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CHAPITRE I – PROBLÉMATIQUE

1.2 L’émergence de différents modèles de soins adaptés à la complexité des maladies

1.2.3 Les communautés de pratique comme mode de collaboration

Les unités de soins d’un hôpital sont dynamiques, imprévisibles et requièrent une capacité d’adaptation face aux situations d’incertitude et de risque (Matthews et Thomas, 2007). Les décisions relatives aux soins sont fréquemment difficiles parce qu’elles revêtent un fort degré d’incertitude et présentent des conséquences importantes, à commencer par l’impact potentiel sur la qualité de vie du patient (Lessard, 2007). De ce fait, selon McKeon, Oswaks et Cunningham (2006), la nature complexe des soins de santé, particulièrement en contexte d’incertitude, nécessite une collaboration s’appuyant sur un modèle mental partagé afin de rapidement discriminer les signaux de défaillance à travers une multitude de données.

Les auteurs sont nombreux à valoriser la collaboration interprofessionnelle (ou interdisciplinaire) dans le domaine de la santé (mentionnons ceux qui nous sont apparus incontournables du point de vue de la rigueur conceptuelle : Couturier et Chouinard, 2006; Couturier, Gagnon, Carrier et Etheridge, 2008; D’Amour, Goulet, Labadie, San Martín- Rodriguez et Pineault, 2008; D’Amour, Ferrada-Videla, San Martin-Rodriguez et Beaulieu,

2005; Davoli et Fine, 2004; Freidman, 2001; Klein, 2008). La littérature à cet effet nous montre que les communautés de pratique (CdeP) (Lave et Wenger, 1991) représentent un mode de collaboration interprofessionnelle valorisé par un très grand nombre de chercheurs du domaine de la santé13. D’ailleurs, à ce jour, lorsque, à l’instar de Li et al. (2009a), nous procédons à une recherche sur le web via Google scholar, en utilisant les mots exacts « Health community of practice », nous obtenons 1 920 000 liens, ce qui n’est pas peu dire!

Soulignons que la notion de communauté de pratique s’inscrit dans un cadre conceptuel dense et élargi, applicable à une variété de domaines, dont celui de la santé. En référence à la définition de Wenger, McDermott et Snyder (2002), les communautés de pratique sont « des groupes de personnes qui partagent une préoccupation, un ensemble de problèmes ou une passion à propos d’un sujet et qui approfondissent leurs connaissances et leur expertise dans ce domaine en interagissant de manière régulière » (p. 4). Dès lors, la collaboration devient un élément central pour le tissage de liens, le partage de connaissances et la concertation autour de questions et d’actions communes.

Wenger (1998) propose de « concevoir l’apprentissage sous l’angle d’une participation sociale » (p. 2). Dans cette perspective, les CdeP, de par leur structure dynamique, permettent l’apprentissage continu sur un objet de connaissance particulier. Il importe de souligner que cette vision sociale de l’apprentissage et les quatre concepts sous-jacents (sens, communauté, pratique et identité) révèlent l’importance du monde extérieur dans le processus de construction de sens, de même que l’importance de la pratique (du « faire »), dans le processus développemental de l’identité personnelle (définition de soi). En fait, la conceptualisation associée à la notion de CdeP est toujours présentée dans l’optique du processus d’apprentissage, ce qui en marque l’intérêt lorsqu’il s’agit de la complexité des soins qui requièrent la mise en commun des savoirs professionnels autour d’une problématique de santé en perpétuelle transformation, génératrice d’incertitude.

13 Barr (2001); Booth, Tolson, Hotchkiss et Schofield (2007); Cope, Cuthbertson et Stoddart (2000); Fung-Kee- Fung, Goubanova, Sequeira, Abdulla, Cook, Crossley et al. (2008); Huckson et Davies (2007); Iedema, Meyerkort et White (2005); Kernick (2005); Norman et Huerta (2006); Poissant et al. (2010); Rolls, Kowal, Elliott et Burrell (2008); Rossignol, Poitras, Dionne, Tousignant, Truchon, Arsenault et al. (2007); Soubhi (2007); Soubhi, Rege Colet, Gilbert, Lebel, Thivierge, Hudon, Fortin (2009); Tartas et Muller (2007); Andrew, Tolson et Ferguson (2008); Tolson, Booth et Lowndes (2008); Tolson, McAloon, Hotchkiss et Schofield (2005); Tolson, Schofield, Kelly et Booth (2006).

