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Effet couronne

Chapitre 5 : Assemblages dirigés

II) Utilisation des TSB pour l’assemblage dirigé de nanoparticules

2) Effet couronne

a) Principe de l’expérience

Afin de former un assemblage, nous avons recherché un moyen de forcer la traversée de cette multicouche. L’idée est d’induire une force suffisante pour diriger les nanoparticules vers la surface au travers des couches moléculaires successives. Parmi les forces susceptibles d’être utilisées figurent des interactions de contact, magnétiques et électriques. Les interactions par contact nécessiteraient l’introduction d’autres nano-objets ce qui semble difficilement conce-vable. Les forces magnétiques seraient applicables sur des objets pouvant présenter une aiman-tation tels que le cobalt, mais ce n’est pas le cas du platine. Restent les forces électriques. Il a été décrit dans la littérature une manière d’induire le mouvement d’objets polaires, polarisables ou chargés via des champs électriques intenses. Une manière de réaliser de tels champs sur des couches minces ou ultraminces est basée sur l’effet couronne, appelé aussi effet corona307–310.

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L’effet couronne est un phénomène physique où une pointe portée à un fort potentiel électrique produit une ionisation d’un fluide environnant307–310. Si la tension appliquée est posi-tive, des cations sont formés et inversement, si la tension est négative ce sont des anions. Si une couche isolante est placée entre la pointe et la contre-électrode, alors les ions formés se dépla-ceront le long des lignes de champs créées, pour se déposer à la surface de l’isolant créant un champ électrique intense à l’intérieur de celui-ci. Ce phénomène a notamment déjà été utilisé pour orienter des molécules organiques polaires ou polarisables dans des couches de polymères pour des applications en optique non-linéaire (« corona poling »)310.

Pour utiliser cet effet et pour contrôler le positionnement des nanoparticules dans les pores, nous avons utilisé un montage élaboré par l’équipe du Dr Charra pour des applications de « corona poling ». Les éléments nécessaires pour ce montage sont une pointe métallique, un générateur de tension ajustable (0-10 kV), un support conducteur et un substrat de travail éga-lement conducteur (ici le graphite). Une pointe métallique fixe reliée au générateur de tension est séparé d’une distance d’environ 1,5 cm du support sur lequel est posé le substrat. Après avoir déposé 10 µL d’une solution à 10-5 mol.L-1 de TSB-3,5-C12, nous avons ajouté 10 minutes plus tard 10 µL d’une solution à 10-4 mol.L-1 (concentration atomique) de nanoparticules de pla-tine (Figure 5-20). Ce temps d’attente est sensé nous assurer que les molécules sont adsorbées et s’auto-assemblent pour former une matrice nanoporeuse. Pour les deux solutions, le solvant était le phenyloctane. Dès que la solution de nanoparticules est déposée, la tension est portée progressivement à 5 kV en une dizaine de secondes. Elle est maintenue durant 5 minutes, puis arrêtée progressivement. Après cela, l’échantillon est tout de suite caractérisé par STM.

Figure 5-20 : Schéma du montage de l’expérience corona.

L’idée initiale était que certains des ions formés transfèrent leurs charges aux particules métalliques, ces dernières, chargées à leur tour, étant alors dirigées vers la surface de graphite, au potentiel électrique opposé (Figure 5-21). Les interactions électriques provoquées seraient suffisantes pour passer au travers de la multicouche.

Cependant un phénomène physique non anticipé s’est produit durant cette expérience. Lorsque la tension est portée à 5 kV, la forme de la goutte évolue pendant l’expérience. Initia-lement, la goutte recouvre la totalité du substrat avec un angle de contact faible correspondant à un bon coefficient de mouillage (Figure 5-22-A). Dès que la tension est augmentée à 5 kV, le solvant se creuse sous la pointe et est repoussé vers les bords du substrat (Figure 5-22-B). Ce phénomène s’accentue de plus en plus avec le temps. De plus, en reproduisant la même expé-rience et à une tension de 10 kV, le solvant est repoussé plus rapidement vers les rebords du graphite. Les mêmes phénomènes se produisent avec le solvant seul. Aussi, après ces

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riences, le solvant reste toujours près des rebords. Seul un film nanométrique est présent au centre de l’échantillon.

