• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II – CADRE CONCEPTUEL

2.3 La collaboration inhérente aux communautés de pratique centrées sur le patient atteint

2.3.1 L’opérationnalisation de la notion de collaboration sur un

Henri et Lundgren-Cayrol (2001), Lin et Beyerlein (2006) ainsi que Mendes et al. (2008) notent que, dans les écrits, les notions de collaboration et de coopération sont souvent utilisées indifféremment. Dans l’intention de bien circonscrire et de bien opérationnaliser la notion de collaboration, certains la positionnent sur un continuum de notions s’en rapprochant, lesquelles sont différentes selon les auteurs : coopération et collaboration (Henri et Lundgren- Cayrol, 2001), toleration23, coordination et coopération (Kinnaman et Bleich, 2004), coordination, coopération et collaboration (Davoli et Fine, 2004; Lin et Beyerlein, 2006). Nous nous appuyons sur ces auteurs ainsi que sur D’Amour et al. (2005) afin d’opérationnaliser la collaboration dans l’optique comparative des notions qui s’en rapprochent. Pour ce faire, nous nous pencherons principalement sur les variables d’opérationnalisation dégagées par les auteurs.

S’appuyant sur une revue de littérature qu’ils ont menée sur la notion de collaboration, D’Amour et al. (2005) constatent qu’outre la variété des définitions proposées, le concept de collaboration est communément défini à travers quatre variables interreliées : partage, partenariat, pouvoir (ou leadership) et interdépendance. Le tableau I montre comment ces variables d’opérationnalisation se rapprochent de celles identifiées par Henri et Lundgren- Cayrol (2001). Ces dernières offrent en outre l’intérêt de définir la collaboration concomitamment à la coopération et ce, en s’appuyant sur les quatre variables suivantes : maturité, contrôle et autonomie; but partagé; tâche; interdépendance.

Tableau I

Proximité des variables d’opérationnalisation de la notion de collaboration selon D’Amour et al. (2005) et Henri et Lundgren-Cayrol (2001)

Auteurs Variables d’opérationnalisation de la notion de collaboration

D’Amour et al.

(2005) Partage Partenariat

Pouvoir

(leadership) Interdépendance

Henri et Lundgren-

Cayrol (2001) But partagé

Tâche (menée en partenariat plus ou moins rapproché) Maturité, contrôle, autonomie Interdépendance

Concernant le registre de coopération et de collaboration, les variables identifiées par D’Amour et al. (2005) ainsi que par Henri et Lundgren-Cayrol (2001) nous paraissent appropriées à leur opérationnalisation que nous résumons ici. Tout d’abord, mentionnons que ces deux formes de mise en commun sont marquées par un but partagé entre les personnes impliquées (ce qui ne paraît pas requis dans le cadre des étapes préalables de toleration et de coordination identifiées par Kinnaman et Bleich (2004), comme nous le verrons un peu plus loin). Ainsi, aux yeux de D’Amour et al. (2005) et d’Henri et Lundgren-Cayrol (2001) :

La coopération se caractérise par :

 une démarche structurée et encadrée (ainsi adaptée à ceux qui sont moins autonomes, qui n’ont pas acquis beaucoup de maturité cognitive et qui ne possèdent pas encore un répertoire élaboré de stratégies d’apprentissage);

 une division des tâches et responsabilités;

 un leadership attribué au formateur ou au chef de groupe.

La collaboration se caractérise par :

 le partage des responsabilités, valeurs et prises de décision;

 la tâche qui n’est pas morcelée : chaque apprenant réalise l’ensemble des tâches;  l’association qui vise la mise en commun des idées et de multiples réalisations;  le soutien et l’appui mutuels valorisés;

 des rapports égalitaires, démocratiques;

 un pouvoir basé sur la connaissance et l’expérience et non pas sur la fonction professionnelle ou la position organisationnelle.

Soulignons qu’eu égard à la variable d’interdépendance, les positions de D’Amour et al. diffèrent de celles d’Henri et Lundgren-Cayrol. Aux yeux des premières, la division des tâches favorise l’interdépendance dans le cadre de la coopération, alors que pour D’Amour et al., l’interdépendance (davantage que l’autonomie) est attribuable à la collaboration générée par un désir commun de se pencher sur les besoins du patient. Selon ces auteurs, la complexité de la maladie favorise l’interdépendance des soignants. À l’instar de D’Amour et al., nous attribuons [une plus forte] interdépendance à la collaboration.

