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II. Ontologie du risque

II.2. Les caractéristiques du risque

II.2.1. Le couple aléa/enjeu

Si l’on s’intéresse aux risques majeurs

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, on pourra voir émerger les notions d’aléa et d’enjeu. Cela

est en particulier notable pour l’étude des risques naturels et des risques industriels. Certaines

disciplines telles que la géographie, qui s’intéressent particulièrement à ce type de risque, font un

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On prendra pour définition du risque majeur, celle donnée par le Ministère de l’aménagement du territoire et de

l’environnement (Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement et Ministère de l'équipement des

transports et du logement, 1997) : « Risque majeur : risque lié à un aléa d’origine naturelle ou anthropique dont les

effets prévisibles mettent en jeu un grand nombre de personnes, des dommages importants et dépassent les

capacités de réaction des instances directement concernées. »

grand usage de ces notions. Classiquement l’aléa est défini comme un événement possible qui peut

être un processus naturel, technologique, social ou économique (Verret, 2003).

Comme il est de coutume dans le domaine du risque, il existe pour ce même terme d’aléa, de

nombreuses autres définitions (Griot, Ayral et al., 2001). Par exemple, l’Institut des risques Majeurs

(IRMa) définit l’aléa comme la possibilité de l'apparition d'un phénomène résultant de facteurs ou de processus

qui échappent au moins en partie à l'homme (ibid.). Le Département des affaires humanitaires des Nations

Unis définit quant à lui l’aléa comme un événement menaçant ou la probabilité d'occurrence dans

une région et au cours d'une période donnée d'un phénomène pouvant engendrer des dommages.

Pour confirmer la difficulté de définition, nous pouvons mentionner une enquête menée par le

Cemagref en 1997 sur la façon dont les experts voyaient leur rôle auprès des collectivités et des

décideurs quant aux risques naturels et technologiques. Une question sur la perception de l’aléa a

été posée. Les conclusions sont les suivantes :

« Le terme d’aléa, en particulier, est manifestement très difficile à situer pour les praticiens entre le

phénomène physique et le risque : une partie des définitions que nous avons recueillies le tire vers la

notion de phénomène, l’autre vers celles de danger ou de dommage. Un nombre non négligeable de

réponses (4 sur 14) n’évoque aucunement l’idée de fréquence. Pour les autres, le terme aléa renvoie

parfois à l’idée d’imprévisibilité, ou à l’inverse (le plus souvent) à la possibilité d’un calcul statistique.

Prenant acte de ces difficultés sémantiques, l’un d’eux conclut : « le terme aléa est, en la matière,

horriblement hexagonal, technocratique, détestable et totalement incompréhensible. » (Decrop, 1997)

Le terme d’enjeu porte moins d’ambiguïté sémantique, Verret en donne la définition suivante :

« Les enjeux correspondent à des éléments ou des systèmes qui sont sous la menace d’aléas de natures

variées. Les enjeux sont des personnes, des biens, des équipements, l’environnement,… » (Verret,

2003)

Cela est cohérent avec la définition donnée par le Ministère de l’aménagement du territoire et de

l’environnement :

« Enjeux : personnes, biens, activités, moyens patrimoine, etc. susceptibles d’être affectés par un

phénomène naturel. » (Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement et Ministère de

l'équipement des transports et du logement, 1997)

Souvent la notion d’enjeux est associée à celle de vulnérabilité. La vulnérabilité peut être

définie comme le niveau de conséquences prévisibles d’un aléa sur les enjeux (Verret, 2003). C’est une

notion qui est particulièrement répandue pour les risques naturels. On peut évaluer a priori la

vulnérabilité d’un bien vis-à-vis d’un aléa (par exemple l’aléa sismique).

En posant ces définitions d’aléa et d’enjeux, il devient alors possible de poser une nouvelle

définition du risque. On peut, en effet, définir le risque comme la confrontation d’aléas avec des

enjeux (Lebraty, 1967) (Figure 4) ou le produit d’aléas avec des vulnérabilités (Veyret, Beucher et

al., 2004).

Figure 4 : Illustration du couple Aléa/Enjeu

En reprenant cette idée nous pouvons définir nous-mêmes le risque dans notre optique en

donnant la définition suivante :

Le risque est la modélisation d’une situation, dont l’occurrence est incertaine, due à la

confrontation d’aléas avec des enjeux.

Il nous faudra pourtant prendre deux postulats. D’une part, nous définirons l’aléa de la façon

la plus neutre possible (événement possible qui peut être un processus naturel, technologique, social

ou économique). D’autre part, pour nous, les enjeux ne seront pas des objets physiques mais des

choses auxquelles on prête une valeur.

