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L'accroissement du nombre de partenaires d’une protéine doit souvent s’accompagner d’une multiplication des ses interfaces d’interaction. En réponse à ce besoin, l’évolution semble avoir favorisé une organisation oligomérique des protéines aux dépens d’une augmentation de la taille des protéines. Dans une excellente revue de littérature, Goodsell (Goodsell and Olson, 2000) énumère les arguments théoriques et thermodynamiques ayant pu favoriser le développement d’une organisation quaternaire des protéines au détriment de leur augmentation de taille.

Éléments défavorables à l’augmentation de la taille des protéines

L’augmentation de la surface de solvatation.

Thermodynamiquement, la fenêtre de variation de taille compatible avec une

stabilité structurale des protéines semble limitée par l’augmentation de la surface de contact de la protéine avec le solvant pour deux raisons : elle favorise l’hydrolyse et induit une augmentation proportionnelle du volume hydratée de la protéine, défavorable en terme entropique (Bryant, 1996). L’augmentation de la surface de contact d’un dimère de protéine est ainsi deux fois moindre que celle correspondant à un doublement de la taille de cette même protéine.

Le degré de fidélité de la machinerie de traduction

L’incorporation de codons erronés ou terminateurs au moment de la transcription a été évaluée chez les procaryotes à une fréquence d’environ 5/104 ou 3/104 par codon, respectivement. Globalement ceci signifie que pour une protéine de 500 acides aminés, une protéine sur quatre présentera une erreur de séquence et une protéine sur 7 sera incomplète. En comparaison, toutes les protéines de 2000 acides aminés risquent de présenter au moins une erreur d’incorporation et leur traduction sera très souvent incomplète (Goodsell and Olson, 2000). De manière générale, les mutations ponctuelles n’altèrent que rarement la structure d’une protéine (Campbell- Valois F-X, 2005), néanmoins le récepteur V2 de la vasopressine (V2R) illustre particulièrement bien les effets néfastes que peuvent avoir de multiples mutations ponctuelles sur la fonction d’une protéine (Kim et al., 1998; Kim and Arvan, 1998;

Morello et al., 2000). A l’échelle évolutive l’augmentation moyenne de la taille des protéines pourrait ainsi s’en trouver limitée.

Éléments favorisant une organisation quaternaire des protéines

La stabilité structurale des oligomères

La majorité des protéines oligomériques solubles ou membranaires, comme les GPCR, présentent une organisation symétrique ou quasi symétrique (Goodsell and Olson, 2000). Comme le rappelle Goodsell, en dehors des qualités purement esthétiques des complexes symétriques, plusieurs biophysiciens ont mis en évidence certains des avantages associés à de tels assemblages. Cornish-Bowden et Koshland démontrent théoriquement que l’état d’énergie le plus stable d’un complexe oligomérique correspond à un arrangement symétrique (Cornish-Bowden and Koshland, Jr., 1971). Dans le même sens, Wolynes propose que l’oligomérisation symétrique diminue l’état de transition du repliement de chacune des sous unités (Wolynes, 1996). En limitant de facto le nombre de sous unités, la symétrie centrale des oligomères diminue l’incorporation de sous unités extranuméraires et de ce fait les phénomènes d’agrégation incontrôlée (Goodsell and Olson, 2000).

L’oligomérisation facilite le processus évolutif de sélection

Dès 1965, Monod propose un avantage évolutif à l’oligomérisation symétrique et plus particulièrement à la dimérisation (Monod et al., 1965).

« Dimeric interfaces are easier to create by mutations of existing monomers

than are interfaces in complexes of higher symmetry where the probability of non productive pairing are necessarily higher….. Because of the inherent cooperativity of their structure, symmetrical oligomers should constitute particularly sensitive targets for molecular evolution, allowing much stronger selective pressures to operate in the random pursuit of functionally adequate structures. »

L’évolution de la structure d’une protéine résulte de l’action de pression de sélection thermodynamiques et fonctionnelles. Si cet équilibre aboutit fréquemment à une organisation quaternaire symétrique, la pression évolutive associée à la fonction d’une protéine peut s’avérer supérieure aux contingences structurales et mener au développement de structures asymétriques. Certaines protéines vont ainsi présenter

plusieurs axes de symétrie, voire une asymétrie comme dans le cas de la transcriptase inverse de HIV-1.

