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202. L‟article 1.1 (a) (iv) du Livre Rouge 1987 définit l‟ingénieur comme « la personne désignée par le maître de l‟ouvrage ès qualité pour les missions du marché qui lui sont dévolues et dénommée dans la Partie II de ces Conditions ». Au sens de cet article, l‟obligation de désignation de l‟ingénieur

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relève du maître de l‟ouvrage. Comme on le sait, en vertu des cahiers de la FIDIC, les missions de l‟ingénieur sont diverses. Ainsi, le maître de l‟ouvrage ne désigne-t-il qu‟un acteur en qualité d‟ingénieur pour l‟ensemble des opérations du marché ou y a-t-il différents ingénieurs en fonction de la nature des missions qui leur sont confiées ? Dans cette dernière hypothèse, qui est compétent pour le règlement des litiges ?

§1. Identification de l’ingénieur compétent pour le règlement des litiges

203. À l‟examen approfondi des stipulations du Livre Rouge 1987, il est difficile de répondre à ces questions. Il convient donc d‟observer l‟application des contrats-types FIDIC dans la pratique. En ce qui concerne ce sujet, l‟affaire 10892 du mars 2002181 de la Cour internationale d‟arbitrage sera un grand cas à étudier. En l‟espèce, il y avait différents acteurs qui jouaient le rôle d‟ingénieur à différents stades d‟exécution du marché et particulièrement, il existait une période où le maître de l‟ouvrage a nommé une personne B ès qualité en énumérant une liste de ses missions : (1) de certifier le paiement à l‟entrepreneur ; (2) d‟évaluer des modifications du marché ; (3) de fixer des prix de la construction, etc.

204. Ainsi, cette énumération des missions de l‟ingénieur permet-elle de comprendre que celui-ci n‟est pas compétent pour régler des litiges si cette mission n‟est pas expressément mentionnée dans cette liste exhaustive ? Dans cette affaire, le tribunal arbitral a jugé que l‟ingénieur B a été désigné pour certaines missions, pour les autres, l‟entrepreneur a accepté implicitement que le maître de l‟ouvrage lui-même joue le rôle de l‟ingénieur car, pour les arbitres, le Livre Rouge 1987 n‟exige pas que l‟ingénieur soit un acteur indépendant. En l‟occurrence, l‟ingénieur - maître de l‟ouvrage - détient-il aussi le pouvoir de règlement des litiges survenant entre lui-même et l‟entrepreneur ?

181 ICC International Court of Arbitration Bulletin - Vol. 19/No2-2008, extrait à tirage limité,

205. On est d‟accord pour dire que le Livre Rouge 1987 ne stipule pas expressément que l‟ingénieur doive être un acteur indépendant. Il en résulte qu‟existe la situation où celui-ci est en même temps le maître de l‟ouvrage mais cela ne peut pas être le cas de l‟ingénieur qui tranche le litige, étant donné qu‟il y a plusieurs clauses du Livre Rouge dont on peut déduire que l‟ingénieur qui tranche le litige doit être un acteur indépendant du maître de l‟ouvrage.

- D‟abord, la clause 2.1(b) du même Livre mérite d‟être analysée en ce qui concerne le pouvoir et les responsabilités de l‟ingénieur : « sauf stipulation

précise dans le marché, l‟ingénieur n‟aura pas le pouvoir de relever l‟entrepreneur de ses obligations en vertu du marché ». Ainsi, si l‟ingénieur

qui tranche le litige peut être en même temps le maître de l‟ouvrage, cette limitation du pouvoir de l‟ingénieur est-elle superflue ?

- Ensuite, l‟article 53.1 sur la procédure de réclamation stipule que « si

l‟entrepreneur a l‟intention de réclamer […] celui-ci doit la notifier à l‟ingénieur avec copie au maître de l‟ouvrage ». On en déduit que

l‟ingénieur et le maître de l‟ouvrage sont deux acteurs distincts. Cette explication s‟emploie aussi pour le premier paragraphe de l‟article 67. 1 selon lequel le litige survenant entre le maître de l‟ouvrage et l‟entrepreneur « sera

préalablement envoyé par écrit à l‟ingénieur avec copie à l‟autre partie ». Cet

état de chose laisse à penser que l‟ingénieur qui tranche le litige est un acteur indépendant du maître de l‟ouvrage.

- Enfin, selon l‟article 2.6 du Livre Rouge 1987, lors du règlement des litiges, l‟ingénieur est tenu d‟être impartial. Cette impartialité de l‟ingénieur exige que celui-ci soit indépendant ainsi qu‟a considéré le tribunal arbitral de façon omnisciente dans l‟affaire précitée : « […] il existe différents niveaux

d‟indépendance. Au niveau le plus bas, lorsqu‟un gouverneur, l‟employeur ou le propriétaire nomme lui-même ou son propre employé en tant qu‟ingénieur, il n‟y a pas d‟indépendance et l‟impartialité est peu probable »182

.