Quant à Kinnaman et Bleich (2004), ils identifient quatre niveaux de mises en commun : toleration, coordination, coopération et collaboration, lesquels se distribuent sur un continuum. L’apport de ces auteurs tient à leur référence à la théorie des systèmes adaptatifs complexes (SAC) de Stracey et sur le diagramme de Plsek (2000) qui s’en inspire. Ainsi, comme l’illustre la figure 8, l’originalité et l’intérêt de ces quatre niveaux de mise en commun tient à leur mise en perspective avec les niveaux d’accord et de certitude (des membres de l’équipe), plongeant la prise de décision dans un spectre de complexité allant du « chaos » qui stagne la prise de décision au « plan et contrôle » qui favorise la toleration et la coordination, en passant par une « zone de complexité » qui valorise la coopération et la collaboration.

Figure 8. Le modèle de prise de décision organisationnelle de Kinnaman et Bleich (2004).

Chaos

Zone of Complexity

Plan and Control

Certainty about control High High Low Low Professional Social Agreement About Outcomes Coo peration Coo peration Collabo ration Coordin ation Tole ration

Selon Kinnaman et Bleich (2004) les comportements de toleration se réduisent à des réponses automatiques associées à des prises de décision répondant à un haut niveau de certitude et à un haut niveau d’accord entre les personnes impliquées. Plus simplement, ces comportements de résolution de problème sont si routiniers qu’ils sont culturellement intégrés et ainsi justifiés : « c’est la façon dont les choses se font ici » et pas du tout remises en question. La toleration requiert une communication réduite car les personnes assument leur rôle machinalement sans effort de conscience, d’interaction ou d’engagement. Une expression parfois associées à ces comportements est : le jeu parallèle (traduction libre de parallel play) (Kinnaman et Bleich, 2004, p. 314).

Kinnaman et Bleich (2004) considèrent qu’en coordination, deux personnes ou plus fournissent individuellement des services et informent chaque collègue de leurs activités individuelles. Selon les auteurs, dans une structure de coordination, les interactions sont plutôt « institutionnalisées », à l’image du fonctionnement organisationnel. Ainsi, la coordination est appropriée lorsque la situation peut être anticipée (haute certitude/haut accord) et, comme la toleration, « la coordination s’intègre bien dans l’approche « plan et contrôle » d’un système de pensée mécanique » (Kinnaman et Bleich, 2004, p. 314).

Quant à la coopération, les auteurs estiment qu’elle est appropriée lorsque ni la certitude ni l’accord à propos d’un patient ne sont présents et/ou lorsque les retombées organisationnelles ne paraissent pas élevées. La coopération requiert donc une communication interpersonnelle continue relativement à des objectifs partagés. Les auteurs nous précisent que lorsque des personnes travaillent de manière coopérative, ils maintiennent leur identité individuelle professionnelle et ce, même lorsqu’ils vaquent à des objectifs communs. Le comportement coopératif permet la résolution de problème dans une « zone de complexité ». Enfin, selon Kinnaman et Bleich (2004, p. 315), des caractéristiques importantes permettent de distinguer la coopération de la toleration et de la coordination :

 l’incertitude ou le manque d’accord à propos de la meilleure action à déployer lorsqu’une situation émerge;

 le point de vue unique, l’expertise et le rôle de chaque personne impliquée dans une situation;

 la relation entre les personnes impliquées;  le contexte de l’interaction.

Finalement, ils estiment que la collaboration est « développementalement » plus élevée et plus complexe. Selon ces auteurs, l’interdépendance est une caractéristique cruciale qui différencie la collaboration des autres formes de mises en commun. L’interdépendance suspend l’identité professionnelle qui est artificiellement ou légalement attribuée et se centre sur les connaissances, tâches et compétences complémentaires dans chaque prise de décision des membres. L’événement qui déclenche le besoin de collaboration représente un problème dont le niveau de certitude et d’accord est de niveau faible à modéré eu égard aux retombées souhaitées des actions alors déployées. La collaboration se situe dans cette « zone » du modèle (figure 3) : « au bord du chaos » (Kinnaman et Bleich, 2004). De plus, toujours selon ces auteurs, la collaboration est marquée par l’apport de connaissances, une égale distribution du pouvoir et un focus sur les meilleurs résultats rencontrés, sans égard à la discipline impliquée, la hiérarchie et les frontières de l’organisation.