Figure 5-21 : Schéma du montage de l’expérience corona avec des lignes de champs induite par la génération de la tension.

Figure 5-22 : Schéma du phénomène de répulsion du solvant vers les rebords du substrat (A) avant et (B) après l’application de la tension à 5 kV.

Ce phénomène peut s’interpréter par des forces électrostatiques. En effet, comme dans le cas du « corona poling », les ions se déposent sur la surface de l’isolant. Mais ici, ce dernier est liquide. Les forces électrostatiques que subissent les charges accumulées à sa surface induisent une compression du solvant qui se retrouve alors repoussé vers les rebords du substrat. Cette compression peut être estimée en calculant la force appliquée sur la surface de l’échantillon. Un volume de 10 µL est déposé sur une surface de 1 cm2. L’épaisseur de la solution est donc de 100 µm. Sur cette même épaisseur, le champ qui résulte est donc de 5 × 107 V.m-1. Il en découle alors une densité de charge surfacique σ proche de 5 × 10-4 C.m-2. La force surfacique, qui est le produit de la densité surfacique et du champ électrique, est donc de 2,5 × 104 N.m-2, soit une pression de 2,5 × 104 Pa. Cette forte pression, qui est du même ordre de grandeur que la pres-sion atmosphérique, justifie alors la comprespres-sion observée.

Afin de valider ce constat, nous avons reproduit les mêmes expériences en remplaçant le phenyloctane par de l’eau ou de l’éthanol. Dans les mêmes conditions que précédemment (5 kV pendant 5 minutes ou 10 kV pendant 5 minutes), la goutte n’évolue pas dans le temps. La faible conductivité intrinsèque de ces liquides auto-ionisés est suffisante pour évacuer la charge de surface, ce qui explique pourquoi le solvant ne se retrouve pas repoussé vers les rebords. En

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évacuant le surplus de solution, ce phénomène peut s’avérer positif pour le dépôt de nanoparti-cules.

Comme nous l’avons précisé plus haut, après l’expérience couronne une caractérisation a été faite par STM.

b) Caractérisation des dépôts

Après avoir réalisé cette expérience, une fine couche liquide est toujours présente. La vi-sualisation en STM se fait alors quasiment à l’interface liquide-solide. Après quelques balayages de la pointe, nous avons pu observer le réseau moléculaire de TSB-3,5-C12 (semblable à la Figure 5-23-A). Nous pouvons voir que le réseau possède plusieurs domaines. Ceci est dû au fait que le dépôt des molécules a été réalisé à température ambiante, formant ainsi des réseaux compacts et poreux, l’objectif étant de vérifier où les nanoparticules se positionnaient préférentielle-ment. Au fur et à mesure des balayages, nous avons vu apparaître des nano-objets placés dans les pores du tamis moléculaire (Figure 5-23-B).

Figure 5-23 : Images STM (A) du tamis moléculaire formé par les TSB-3,5-C12 (70 × 70 nm2; I = 25 pA et Véch = -2000 mV) et (B) après l’expérience corona (100 × 100 nm2; I = 28 pA et Véch = -1227

mV); (C) profil du tamis moléculaire avec (trait bleu) et sans nanoparticules (trait rouge). Le profil obtenu montre que la hauteur de ces objets est de l’ordre de 2 Å, mais aussi que la hauteur des molécules est d’environ 0,5 Å (Figure 5-23-C). Au contraire de l’AFM, la hauteur apparente mesurée en STM dépend de la densité locale d’états au niveau de Fermi10,137 et ne représente donc pas directement une hauteur réelle. Il a d’ailleurs été montré que pour des na-noparticules d’or observées en STM, la hauteur mesurée pouvait être dix fois inférieure à la hau-teur réelle171. Cependant, nous trouvons des valeurs différentes de celles mesurées après une expérience par sédimentation. Dans ces expériences-là, la hauteur mesurée était bien plus

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proche des valeurs théoriques, soit environ 2 nm pour les nanoparticules et 3,5 Å pour les molé-cules de TSB-3,5-C12 (Figure 5-24).

Figure 5-24 : Images (A) STM de TSB-3,5-C12 et de nanoparticules de Pt-C18NH2 déposé par sédi-mentation sur HOPG (140 × 140 nm2; I = 19 pA et Véch = -1571 mV) et (B) zoom sur la zone

entou-rée de l’image A. (C) Profil du tamis (trait rouge) et des nanoparticules piégées (trait bleu) cor-respondant à la figure B.

