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Les bases de l’auto-assemblage

Chapitre 1 : État de l’art

III) Auto-assemblage

1) Les bases de l’auto-assemblage

Importantes, essentielles, primordiales et de natures différentes, ainsi sont les forces qui permettent d’avoir un édifice qui dépasse l’échelle atomique. Selon les entités mises en jeu, il y a en effet des interactions de forces et natures différentes. Une simple molécule diatomique est composée de deux atomes liés par une liaison forte qui peut être covalente (dioxygène) ou io-nique (NaCl). On parle de liaisons fortes principalement pour des interactions intramoléculaires car il faut un phénomène extérieur (chauffage, agitation, rayonnement,…) pour briser la liaison. Dans le cas des assemblages d’édifices moléculaires et de nanoparticules, ce sont des interac-tions de plus faibles intensités qui sont mises en jeu. Il y a les interacinterac-tions de van der Waals, la liaison hydrogène et la liaison π-π10,125–128.

a) Les interactions de van der Waals

Les forces de van der Waals s’exercent sur de faibles distances et permettent d’expliquer différents phénomènes physico-chimiques comme le comportement des gaz comparé au gaz par-faits, ou encore la différence de température de fusion entre des solides et la solubilité dans un solvant notamment. Il existe trois contributions à cette force : l’effet de Keesom, l’effet d’induction de Debye et l’effet de London126,129.

Le premier rend compte des interactions entre deux dipôles permanents, donc entre deux molécules polaires. Les deux molécules séparées d’une faible distance tendent à s’aligner, à l’image de deux aimants proches l’un de l’autre. Cependant, ce comportement est difficilement observé à température ambiante à cause de l’agitation thermique. Dans le cas des auto-assemblages, cette force est bloquée à cause du mouvement restreint des molécules. La force de Debye résulte d’une interaction entre deux objets dont l’un est polaire et l’autre est apo-laire. Le second objet voit son nuage électronique déformé à cause du champ électrique induit par la molécule polaire. On a ainsi un dipôle induit. Enfin le dernier effet est celui qui contribue

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le plus aux forces de van der Waals. C’est une force qui a lieu lorsqu’il y a une interaction entre un dipôle instantané et un dipôle induit ou bien entre deux dipôles instantanés. Un dipôle ins-tantané est issu de la répartition non homogène des électrons d’une molécule apolaire. À chaque instant, il y a un mouvement des électrons qui va induire un dipôle, mais le moment glo-bal de la molécule reste toujours nul. Il existe alors une force qui lie faiblement une molécule apolaire à une autre : c’est une force omniprésente qui permet notamment d’assurer une at-traction de molécules apolaires. L’ensemble de ces forces joue aussi un rôle déterminant dans l’auto-assemblage moléculaire. Elles permettent d’expliquer notamment l’interdigitation entre chaînes alkyles, mais aussi l’obtention des monocouches auto-assemblées (appelée Self-Assembled Monolayer ou SAM dans la littérature)130,131.

b) Les liaisons directionnelles

La liaison hydrogène se fait par la mise en commun d’un atome d’hydrogène et d’un dou-blet non liant d’un atome électronégatif (Figure 1-22). On a alors une interaction attractive. L’oxygène, l’azote et les halogènes sont les atomes qui participent le plus souvent à ce type de liaison. Beaucoup de systèmes biologiques (ADN, protéine, récepteur gustatif,…) fonctionnent sur la base de cette liaison. Elle a aussi la particularité d’être directionnelle, i.e. il est possible de prévoir le sens et l’orientation de la liaison et donc des molécules.

Les liaisons π-π mettent en jeu, quant à elles, des interactions attractives entre des molé-cules π-conjuguées, i.e. qui possèdent des enchainements alternant liaison double et/ou grou-pement aromatique avec une liaison simple (Figure 1-22). La force de cette interaction π-π est dépendante du nombre d’électrons π mis en jeu : plus il y a d’électrons π, plus cette interaction sera intense et dont l’énergie associé sera petite. La formation de cristaux liquides colonnaires à base de molécules π-conjuguées est justement rendue possible par cette interaction132. Il est difficile de « briser » cette liaison, surtout quand elle est formée par des cycles aromatiques.