Dans l’optique de Kinnaman et Bleich (2004), il importe que les « leaders » de l’organisation créent une culture organisationnelle propice à la collaboration, favorisant des mécanismes de renforcement et de reconnaissance des réalisations cliniques et organisationnelles souhaitées. De leur côté, Lin et Beyerlein (2006) constatent que bien que les notions de coopération et de collaboration sont fréquemment utilisées de manière interchangeable, plusieurs auteurs ont tentés de les distinguer en mettant l’emphase sur des éléments constitutifs tels que : l’interactivité, la synchronisation (harmonisation), la négociation et l’entraide. Toutefois, selon eux, les distinctions entre ces trois notions sont très timides (pour ne pas dire floues) du fait qu’elles ne s’appuient pas sur un cadre cohérant ou sur une théorie. Afin de dépasser cette faiblesse, ces auteurs valorisent les communautés de pratique comme cadre de référence (wengerien) à l’analyse de la collaboration. Ainsi, selon ces auteurs, « si le prototype de la collaboration réside dans les CdeP, ses différences avec les concepts coordination et coopération peuvent reposer sur cinq dimensions » (Lin et Beyerlein, 2006, p. 65, traduction libre) :

 L’engagement dans la pratique et l’interaction sociale. La coordination requiert un faible engagement de ses membres et repose plutôt sur l’« alignement » à la structure organisationnelle qui gère l’interdépendance. Dans le cadre de la collaboration au contraire, les membres partagent la même pratique, sont mutuellement engagés et procèdent ensemble à la négociation de sens (de leur action).

 L’intérêt partagé. La coordination a comme objectif la résolution de problème, laquelle requiert surtout des compétences cognitives. De plus, avec un objectif étroit, en résolvant un problème, la coordination en crée souvent de nouveaux, ce qui rend le processus empreint d’aliénation, de frustration, de colère et de manque de sens. Au contraire, la collaboration amène les membres à se pencher de manière concrète (et pas seulement cognitive) sur les enjeux rencontrés et ils prennent plaisir à partager ce qu’ils font et à le rendre signifiant aux autres Ainsi, les membres peuvent donc se pencher sur un cadre qui va au-delà du problème et tenir compte de leurs considérations personnelles afin de développer une solution signifiante pour eux.

 Le niveau d’autonomie. La coordination met l’emphase sur les structures, les rôles et le contrôle. Les gens ne possèdent pas l’autonomie requise à la détermination des buts, de la division du travail, de la procédure et des retombées attendues. Une telle approche s’avère adéquate lorsqu’il s’agit d’un problème simple auquel une solution conventionnelle est appropriée. Au contraire, la collaboration valorise le processus (partagé), l’entraide et l’autonomie. Les membres décident donc ensemble de ce qui est à faire et comment le faire. La division du travail est donc négociée et demeure flexible.

 Le niveau de dynamisme. Du fait que la coordination est un processus linéaire et rationnel, elle convient bien lorsque le problème est sans gravité, que la complexité est faible, c’est-à-dire lorsque le dynamisme est peu interpelé. La collaboration, au contraire, s’avère plutôt non linéaire et la « non-rationalité » est légitimée par des phénomènes qui demandent à être étudiés. La collaboration compose donc avec des questions complexes à larges portées (implications).

 La temporalité. La coordination basée sur l’objectivité ignore le facteur « temps » car elle se déploie au besoin, pour ce qui est clairement défini. Au contraire, la collaboration est un

processus ouvert qui peut continuer hors des lieux de travail et se dérouler dans différents lieux et pays.

Davoli et Fine (2004) présentent le même continuum que Lin et Beyerlein (2006) : coordination, coopération et collaboration. Selon eux, la coordination correspond à l’administration des services et une mince interface est requise entre les professionnels car ils offrent les services séparément. Dans l’approche coopérative, les professionnels interagissent et travaillent de plus près, tout en maintenant leur autonomie. La troisième approche relève d’un processus de collaboration qui implique une structure formalisée où tous les professionnels participent à la résolution de problème et abordent les cas collectivement. De toute évidence, les auteurs valorisent la collaboration entre les professionnels mais leur exposé insiste sur le fait que « la collaboration n’est pas magique, qu’elle se cultive ». Ils font part de la difficulté que présentent les premières étapes (cruciales) de développement de la collaboration et du soutien requis au niveau des connaissances à offrir aux professionnels eu égard aux compétences relationnelles : habiletés de communication, esprit d’équipe, résolution de conflit et négociation.