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« … There are different levels of independence. At the lowest level, when the gouverment, employer or owner appoints itself or its employee as engineer, there is no independence and impartiality is unlikely »: voir ICC International Court of Arbitration Bulletin – Vol. 19/No2- 2008, extrait à tirage limité, p. 58 sur le site web de la FIDIC.

206. Ainsi, en tout état de cause, l‟ingénieur qui tranche le litige doit être un acteur indépendant du maître de l‟ouvrage. De ce fait, comment peut-on déterminer l‟ingénieur compétent pour régler des litiges ? La réponse à cette question peut se trouver dans l‟affaire 6276 et 6277 [1990] de la Cour internationale d‟arbitrage examinée ci-après.

207. En l‟espèce, le maître de l‟ouvrage n‟a pas désigné l‟ingénieur. Aussi, l‟entrepreneur a saisi directement le tribunal arbitral à la naissance du litige. Par la suite, le tribunal arbitral a jugé que c‟était une saisine « prématurée » en expliquant : « le demandeur […] est tenu d‟avertir le défendeur (maître de

l‟ouvrage) que ce dernier doit préciser, par une notification, le nom de l‟ingénieur à qui le litige sera soumis. Seulement dans le cas de refus ou d‟absence de réponse du défendeur, le demandeur peut être dispensé de se conformer à la procédure pré-arbitrale. 183». Ce point de vue du tribunal arbitral sur la désignation d‟ingénieur est d‟autant plus convaincant qu‟il se conforme au sens de l‟article 1.1 (iv) du Livre Rouge 1987 : « l‟ingénieur est la personne désignée par le maître de l‟ouvrage ès qualité pour les missions du marché qui lui sont dévolues et dénommée dans la Partie II de ces Conditions ».

208. Aux termes de cet article, il est notoire que quelque soit l‟ingénieur, celui-ci doit être désigné précisément dans la partie II des conditions du contrat. Il est donc déraisonnable de déduire qu‟en l‟absence de désignation d‟ingénieur par le maître de l‟ouvrage, l‟entrepreneur accepte implicitement le maître de l‟ouvrage ès qualité. Cela amène favorablement au non-respect de l‟obligation contractuelle du maître de l‟ouvrage dans la désignation d‟ingénieur.

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« The claimant … was under a duty to put the defendant (employer) on notice to indicate to it the name of engineer to whom the dispute could be s ubmitted. It was only if it had met with a refusal or in the event of the failure to reply on the part of the defendant that the claimant could have been dispensed from complying with this pre -arbitral phase »: voir CHRISTOPHER R. SEPPALA, „International construction contract disputes: Commentary on ICC awards dealing with the FIDIC international conditions of Contract‟, Int‟l. Bus. L. J, vol. 1999, no. 6, p. 700-723 (703), sur le site web: Westlaw.

209. Cette situation sera un bel exemple à suivre dans l‟application du Livre Rouge 1999 étant donné que le contenu de l‟article 1.1 (iv) du Livre Rouge 1987 figure avec son intégralité dans le Livre Rouge 1999 à l‟article 1.1.2.4. Bien qu‟en vertu du Livre Rouge 1999, l‟ingénieur ne soit plus compétent pour régler des litiges, il existe toujours le point de vue selon lequel la saisine de la réclamation constitue une condition préalable au commencement de la procédure du DAB. C‟est pourquoi la question de la désignation d‟ingénieur entre toujours en ligne de compte. À l‟avenir, si cette situation se reproduit, comment l‟entrepreneur peut identifier l‟ingénieur pour qu‟il puisse lui adresser sa réclamation avant de porter son problème devant le DAB ? Pour toutes ces raisons, il est préférable que la nomination d‟ingénieur doive s‟effectuer en conformité avec l‟article 1.1 (iv) du Livre Rouge 1987 et l‟article 1.1.2.4 du Livre Rouge 1999. Si ces exigences ne sont pas respectées, on peut suivre le raisonnement ci-dessus du tribunal arbitral selon lequel, de bonne foi, l‟entrepreneur doit demander au maître de l‟ouvrage de remplir son obligation de désigner l‟ingénieur et à défaut, en cas de refus ou d‟absence de réponse du maître de l‟ouvrage, ce dernier est considéré comme ayant violé les obligations contractuelles. L‟entrepreneur peut désormais déférer le litige au tribunal arbitral selon le Livre Rouge 1987 ou au DAB selon le Livre Rouge 1999 et demander les dommages-intérêts résultant de cette inexécution du contrat. En l‟occurrence, le maître de l‟ouvrage perdra tous droits de contestation en application du principe de droit anglais selon lequel nul n‟a le droit de se prévaloir de son omission184.