Ces différentes interactions permettent d’observer des phénomènes physico-chimiques im-portants, notamment pour l’auto-assemblage sur substrat. Par exemple, le fait de déposer une molécule « coûte de l’énergie » et est appelée énergie d’adsorption. Si l’affinité entre la molé-cule et le substrat est faible, l’énergie d’adsorption est faible et on a une physisorption. Ce sont des forces de types van der Waals qui sont mises en jeu. Dans le cas contraire, il est possible d’avoir une chimisorption : une liaison très forte se forme entre la molécule et le substrat. Il a été montré, dans le cas de la physisorption, que le système le plus stable est celui où l’énergie d’adsorption par unité de surface est la plus petite possible131. Ainsi, une partie de l’énergie d’adsorption sert au déplacement et/ou rotation de molécules pour trouver la position et l’orientation optimale (Figure 1-22). Mais surtout, dans le cas des auto-assemblages, il faut que les molécules s’orientent entre elles sur le substrat de telle sorte à recouvrir la plus grande sur-face possible. Différents paramètres influent sur la manière dont les molécules recouvrent la surface. Cela a une incidence directe sur l’auto-assemblage. Dans le cas de l’interface liquide-solide, plus il y a de molécules sur une surface, plus la probabilité d’avoir un réseau dit « com-pact », où les molécules maximisent leur taux de recouvrement sur la surface, sera grande. Les différents paramètres seront détaillés notamment dans le Chapitre 5.

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Figure 1-22 : Schéma représentant les différentes liaisons faibles possibles (liaison hydrogène, liaisons π) et les énergies d’adsorption (EAds), l’énergie de rotation (ER) et de déplacement (ED).

En pointillé : les positions initiales avant les deux mouvements cités.

Différentes interactions peuvent avoir lieu et avec des intensités plus ou moins impor-tantes. En revanche, pour se rendre compte de ces interactions, il est nécessaire d’avoir un sup-port. Sans ce dernier, nous ne verrions pas les phénomènes d’adsorption par exemple. Ici, nous nous concentrerons principalement sur les substrats carbonés, tels que le carbone amorphe (très présent pour les grilles de MET) et le graphite.

c) Les substrats de l’auto-assemblage

L’un des acteurs de l’auto-assemblage de molécules ou de nanoparticules est le substrat. Il en existe plusieurs dont les principaux sont le graphite, appelé aussi HOPG (Highly Oriented Py-rolytic Graphite), l’or (111), le silicium, le disulfure de molybdène et le ruthénium. Durant la thèse, le graphite et le carbone amorphe ont été les substrats les plus utilisés. Nous allons voir plus en détail leurs spécificités.

Le graphite est composé de feuillets de carbone hybridé sp2 (graphène) qui forment un ré-seau hexagonal dont les caractéristiques sont données en Figure 1-23. Chaque atome est lié de manière covalente à 3 autres carbones (sp2). De plus, certains électrons sont impliqués dans des liaisons π. Cela induit une forte mobilité des électrons, ce qui explique sa bonne conductivité et donc son utilisation en Microscopie à Effet Tunnel (appelé par la suite STM pour Scanning Tunne-ling Microscopy, cf. Annexes).

Figure 1-23 : Réseau du graphite (A) représenté schématiquement et (B) observé en STM en er-reur signal (I = 1 nA ; V = 0,1 V)10.

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Les différents feuillets de graphène sont empilés les uns sur les autres grâce aux interac-tions de Van der Waals. Mais il y a un décalage entre chaque feuillet d’une distance valant a/√3, a valant 0,246 nm. Cette caractéristique fait du graphite un matériau possédant des propriétés physiques anisotropes. L’un des avantages de cette structuration est la possibilité de séparer les feuillets de graphène par clivage. Cela a un aspect pratique dans la mesure où il est possible d’utiliser le même substrat plusieurs fois de suite en le clivant avant chaque expérience menée. C’est un avantage qui n’est cependant pas présent pour d’autres substrats tels que le ruthénium ou l’or, qui sont au passage bien plus chers également que le graphite.

