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Historiquement, la formalisation mathématique du comportement d’un ligand vis à vis de son récepteur a été développée durant la première partie du XXème siècle par Clark AJ et a donné lieu à la théorie des récepteurs (Receptor theory ; Revue extensive à ce sujet par (Christopoulos and Kenakin, 2002; Kenakin, 2004)). Bien que le terme d’allostérie n’ait été employé une première fois qu’en 1961 (Christopoulos and Kenakin, 2002) lors d’études portant sur l’hémoglobine, le concept d’isomérisation conformationnelle d’un récepteur à l’issu de sa liaison à un ligand a été proposé dès les années 50. La structure oligomérique des récepteurs ioniques ayant été établie bien avant celle des GPCR, l’importance fonctionnelle de l’existence d’une isomérisation conformationnelle de ces récepteurs a été supportée par de nombreuses études (Armstrong et al., 2003). En dépis de la vision monomérique des GPCR, longtemps en vigueur, différentes publications ont également rapporté les effets allostériques d’un ligand ou d’une autre protéine sur la fonction d’un GPCR. L’un des exemples les mieux étudiés de la modulation des propriétés de liaison d’un ligand à un GPCR reste celui de la protéine G (De Lean et al., 1980) mais d’autres protéines ont également été impliquées dans un phénomène similaire : les protéines RAMP [Receptor activity modifying protein ; (Foord and Marshall, 1999; McLatchie et al., 1998)] et RCP [Receptor component protein ; (Evans et al., 2000; Luebke et al., 1996) dans le cas du récepteur CRLR, Homer (Ango et al., 2001) dans le cas du mGluR ou Calcyone (Lezcano et al., 2000) dans le cas du récepteur D1 dopaminergique, en sont des exemples. La description de l’effet allostérique d’un facteur X sensible au GTP sur les propriétés de liaison d’un ligand du récepteur β2AR a donné lieu à l’énoncé d’un modèle ternaire (De Lean et al., 1980) mettant en jeu trois partenaires, H, R et X (H étant le ligand ou l’hormone, R le récepteur et X le facteur sensible au GTP qui s’est bien évidemment avéré être la protéine G par la suite). Son extension a des modèles plus complexes (Modèle ternaire étendu, ETC

(Samama et al., 1993), modèle ternaire cubique, CTC, (Weiss et al., 1996) ou modèle probabiliste (Onaran and Costa, 1997) ; revue de l’ensemble de ces modèles par (Kenakin, 2004)) ont permis de rendre compte de comportement plus complexes des GPCR tel que l’activité constitutive ou la notion d’agoniste inverse.

Le modèle ternaire (Ternary Complex Model)

Les premières études de liaison mettant en compétition un antagoniste radiomarqué et différents agonistes du β2AR ont rapidement mis en évidence différentes populations du récepteur : une population présentant une haute affinité pour l’agoniste et une autre présentant une basse affinité pour ce dernier (Kent et al., 1980; Lefkowitz et al., 1976; Maguire et al., 1976). Le passage de la population de haute affinité vers une basse affinité dépend de la présence de Magnésium (Mg2+) et de GTP et s’avère associée à l’augmentation de l’activité catalytique de l’AC (un des effecteurs du β2AR) dépendante de l’agoniste (Stadel et al., 1980). Au contraire d’un modèle uni-moléculaire où le récepteur subit une isomérisation à l’issu de sa liaison au ligand, un modèle reposant sur une réaction bi-moléculaire entre le récepteur R et un composant membranaire X (la protéine G) permet de décrire plus adéquatement les propriétés de liaison ligand-récepteur (De Lean et al., 1980). La formulation mathématique de ce modèle ternaire est identique à celle de modèles préalablement proposés par De Haen, Boyenaems ou Jacobs (Références citées par (De Lean et al., 1980)) décrivant la théorie des récepteurs membranaires mobiles. Dans le cadre de tels modèles, à l’issu de sa liaison au ligand, le récepteur diffuse latéralement dans la membrane afin de rencontrer la protéine G pour laquelle il exhibe une affinité augmentée. La théorie du modèle ternaire de De Lean ne précise cependant pas si la rencontre du récepteur et de la protéine G est soumise à un événement aléatoire de type « collisionnel » ou si elle est, au contraire, circonscrite à des régions particulières de la membranes au sein desquelles récepteur et protéine G interagissent de manière plus ou moins stable (De Lean et al., 1980). La distinction pharmacologique entre un modèle où les différents partenaires, récepteur, protéine G, AC sont préalablement couplés (pre-coupled model) ou bien interagissent à l’issu de leur diffusion latérale

dans la membrane (collisional model) a fait l’objet de débats (Tolkovsky and Levitzki, 1978; Tolkovsky et al., 1982).

Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les données biochimiques produites au cours des trente dernières années suggèrent fortement que les différentes protéines d’une voie de signalisation soient le plus souvent circonscrites dans des zones particulières de la membrane ou microdomaines. La structure et l’intégrité de ces domaines reposerait à la fois sur les propriétés biophysiques des membranes et sur la capacité des protéines d’échafaudage à relier acteurs de la signalisation et réseau cytosquelettique. Qu’il s’agisse ou non d’une conséquence directe de cette compartimentation des membranes, nombres de données expérimentales suggèrent également que les protéines d’une même cascade de transduction s’organisent en complexes supramoléculaires ou signalosome (dans le cas des récepteurs, on parle aussi de réceptosome) très tôt à l’issu de leur synthèse (Rebois and Hebert, 2003). Ces observations semblent donc relativement incompatibles avec une vision collisionnelle du couplage moléculaire.

