingénieur] en

175 1915 CarswellBC 25, C. A British Columbia, 14/5/1915: « There coul d be not doubt that if

the parties to a contract chose to agree that the engineer shall be the sole judge the court would not interfere with the judgment of the engineer except in the case of corruption [c‟est nous qui le soulignons], or the nature of the contract itself might be such that the court could not interfere by injunction ».

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92 S. Ct. 1411, C. S des États-Unis, 24 avril 1972, les juges ont jugé que : « We hold that absent fraud or bad faith the federal agency‟s settlement under the dispute cla uses is binding on the Government; that there is not another tiers of administrative review; and that, save for fraud or bad faith, the decision of AEC is « final and conclusive ». Cette confirmation de la jurisprudence, pour les experts juridiques en mati ère de construction, s‟applique aussi à la décision de l‟ingénieur : voir James J. Myers, « Resolving disputes in worldwide infrastructure projects », 47 C. L. R (2è) 87, 1999 ; John Cassan Wait, « Engineering and Architectural Jurisprudence : A presentation of the law of construction for engineer, architechts, constractor, builders, public officers, and attorneys at law 305, 1898 », sur le site web: Heinonline;

vertu du contrat lie le Gouvernement [maître de l‟ouvrage] […] et que sauf fraude ou mauvaise foi, la décision de l‟AEC [celui qui tranche des litiges

comme ingénieur] est définitive et obligatoire ». À ce sujet, le Professeur Philippe THÉRY a commenté qu‟à moins que la fraude ou la mauvaise foi soit notoire, l‟office du juge n‟est pas nécessaire. Puisque, pour lui, en l‟absence de contestation des parties de la décision de l‟ingénieur, en se basant sur le principe selon lequel le silence vaut acceptation, on peut donner à cette décision l‟effet juridique que l‟on veut. C‟est-à-dire que la décision de l‟ingénieur doit être mise à exécution d‟emblée.

199. Cependant, dans le contexte des contrats-types FIDIC, la solution des juges anglais sera plus pertinente, précisément : quelle que soit la nature de la décision de l‟ingénieur et dès lors que celle-ci est devenue définitive et obligatoire en vertu du marché, avant d‟être mise à exécution, cette décision devrait toujours faire l‟objet d‟un contrôle de la juridiction étatique ou du tribunal arbitral en fonction des circonstances précises. Cette solution se justifie pour les raisons ci-dessous :

- D‟abord, comme il résulte des analyses précitées, il existe plusieurs motifs pour dénier la qualité de la justice dans la décision de l‟ingénieur ;

- Ensuite, dans la pratique, selon les observations des experts en la matière, « le maître de l‟ouvrage tente de restreindre le pouvoir de l‟ingénieur

comme par exemple en se mêlant à la décision de celui-ci, voire en remplaçant celui qui lui désobéit. […] il y avait des cas où l‟ingénieur était utilisé comme un moyen par le maître de l‟ouvrage de mauvais foi »177. Par conséquent, dans une enquête menée par l‟Université Reading à l‟égard des utilisateurs des contrats-types FIDIC en 1990, la moitié des participants a répondu qu‟elle s‟inquiétait de l‟impartialité de l‟ingénieur car celui-ci est embauché et payé

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KLEE, op. cit., (note 36), p. 393: “In practice, the employers try to restrict the engineer‟s powers, for exemple, by making the engineer‟s decisions subject to employer approval, or they withdraw disobedient engineers and replace them with obedient ones . […] The practice went so far and cases were encounted where the engineers were used as a tool for bad faith behaviour by the employer.”

par le maître de l‟ouvrage178

». De ce fait, la FIDIC a revu ses publications en modifiant le rôle de l‟ingénieur dans le règlement des litiges 179par le comité de règlement des litiges (Dispute Adjudication Board : DAB) à l‟article 20.4. La rigueur des juges à l‟égard de la décision de l‟ingénieur a contribué à la protection de la sécurité juridique du procès d‟une part, et, d‟autre part, a favorisé les praticiens de nos jours qui appliquent le Livre Rouge 1999 ou à tout le moins son mécanisme de règlement de litige au lieu de celui du Livr e Rouge 1987. Ainsi les juges ont donné une solution adaptée à l‟évolution du mécanisme de règlement des litiges dans le domaine de la construction internationale.

200. Si l‟on se fonde sur ce qui précède que, pour que sa décision devienne définitive et obligatoire aux parties, d‟une part, et, d‟autre part, pour répondre aux besoins des parties, lors du règlement des litiges, l‟ingénieur doit-il se conformer à tous les principes fondamentaux d‟un procès comme les juges étatiques ou les arbitres ? La réponse se trouvera dans le processus de règlement des litiges de l‟ingénieur qui suit.

178 Voir Toby Shnookal et Dr Donald Charrett, « Standard form contracting; the role for

FIDIC contracts domestically and internationally », sur le site web de la FIDIC.

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CHAPITRE 3

LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE DE RÈGLEMENT

DES LITIGES PAR L’INGÉNIEUR

201. En ce qui concerne le règlement des litiges, les questions se posent souvent en matière de procédure civile de savoir, d‟un point de vue organique, qui est le juge apte à trancher un litige et d‟un point de vue fonctionnel, comment la procédure se déroule. Et ces questions s‟appliquent aussi au règlement des litiges par des modes alternatifs180. Pour répondre à ces questions, l‟article 67. 1 stipule :

« Si un litige (dispute) de quelque nature que ce soit survient entre

l‟entrepreneur et le maître de l‟ouvrage […] il doit préalablement être soumis par écrit à l‟ingénieur avec copie à l‟autre partie […] l‟ingénieur notifiera au maître de l‟ouvrage et à l‟entrepreneur sa décision. Celle-ci doit préciser qu‟elle est rendue conformément au présent article ».

Ainsi, pour engager la procédure en vertu de cet article 67.1, deux conditions doivent être remplies : l‟une concerne la disponibilité du juge- ingénieur apte à trancher le litige (Section 1) et l‟autre l‟existence du litige (Section 2). Le déroulement de la procédure de règlement des litiges par l‟ingénieur sera approfondi à travers des obligations de celui-ci (Section 3).