L’une des caractéristiques du graphite est qu’il présente beaucoup de défauts différents. On retrouve notamment les défauts liés à l’empilement des feuillets. L’une des causes est que le clivage d’un échantillon n’est jamais parfait. Une monocouche n’est jamais retirée seule, ce qui fait que l’on a des marches de graphite et des joints de grains. C’est un défaut assez classique mais qui n’est pas très gênant dans notre cas. En effet qu’il y ait des marches ou non, la nature de la surface est sensiblement identique. Un autre défaut bien connu, le Moiré, est cependant plus trompeur car ce défaut peut être confondu avec un assemblage de nano-objets conduc-teurs, comme des nanoparticules métalliques par exemple133.

Ce dernier consiste en une rotation de quelques degrés du feuillet inférieur B par rapport au feuillet du dessus A. Superposé, il y a formation d’un réseau hexagonal régulier où les atomes du feuillet A et du feuillet B sont l’un en dessous de l’autre (Figure 1-24). La densité d’état lo-cale sera alors plus grande car il y aura un alignement des orbitales π. Sur les images STM pré-sentées en Figure 1-24-B, C et D, le contraste est fonction de la densité d’état locale. Plus elle est importante, plus cette densité apparaitra brillante. Donc, dans le cas d’un Moiré, la superpo-sition d’atomes de carbones sp2 apparaitra brillante sur une image STM. En revanche, les zones sombres sont celles ne comportant pas de superposition d’atomes de carbone. Nous voyons alors apparaître en STM un réseau hexagonal (Figure 1-24). La particularité de ce défaut est qu’il ap-parait très souvent sur une seule marche de graphite134,135. C’est ce que nous pouvons voir sur la Figure 1-24-B, C et D. C’est l’une des seules manières de vérifier qu’il y a un Moiré. D’autres types de défauts existent et ont été bien explicités dans la littérature134 mais ne seront pas dé-taillés ici.

Figure 1-24 : Schéma de deux feuillets de graphène d’orientations différentes (A) qui empilés forme une autre structure hexagonale; images STM à (B) faible (500 nm x 500 nm), (C) moyen (180 x 180 nm) et (D) fort grossissement (60 nm x 60 nm) d’un Moiré (I = 286 pA ; V = -648 mV).

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Comparé au HOPG, le carbone amorphe possède une structure différente136–140. Il est com-posé de carbones hybridés sp2 (comme le graphite) et sp3. Aucun ordre à longue distance n’est observé, expliquant alors pourquoi ce substrat est amorphe. Aussi, les propriétés électroniques entre ces deux substrats diffèrent. La conductivité est moins grande dans le cas du carbone amorphe que celui du graphite. Encore une fois, cela vient de la présence des carbones sp3 et donc de la diminution de l’ordre positionnel à longue distance. Bien qu’il semble moins intéres-sant d’un point de vue des propriétés cristallines et électroniques, le carbone amorphe reste cependant utilisé et étudié pour l’auto-assemblage de nano-objets. Pour différents types de na-noparticules, il a été observé des auto-assemblages sur carbone amorphe2,8,141,142.

Nous avons discuté des possibles interactions inter-molécules et des interactions molé-cules-substrat qui sont des éléments à prendre en compte pour décrire et parfois prédire un auto-assemblage. Mais il reste d’autres paramètres très importants dont nous n’avons pas encore parlé. Le plus important d’entre eux est la méthode de dépôt. Anodine et souvent simpliste à première vue, elle est l’une des forces motrices capable de contrôler le type d’auto-assemblage qui sera in fine observé. Ces méthodes de dépôt sont variées car différents paramètres sont à prendre en compte (le substrat, la concentration, la technique de caractérisation employée pour caractériser l’assemblage, le solvant, la température, la vitesse du dépôt,…). Nous pouvons citer les plus courantes, à savoir le drop casting143, le spin coating144,145, le dip coating146, le flow-casting147, mais aussi l’auto-assemblage convectif148,149 ou la technique Langmuir-Blodgett150.

L’auto-assemblage est un phénomène qui nécessite aussi un contrôle des caractéristiques des objets étudiés. Dans le cas des nanoparticules, il est notamment important de contrôler la polydispersité en tailles, paramètre qu’il ne faut pas négliger pour l’enregistrement magnétique et dont la justification sera présentée à travers le paragraphe suivant.