Modèle ternaire étendu et modèle cubique

L’avènement des techniques de clonage et l’utilisation de système de surexpression ont eu pour conséquence essentielle de permettre d’observer des phénomènes d’activité constitutive des récepteurs (Costa and Herz, 1989; Lefkowitz et al., 1993) ou encore de conceptualiser la notion d’agonisme inverse (Chidiac et al., 1994). En postulant que seul l’agoniste puisse mener à la formation d’un complexe ternaire, le modèle de De Lean ne permettait pas de décrire convenablement de telles situations. Ceci a donné lieu à la rationalisation d’un modèle étendu ou ETC (Samama et al., 1993) dans lequel le récepteur présente deux états, Ri ou Ra, en fonction de sa capacité à activer la protéine G (Fig 14). Chaque population arbore une affinité spécifique pour le ligand qui peut moduler en retour l’affinité du récepteur Ra pour la protéine G.

Figure 14. Modèle du complexe ternaire pour les GPCR.

A) Complexe ternaire étendu. Deux états différents du récepteur, inhibé (Ri) et actif (Ra) coexistent avec une constante d’équilibre allostérique L. La liaison de la protéine G à la forme active du récepteur Ra mène à la réponse physiologique. Le ligand A lie à chacune des formes du récepteur ainsi qu’à la forme Ra liée à la protéine G. La propensité du système à adopter spontanément une forme active est déterminée par L. L’affinité des ligands est donnée par la constante Ka et son efficacité par les deux termes a et g. a correspond à l’affinité du ligand pour la forme Ra du récepteur tandis que g correspond à l’affinité du complexe A/Ra pour la protéine G. (b) Représentation cubique du modèle du complexe ternaire. Les formes inactives du récepteur Ri et A/Ri peuvent dans ce cas interagir avec la protéine G sans pour autant conduire à un signal. b décrit l’affinité différentielle de la forme active du récepteur par rapport à sa forme inactive vis à vis de la protéine G (Kenakin, 2004).

a) Modèle du complexe ternaire étendu étendu

Thermodynamiquement, le récepteur sous sa forme Ri devrait néanmoins être théoriquement capable d’interagir avec la protéine G. La prise en compte d’une telle situation a mené au développement d’un modèle plus complexe, le modèle cubique dans lequel le ligand peut moduler la liaison du récepteur à la protéine G, que le récepteur soit dans une forme active ou inactive (Weiss et al., 1996). Ce dernier modèle permet d’expliquer comment un antagoniste ou un agoniste inverse supposé lier préférentiellement la forme inactive (Ri) du récepteur, permet d’induire la formation d’un tri-complexe (LRG inactif) (Kenakin, 2004).

Le modèle probabiliste

Les différents modèles décrits ci-dessus permettent une description détaillée de l’efficacité d’un ligand donné mais nécessitent un nombre fini de conformations dans l’espace thermodynamique correspondant à chaque récepteur (Kenakin, 2004). Chaque conformation se voit attribuer une capacité de lier et d’activer la protéine G. Une approche totalement différente reposant sur une vision probabiliste (Onaran and Costa, 1997) pourrait permettre de décrire le comportement du récepteur sans une définition précise de ses différents états conformationnels. Dans ce modèle, le récepteur présente une multitude d’états dans un espace thermodynamique donné qui, à l’état basal se distribue de manière caractéristique (Fig 15). La liaison du ligand, de la protéine G ou de tout autre molécule modulant la conformation du récepteur, les protéines Homer (Ango et al., 2001) ou Calcyone (Lezcano et al., 2000) par exemples, va moduler la distribution des fréquences de ses différents états conformationnels. Un tel modèle permet également d’envisager les conséquences allostériques de l’oligomérisation des GPCR qui pourraient se révéler fonctionnellement très importantes (Bouvier, 2001; Christopoulos and Kenakin, 2002; Kenakin, 2004).

Cette vision probabiliste rejoint l’hypothèse relativement ancienne que toute protéine existe sous une forme d’états ou de sous états conformationnels présentant une distribution continue et dynamique (Frauenfelder et al., 1988) dont un échantillon va présenter une affinité pour un ligand donné. Cette notion d’ensemble

conformationnel fait également référence aux théories pionnières d’energy landscape ou de funnel folding (Freire, 2000; Wolynes, 1996) qui placent l’allostérie au cœur du mécanisme de repliement des protéines (Kern and Zuiderweg, 2003).

Figure 15. Modèle probabiliste.

Ce modèle suppose qu’à l’état basal le récepteur présente un panel de conformations constituant un champ conformationnel spécifiques de l’état inactif du récepteur. L’ajout du ligand va en modifier les propriétés en modulant la distribution de ces différentes conformations (Kenakin, 2004).

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Quel que soit le type de modèle, ETC, CTC ou probabiliste, tous infèrent l’existence de différentes conformations du récepteur présentant une affinité différentielle vis à vis d’une variété de ligands (revue de littérature (Kenakin and Onaran, 2002)). Récemment, de plus en plus de données suggèrent l’existence d’un lien entre l’affinité d’un ligand, les champs conformationnels qu’il favorise et la nature des complexes protéiques associés à un récepteur (Azzi et al., 2003; Kohout et al., 2004; Martin et al., 2004; Rapacciuolo et al., 2003; Reversi et al., 2005; Rimoldi et al., 2003; Wei et al., 2003; Zamah et al., 2002). L’accès à la dynamique de ces champs conformationnels par l’intermédiaire des techniques de transfert de fluorescence (FRET ou BRET) inter ou intramoléculaire (Gales et al., 2005; Hoffmann et al., 2005) devrait permettre d’établir une corrélation de plus en plus solide entre les propriétés pharmacologique d’un ligand et la sous population spécifique de récepteur qu’il favorise. Ce type de données tendra certainement à un développement de médicaments de plus en plus spécifiques avec pour conséquence principale évidente d’en limiter les effets secondaires.