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CHAPITRE II – CADRE CONCEPTUEL

2.1 Les communautés de pratique comme formule de collaboration interprofessionnelle

2.1.1 L’amorce de l’apprentissage individuel situé et socialement

Lave et Wenger (1991) situent l’apprentissage dans une (co)participation sociale. Selon J.A. Hanks, dans son introduction à cet ouvrage, les auteurs démontrent comment l’apprentissage situé relie l’apprentissage individuel et les situations sociales dans lesquelles il apparaît. En fait, plutôt que de restreindre l’apprentissage à l’acquisition de savoirs propositionnels et de se demander quels types de processus cognitifs et de structures conceptuelles sont impliqués, ils s’interrogent sur les engagements sociaux qui fournissent le contexte nécessaire au déploiement de l’apprentissage de l’individu. Ainsi, comme le note Hanks, l’apprenant n’acquiert pas un corpus discret de savoirs abstraits qu’il va transporter et répéter dans d’éventuels contextes, il acquiert plutôt l’habileté « d’accomplissement »15 en s’engageant dans le processus, dans des conditions de « participation périphérique légitime ». Ce concept, central dans cet ouvrage de Lave et Wenger (1991) (Cox, 2005; Li et al., 2009a; Roberts, 2006), connote un mode particulier d’engagement de l’apprenant qui participe à la pratique

15 Traduction libre de to perform.

(d’un expert), mais en assumant une implication et une responsabilité limitées face au produit ultime généré (Hanks, cité dans Lave et Wenger, 1991).

En fait, toujours selon Lave et Wenger (1991), la légitimité de participation définit le mode d’appartenance et n’est donc pas seulement une condition cruciale à l’apprentissage, mais un élément constitutif. Selon eux, « la participation centrale » correspond à un positionnement évident dans une communauté de pratique alors que peripherality (traduction libre, « périphérie ») suggère qu’il y a de multiples façons, plus ou moins engagées et intégrées, de se situer dans le champ de participation définit par une communauté. La participation périphérique est donc un positionnement dans le monde social.

Dans cette optique, les auteurs mettent en garde contre l’interprétation réductrice qui peut être attribuée à la participation périphérique versus une pleine participation. Ils insistent sur le caractère positif de ce concept dynamique de « périphérie » qui suggère plutôt l’ouverture, une façon d’accéder à des sources de compréhension à travers une implication en devenir, qui se développera au rythme de l’apprenant. Ainsi, ce qui apparaît intéressant dans cette conception, c’est que l’ambigüité inhérente à la participation périphérique est dépassée par la légitimité qui lui est conférée : la légitimité octroyée par l’organisation sociale concernée, qui attribue un plein potentiel analytique aux membres positionnés en périphérie.

Lave et Wenger (1991) associent quatre notions fondamentales à la participation périphérique légitime et à l’apprentissage situé : la situation d’apprentissage; l’accompagnement par des experts en guise de modèle; la co-participation et la communauté de pratique. Ils insistent sur comment ces éléments fournissent à l’apprentissage un cadre différent du cadre conventionnel de formation. Selon eux, l’intérêt de l’apprentissage situé à travers une participation périphérique légitimée en CdeP s’impose car il permet de passer du focus conventionnel sur l’individu comme apprenant, à l’apprentissage comme participation dans le monde social, de même que de passer de la centration sur le processus cognitif, à une vision plus englobante d’apprentissage ancré dans une pratique sociale.

Aux yeux de Cox (2005), Li et al. (2009a) et Roberts (2006), l’apport de Lave et Wenger s’inscrit dans la lignée de celui de Brown et Duguid (1991), qui font office de précurseurs. Par

exemple, selon Cox (2005), Brown et Duguid recourent au concept de CdeP pour décrire comment les travailleurs s’engagent (spontanément, de manière improvisée) dans des groupes informels à la fois sur les lieux mêmes du travail et hors du travail, pour le partage d’informations ainsi que pour développer de nouvelles solutions aux problèmes vécus par l’équipe de travail et reconnus par les instances officielles. Pour lui, cette conception des CdeP s’éloigne toutefois du focus de Lave et Wenger sur la transmission d’habiletés existantes et se centre plutôt sur la création de nouvelles connaissances.