§2. Le remplacement de l’ingénieur

210. Comme il vient d‟être analysé ci-dessus, l‟ingénieur est présent dans toutes les obligations de l‟entrepreneur, du début jusqu‟à la fin d‟un projet de construction. De ce fait, « l‟identité de la personne choisie comme ingénieur

est d‟une importance cruciale pour l‟entrepreneur lorsqu‟il évalue les risques

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du projet, notamment la probabilité que l‟ingénieur rende sur ses « claims/demandes » des décisions correctes, à l‟issue d‟une instruction rapide »185. C‟est la raison pour laquelle si la désignation d‟ingénieur retient notre attention, le remplacement de celui-ci doit aussi être examiné attentivement.

211. L‟article 3.4 du Livre Rouge 1999 prévoit que « si le maître de l‟ouvrage a

l‟intention de remplacer l‟ingénieur, pendant quarante-deux jours avant son remplacement, il doit informer l‟entrepreneur de l‟identité, des coordonnées et des expériences du nouvel ingénieur proposé. Le maître de l‟ouvrage ne remplacera pas l‟ingénieur par celui auquel l‟entrepreneur s‟est opposé raisonnablement dans une lettre de notification au maître de l‟ouvrage avec justificatification ». Cependant, cette stipulation n‟existe pas dans le Livre

Rouge 1987. Cela pose la question de savoir si l‟ingénieur peut être remplacé ou non en vertu de ce Livre 1987. Si tel est le cas, l‟entrepreneur a-t-il le droit de refuser si celui qui remplacera l‟ancien ingénieur ne dispose pas de connaissances suffisantes pour répondre aux conditions du marché ?

212. Même si le Livre Rouge 1987 ne mentionne pas le problème du remplacement de l‟ingénieur, ce remplacement est adéquat, pour les arbitres et aussi les juges étatiques, dans certaines situations. Comme, par exemple, la Cour suprême anglaise a prévu les circonstances permettant au maître de l‟ouvrage de nommer un nouvel ingénieur lorsque l‟ingénieur initial est décédé ou n‟existe plus ou dans le cas où, pour le maître de l‟ouvrage, l‟ingénieur s‟obstine à appliquer à tort le contrat186. À l‟examen de l‟affaire 10892 de la Cour internationale d‟arbitrage précitée, on peut aussi affirmer que dans la pratique, le maître de l‟ouvrage peut remplacer l‟ingénieur initial par un autre. Ainsi, la question se pose de savoir de quelle façon s‟effectue ce remplacement.

185 C

HRISTOPHER R. SEPPALA, „Les principaux « claims » de l‟entrepreneur aux termes des conditions FIDIC‟, op. cit., (note 135), p. 176.

186 Al-Waddan Hotel Limited v. Man Enterprise SAL (Offshore), [2014] EWHC 4796 (TCC),

213. Si l‟on suit les stipulations du Livre Rouge 1999, il convient de reconnaître le droit de refus de l‟entrepreneur. Cela est également renseigné par la FIDIC187 lorsqu‟elle met en garde que la définition selon laquelle l‟ingénieur est la personne désignée dans la partie II des Conditions du marché a pour effet d‟empêcher le maître de l‟ouvrage de changer d‟ingénieur sans accord de l‟entrepreneur. Raison pour laquelle l‟ingénieur initial est souvent désigné dans l‟appel d‟offre, cela préside aux calculs de l‟entrepreneur dans sa soumission. Cette recommandation a été employée par la Cour suprême britannique188 lors de l‟examen sur l‟obligation du maître de l‟ouvrage à l‟égard de la disponibilité de l‟ingénieur. Cela est d‟autant plus convaincant que la nomination de l‟ingénieur initial a fait l‟objet d‟un consentement des deux parties - le maître de l‟ouvrage et l‟entrepreneur -, ce consentement nécessite donc d‟être obtenu également lors du remplacement de l‟ingénieur. Ce principe d‟exécution des engagements peut se trouver dans le Code civil français selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à

ceux qui les ont faits (nouvel art. 1103) » et « les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise (nouvel art. 1193) ». De ce fait, à l‟avenir, d‟une

part, si les parties veulent choisir le Livre Rouge 1987 pour leur contrat de construction, le contenu de l‟article 3.4 du Livre Rouge 1999 mérite de servir de référence. D‟autre part, si le tribunal arbitral est saisi d‟un litige en la matière, pour assurer l‟équilibre entre les parties, il est préférable que la solution de cet article 3.4 soit choisie.

187 The FIDIC contract Guide, p. 41: “It should be noted that this definition [about engineer in

article 1.1(iv)] identifies engineer as a person named as such in Part II of the conditions, the effect of which is to prevent the employer from changing the engineer without the consent of the contractor. The reason for this change from the 3rd Edition is that the identity of the engineer (and his reputation) has been a factor in the calculation of the contractor‟s tender”

188 Al-Waddan Hotel Limited v. Man Enterprise SAL (Offshore), [2014] EWHC 4796 (TCC),

Section 2. La naissance d’un litige en vertu de l’article 67.1 du Livre Rouge