De manière plus précise, mentionnons qu’un argument fréquemment invoqué en faveur des CdeP porte sur le mode de gestion des connaissances qu’on tente d’implanter dans le milieu de la santé, lequel repose sur une politique de soins « basés sur l’évidence », qui préconise la mise en application (dans la pratique) des savoirs explicites issus de la recherche. Dans ce contexte, des guides de pratiques cliniques dérivés des résultats de recherche et offrant des « lignes directrices » (guidelines) sont valorisés par les gestionnaires (Fung-Kee-Fung et al., 2008; Gabbay et Le May, 2004; Gabbay, Le May, Jefferson, Webb, Lovelock, Powell, Lathlean et al., 2003; Tsai, 2005). Plusieurs auteurs se montrent toutefois étonnés qu’un tel processus linéaire et rationaliste d’acquisition de connaissances soit ainsi valorisé dans le domaine de la santé alors que la réalité montre plutôt que les praticiens basent leur prise de décision sur leurs « lignes de pensée personnelles » (mindlines) (Booth et al. 2007; Gabbay et Le May, 2004; Gabbay et al., 2003; Kernick, 2005; Tsaï, 2005) et que ces mindlines sont minimalement appuyées sur des sources littéraires (Booth et al., 2007; Gabbay et Le May, 2004; Tsaï, 2005). La CdeP est alors perçue comme une formule à valoriser pour unir les deux registres de connaissances explicites et tacites, relier l’approche de gestion des connaissances basées sur l’évidence et l’approche basée sur l’expérience, fusionner les guidelines et les mindlines (Fung-Kee-Fung et al., 2008; Gabbay et Le May, 2004; Li et al., 2009a).

Il va sans dire que la culture et la structure organisationnelles souples des communautés de pratique paraît en mesure de s’arrimer aux paramètres d’un système adaptatif complexe, générant une capacité d’adaptation cliniquement féconde en cas de situations inusitées et incertaines. Ainsi, à l’intérieur même des CdeP, les interactions requises entre les intervenants capables d’auto-organisation, c’est-à-dire de structurer leur action collective à travers le partage et la co-constuction de connaissances, peuvent permettre la co-évolution de leur système d’activité (individuel et collectif) et de leur environnement de soins. De plus, du fait que les CdeP permettent l’intégration de différents profils professionnels centrés sur un patient commun, rattachés à des domaines diversifiés (bio-psycho-social), elles favorisant la rencontre des expertises médicales et sociales. Ainsi, les CdeP paraissent capables de s’adapter à la complexité et de favoriser une véritable collaboration interprofessionnelle dans un environnement ouvert, débordant le monde médical, tenant compte de la réalité du patient, des

ressources communautaires et des politiques ambiantes, tel que le valorise le modèle de prise en charge des maldies chronique (CCM)et les modèles qui en découlent (le ICCM et le CCM- E).

1.3 DE L’INTÉRÊT DE MIEUX SAISIR LE DÉVELOPPEMENT D’UNE PRATIQUE COLLABORATIVE FAVORABLE AU PARTAGE ET À LA CO- CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES AU SEIN DE COMMUNAUTÉS DE PRATIQUE

Le Réseau de recherche en santé des populations du Québec (2007)14, dont l’un des objectifs vise le partage et l’utilisation des connaissances auprès et par les différents acteurs du réseau de la santé (décideurs, intervenants et population), insiste sur l’importance du contexte propice au partage des connaissances et sur la méconnaissance qu’on en a. Qui plus est, la même instance gouvernementale estime que la recherche devrait approfondir les enjeux relationnels qui constituent une dimension fondamentale du partage des connaissances.

De plus, considérant la complexité des maladies chroniques, la littérature sur le sujet nous amène à envisager un mode de collaboration interprofessionnelle favorisant le partage des connaissances que requiert une pratique de soins évolutive, capable de répondre efficacement à l’incertitude inhérente à la chronicité. Dans cette perspective, à l’instar du Réseau de recherche en santé des populations du Québec, nous nous interrogeons sur l’arrimage entre la collaboration et le partage des connaissances. Enfin, compte tenu que la collaboration interprofessionnelle escomptée n’est pas implantée dans nos systèmes de soins actuels qui sont davantage axés sur la spécialisation et la fragmentation conséquente des soins, les CdeP nous apparaissent un mode de collaboration interprofessionnelle adapté au partage et à la co- construction de connaissances.