Comme le résument Li et al. (2009a), Lave et Wenger (1991) estimaient donc qu’une bonne part de l’apprentissage des praticiens se réalise dans des relations sociales sur les lieux de travail plutôt qu’en classe, ce qui correspond au concept d’« apprentissage situé ». Selon eux, le thème central de ce premier livre est les relations entre novices et experts, et le processus à travers lequel les nouveaux venus développent une identité professionnelle. L’apprentissage survient surtout au cours de rassemblements informels, où les professionnels interagissent entre eux et partagent des histoires à propos de leurs expériences et où les novices consultent ouvertement et spontanément les experts. Dans le cadre d’un tel processus, les failles de la pratique sont identifiées et des solutions sont envisagées. Les interactions informelles deviennent alors le moyen pour les praticiens de bonifier leur pratique et de générer des nouvelles approches aux problèmes récurrents (Li et al., 2009a).

Toujours selon Li et al. (2009a), à cette étape conceptuelle de 1991, les CdeP sont vaguement définies comme des gens de la même discipline qui améliorent leurs habiletés en travaillant aux côtés d’experts et en étant impliqués dans des tâches de plus en plus complexes. Le parcours entre la position de nouveau venu et la position d’expert est bien reconnu dans le concept d’« apprentissage périphérique légitime », par lequel les nouveaux arrivants ont la possibilité d’apprendre en assumant d’abord des tâches simples. La maîtrise éventuelle des compétences permet de devenir expert, ce qui favorise un plus fort engagement dans la pratique (Lin et Beyerlein, 2006) et, subséquemment, d’assumer les responsabilités de mentorat auprès des nouveaux venus. Dans ce contexte, selon Li et al. (2009a) les CdeP peuvent être vues comme un système permettant aux gens de développer et de parfaire des tâches existantes plutôt que de créer de nouvelles façons de faire.

Selon Cox (2005), l’ouvrage de Lave et Wenger (1991) s’est avéré déterminant parce qu’il propose une nouvelle approche pour mieux comprendre l’apprentissage, notamment celui qui se développe au travail. Cette approche se centre sur les interactions sociales situées, informelles, plutôt que sur un processus mécaniste de transmission cognitive. Contrairement à Li et al. (2009a), il considère que de telles interactions authentiques stimulent l’apprentissage de ce qui se doit d’être connu et découvert eu égard aux complexités de la pratique réelle. De plus, selon l’auteur, l’apprentissage dépasse ici l’acquisition de connaissances car il contribue au changement d’identité. La participation périphérique qui s’inscrit dans la pratique est identifiée comme un élément déterminant dans le processus d’apprentissage.

Ainsi, comme le constate Roberts (2006), Lave et Wenger (1991) définissent les CdeP comme « un système de relations entre des personnes, des activités et le monde, système qui se développe dans le temps et parallèlement à d’autres communautés de pratique interreliées », eu égard aux connaissances impliquées. Selon lui, ainsi définies, les CdeP ne peuvent instantanément émerger depuis une recommandation extérieure. Certes, un gestionnaire peut créer une CdeP relativement à un projet particulier, mais ce n’est qu’à travers le temps que cette CdeP émergera réellement. Le gestionnaire pourrait plutôt favoriser l’émergence spontanée des CdeP, les soutenir dans leur développement, dépassant ainsi la pratique fragmentée de leur organisation (Roberts, 2006).

Enfin, comme l’illustre la figure 2, la thèse de Lave et Wenger (1991) insiste sur le pôle social de l’apprentissage individuel qui permet le développement de l’identité partagée, à travers notamment l’apprenticeship, c’est-à-dire le transfert des connaissances entre l’apprenti et l’expert, dans le contexte d’un apprentissage périphérique légitime, se déroulant en communauté de pratique.

Figure 2. Synthèse de l’apport conceptuel de Lave et Wenger (1991) de la notion d’apprentissage périphérique légitime en communauté de pratique.

2.1.2 L’apprentissage individuel situé et partagé dans une pratique collective réifiée