II.2.2. Conséquences et probabilités

Les conséquences et les probabilités sont les caractéristiques principales du risque. Si le concept de

conséquences est généralement bien compris par les gens (notion assez commune), il n’en reste pas

moins complexe. Tout d’abord, il est souvent difficile de bien saisir toutes les conséquences d’un

risque, tant celles-ci peuvent être nombreuses et variées. On se limite généralement aux plus

évidentes, oubliant les effets indirects. Considérons par exemple, le risque d’incendie dans un

immeuble de bureau. Les conséquences à considérer sont non seulement humaines (mort, blessés…)

et matérielles (mobiliers détruits, bâtiment à rénover…), mais aussi informationnelles (données

perdues dans les ordinateurs endommagés) et fonctionnelles (arrêt de l’activité). De plus si le

bâtiment ne respectait pas la réglementation incendie, on peut ajouter des conséquences juridiques

(amende, prison…) et l’atteinte à l’image de l’entreprise. Mais le problème des conséquences

dépasse le simple cadre de la connaissance. Du fait même de la variété des conséquences et comme

celle-ci ne sont pas réductible à une seule valeur (monétaire par exemple), nous nous trouvons dans

un contexte multicritère. Or, cela induit forcément de la subjectivité, car chacun aura sa propre

perception de l’importance des critères les uns par rapport aux autres.

Le problème est encore plus profond que ça. Car même lorsque l’on ne considère qu’un seul

domaine (par exemple économique), il y a déjà des différences de perception des conséquences.

Bernoulli (Bernouilli, 1738) fut le premier à exposer une théorie (qui sera formalisée plus tard par

Van Neumann et Morgenstern (Morgenstern et Von Neumann, 1944)) prenant en compte non plus

les conséquences directes des risques, mais leur utilité. Cette théorie est née du constat (maintes fois

démontré depuis) que les gens n’avaient pas une perception neutre des conséquences. Nous pouvons

ici citer quelques résultats sur l’utilité des conséquences :

• L’utilité n’est pas linéaire (500 000€ n’a pas une utilité deux fois supérieure à 250 000€)

• Plus une personne est riche, moins sera valorisé un accroissement de sa fortune.

• Il n’y a pas de symétrie entre gains et pertes (l’utilité d’un gain 1000€ n’est pas l’opposé de

l’utilité de perte de 1000€)

Ce qui rend encore plus délicat la considération de toutes les conséquences est leur diversité

temporelle. Certaines conséquences sont immédiates, d’autres interviennent à long terme. On peut

aussi avoir des conséquences ponctuelles et d’autres s’étalant sur une longue plage de temps

(maladie par exemple). La perception des conséquences à court et long terme est très différente. De

façon générale, plus le délai est important, plus les conséquences sont minorées (de nombreuses

études en psychologie sociale viennent démontrer cela, par exemple (Roelofsma, 1996)). On

s’attache moins à des conséquences devant se produire dans un futur lointain et forcément un peu

flou que celles se produisant tout de suite.

Appréhender les conséquences pose ainsi problème. Mais, la notion de probabilité est

encore plus complexe à saisir. En dehors des modèles purement mathématiques (et encore, les

mathématiques sont une forme de modélisation et donc subjectives), se pose la question de la

perception des probabilités. Partons de l’hypothèse d’un simple jeu de roulette : on pourra définir

des probabilités objectives qui vont correspondre aux tirages, pour peu que l’on fasse suffisamment

de tirages pour entrer dans le cadre de la loi des grands nombres, et que l’on considère la roulette

comme parfaite (ce qui n’est rigoureusement jamais le cas). Dans ce cadre, on pourra évaluer

mathématiquement les probabilités et vérifier par l’expérience les résultats obtenus. En revanche, si

l’on veut estimer le risque d’un événement dont toutes les lois d’occurrence ne sont pas clairement

définies (ce qui est le cas le plus fréquent, et notamment dans le cadre de la gestion de patrimoine)

alors il devient impossible d’émettre des probabilités objectives. Des calculs approchés ou des

estimations pertinentes pourront être réalisés, mais on restera dans l’interprétation. En plus, si le

phénomène n’est pas reproductible suffisamment de fois dans des conditions similaires, aucune

vérification ne pourra être faite. Les probabilités liées aux risques doivent donc être considérées

comme des probabilités subjectives. Cela est d’autant plus important que la perception même de ces

probabilités est intimement liée à l’individu. L’humain n’est en rien un penseur rationnel. Sa

perception des probabilités est déformée (les travaux de Tversky et Kahneman (Tversky et

Kahneman, 1974 ; Tversky et Kahneman, 1981) sont assez explicites en ce sens). Le concept même

de probabilité est un principe qui peut échapper à l’intuition humaine (voir le célèbre paradoxe de

Monty Hall

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). L’idée n’est pas ici de s’affranchir de cette notion de probabilité. Elle est une

dimension essentielle de la gestion des risques. Il faut simplement avoir conscience des difficultés

que son utilisation représente.

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Le paradoxe de Monty Hall, est un célèbre problème probabiliste (Selvin, 1975). Son énoncé est très simple, mais sa

solution très contre-intuitive va généralement à l’encontre des réponses émises par les personnes interrogées.