Les effets de la concentration moléculaire ou « molecular crowding »

Le paradigme prévalant actuellement à l’analyse des données biochimiques et biophysiques a mené à une compréhension relativement fidèle des propriétés chimiques et biophysiques des macromolécules au cours des dernières décennies, et repose sur différents prédicats : 1) le volume de réaction est infini, 2) la solution est diluée, 3) la concentration du substrat est très supérieure à celle de l’enzyme (ou encore celle du ligand par rapport à la concentration du récepteur), 4) la solution est précisément définie, 5) la solution est homogène (Luby-Phelps, 2000). Un nombre croissant d’études montrent que la réalité cellulaire échappe néanmoins aux conditions idéales du paradigme actuellement en vigueur par de nombreux aspects : 1) Le volume cellulaire est fini, 2) la concentration moyenne des seules macromolécules protéiques est d’environ 350g/L, 3) le volume réactionnel réel est en conséquence très restreint, 4) la diffusion l’est également, 5) le milieu est hétérogène. Parmi les conséquences physiques des propriétés du cytosol (Tableau 2) (adéquatement représentées selon un modèle reposant sur les propriétés hydrodynamiques des particules solides (Hall and Minton, 2003)), l’une d’elle est l’augmentation du phénomène général d’agrégation des macromolécules. Que cette agrégation s’effectue au niveau d’interfaces structurées des protéines natives ou de zones hydrophobes révélées par la déstabilisation de ces mêmes protéines, elle repose dans tous les cas sur des interactions spécifiques. En ce sens, les conséquences du « molecular crowding » ne sont pas de créer de novo des interactions protéiques mais bien de les favoriser (Ellis, 2001). Concrètement, la constante d’équilibre entre les formes monomériques et dimériques d’une protéine de taille moyenne de 40kDa sera modifiée en faveur de la forme dimérique par un facteur de 8 à 40 (en fonction du volume spécifique de la protéine) quand son évaluation est réalisée dans un contexte cellulaire au lieu d’être réalisée dans des conditions in vitro.

Tableau 2. La cellule en chiffres.

Les informations contenues dans ce tableau sont largement inspirées de plusieurs excellentes revues de la littérature décrivant entre autres la réalité de la concentration moléculaire dans la cellule ainsi que ses conséquences fonctionnelles. (Bray and Duke, 2004; Ellis, 2001; Hall and Minton, 2003; Luby-Phelps, 2000)

Dans le cas d’une protéine capable de tétramériser, la constante d’équilibre entre sa forme tétramérique et sa forme monomérique sera par contre modifiée en faveur de la tétramérisation par un facteur de 103 à 105 (Ellis, 2001) dans des conditions mimant la concentration moléculaire atteinte dans un contexte cellulaire. La visualisation des éléments cytosquelettiques dans les cellules eucaryotes (Medalia et al., 2002) ou encore l’évaluation de la concentration de l’hémoglobine (350g/L) (Kim et al., 1998; Kim and Arvan, 1998) au sein des hématies laissent aisément imaginer que les conséquences du « molecular crowding » soient non seulement réelles mais influencent également le processus de multimérisation des protéines cellulaires au sein du cytosol. L’évaluation de la concentration membranaire de la rhodopsine dans les membranes de rétines de souris (68000 récepteurs/µm2) (Fotiadis et al., 2003) illustre par ailleurs dans quelle mesure la concentration moléculaire a aussi vraisemblablement un impact au sein de l’environnement membranaire.

Le rôle de l’oligomérisation : le cas des GPCR