D’ailleurs, la dénomination de chacune de ces étapes développementales de la collaboration par Davoli et Fine est révélatrice des difficultés interpersonnelles qui empreignent son amorce : « forming, storming, norming and performing »24. Ainsi, selon les auteurs, des éléments s’imposent comme variables auxquelles être attentifs si l’on veut que la collaboration émerge du groupe :

 L’identité professionnelle. Travailler avec des professionnels de d’autres domaines nécessite que chacun soit confortable dans son rôle et les buts qui lui sont associés. Un processus collaboratif réussi valorisera l’identité personnelle.

 Mutualité et respect. La hiérarchie professionnelle existe depuis longtemps, de manière évidente dans le domaine de la santé (médecins, infirmières, techniciens) et représente un obstacle majeur à la collaboration selon Davoli et Fine (2004). Pour que la collaboration advienne, les membres doivent individuellement se sentir au même pied d’égalité que les autres.

 Inclusion. Se rapprochant du respect et de la mutualité, l’inclusion est l’une des caractéristiques les plus importantes de la collaboration, selon Davoli et Fine (2004). L’inclusion réfère au fait que tous les niveaux de participation (plus ou moins actifs) doivent être reconnus des professionnels qui collaborent ensemble.

 Le « jargon » professionnel partagé. Chaque professionnel, selon sa spécialité, doit adapter son expression afin d’être compris de tous. Davoli et Fine (2004, p. 268) mentionnent : « When we continue to use this foreign language among those in other fields, we hinder communication ».

Davoli et Fine (2004) insistent sur le fait que des personnes responsables de faciliter la collaboration (facilitateurs) doivent élaborer des activités afin que ces quatre éléments déterminant la collaboration puissent être favorisés.

Conclusion

Pour terminer cette section, la figure 9 illustre le continuum de travail en commun qui comporte quatre étapes distinctes (toleration, coordination, coopération et collaboration) et qui rassemble de manière synthétique les déterminants du positionnement sur ce continuum ainsi que les concepts sous-jacents identifiés par les cinq groupes d’auteurs consultés. On constate que ces étapes sont déterminées par le niveau d’accord et de certitude entre les membres des équipes (Kinnaman et Bleich, 2004) de même que le niveau de contrôle du contexte de travail (contrôlé – planifié – institutionnalisé dirions-nous, complexe ou chaotique). De plus, cette figure montre comment chaque étape du continuum est déterminée par des variables dont l’affirmation mène à la collaboration. Nous pouvons constater que ces variables et les conceptions sous-jacentes identifiées par les différents auteurs consultés se rapportent grosso modo aux variables identifiées par D’Amour et al. (2005) et par Henri et Lundgren-Cayrol (2001) : but collectivement déterminé et partagé; tâches menées en partenariat (dépassant le morcellement); pouvoir (leadership) partagé, égalité (versus hiérarchie); maturité, contrôle et autonomie valorisés; interdépendance.

Niveau de certitude Niveau d’accord ÉLEVÉS Niveau de certitude Niveau d’accord FAIBLES CHAOS

«Toleration» Coordination Coopération Collaboration

ZONE DE COMPLEXITÉ CONTRÔLE

But collectivement déterminé et partagé :

Points de vue partagés (versus individualisés) - Contexte d’action propice à la mise en commun (irrationalité valorisée, contexte mécaniste et rationnel abandonné)

Tâches menées en partenariat (dépassant le morcellement) : Interaction sociale et engagement personnel développés - Dynamisme requis (versus individualisme et automatisme) - Répertoire (codes ou «jargon») partagé

Pouvoir (leadership) partagé – Égalité (versus hiérarchie) Maturité – contrôle – autonomie valorisés :

Reconnaissance des différents niveaux de participation - Identité professionnelle assumée mais sans besoin de l’affirmer

Interdépendance

Figure 9. Opérationnalisation du continuum de mise en commun : synthèse des déterminants identifiés par cinq groupes d’auteurs.

Cette synthèse de la conceptualisation de quatre groupes d’auteurs relativement au continuum de mise en commun apparaît intéressante du fait que les déterminants qui s’en dégagent permettent de positionner sur un continuum l’activité collaborative d’une CdeP en cours d’activité ou de projet. Comme nous l’avons mentionné, compte tenu que le registre de mise en commun est potentiellement confondant (coopération et collaboration notamment), nous trouvons là les repères conceptuels qui nous permettront de discriminer l’adéquation des formulations utilisées dans le cadre des expériences rapportées dans la littérature et qui composeront l’analyse que nous projetons.

2.4 LA COMMUNAUTÉ DE PRATIQUE COMME MODE DE COLLABORATION