Cela semble indiquer qu’après l’expérience corona, les propriétés de conduction élec-trique du système, telles que mesurées par le STM, sont altérées. L’implantation d’espèces io-niques pourrait être à l’origine de ce changement.

Afin de confirmer la présence de nanoparticules, nous avons effectué une caractérisation par AFM (Bruker modèle 3100) sur le même échantillon (Figure 5-25-A et Figure 5-25-B). Contrai-rement au cas du STM, la résolution latérale de l’AFM est insuffisante pour discerner des parti-cules individuelles. On observe cependant des îlots de plusieurs dizaines de nanomètres. Nous avons une résolution sub-nanométrique sur la hauteur de ces ilôts. La hauteur mesurée est uni-forme sur un îlot et d’environ 5 nm quel que soit l’îlot choisi (Figure 5-25-C). Ceci est proche de la taille des nanoparticules en considérant le cœur métallique et l’oleylamine (environ 4,4 nm) posées sur une monocouche de molécules de TSB-3,5-C12 où la hauteur est d’environ 3,7 Å.

Figure 5-25 : Images AFM (A) en topographie (fréquence) et (B) en pertes (phase) d’un échantil-lon de nanoparticules de Pt-C18NH2 déposées via l’expérience corona. En (C), le profil en hauteur

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De plus, les images indiquent un changement de phase, et donc de coefficient de friction de la pointe sur l’échantillon, entre la surface et les îlots observés. Cela indique un changement de la nature du matériau311, compatible avec le passage du tamis moléculaire au niveau bas à la couche d’agent stabilisant au niveau haut. Cette interprétation a été confirmée par une contre-expérience qui consistait à refaire la même contre-expérience mais sans nanoparticules. Dans ces con-ditions, aucun îlot n’a été observé et le tamis moléculaire était observable.

Durant les balayages, nous avons été surpris d’observer l’apparition et la disparition de ces nano-objets durant plusieurs scans successifs (Figure 5-26). Au vu de ce phénomène, nous avons supposé qu’il y avait une diffusion des nanoparticules vers le solvant et/ou de pores à pores à température ambiante. Pour que cela puisse se faire, il faut que les énergies d’adsorption soient assez faibles pour voir une désorption puis une ré-adsorption ailleurs. Les énergies d’adsorption et de barrière de diffusion du platine sur graphène ont été calculées par la théorie de la densité fonctionnelle. Il a été montré que l’énergie de barrière de diffusion était plus faible que l’énergie d’adsorption (environ 0,2 eV contre 1,5 eV273). Cela indique que les nanoparticules peuvent diffuser tout en restant confinées en surface. Il a aussi été montré que les interactions entre le platine et le graphène sont très faibles312,313 devant kBT, ce qui est compatible avec une diffusion brownienne des nanoparticules de platine à température ambiante. Ce phénomène a aussi été vu pour le piégeage de coronène dans les TSB-3,5-C1210,11. Dans ce dernier cas, il est en revanche difficile de préciser le mécanisme de cette diffusion.

Figure 5-26 : Succession d’images STM (100 × 100 nm2; I = 28 pA et Véch = -1227 mV) de nanopar-ticules de Pt-C18NH2 observées à l’interface liquide-solide.

Étonnamment, le taux de remplissage ne dépasse pas les 10 %. Il n’a pas été possible de tester de plus fortes concentrations en solution car il était alors impossible de réguler correcte-ment le courant tunnel en agissant sur la hauteur de la pointe et ce, même après application d’impulsions de tension de -2,5 V à -4 V.

Bien que cette technique soit plus reproductible que la méthode par sédimentation, la présence du solvant est une contrainte commune. Même si ces méthodes donnaient un taux de reproductibilité et de remplissage des pores satisfaisants, il resterait difficile d’exploiter ce sys-tème pour l’enregistrement magnétique. Il est en revanche plus facile d’avoir un support ma-gnétique solide et donc statique. Nous avons alors travaillé sur le dépôt des molécules de TSB-3,5-C12 et l’observation à sec de ses molécules ainsi que l’ajout des nanoparticules.

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