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Les avancées de la compréhension des maladies

La connaissance extensive des bases génétiques des maladies a conduit au développement croissant des diagnostics génétiques permettant une prise en charge précoce et codifiée des patients.

a. Le bouleversement de l’étude du déterminisme génétique des maladies Grâce au Next Generation Sequencing (NGS) et au développement de l’analyse bioinformatique, il est possible, depuis 2008, d’identifier à partir d’un nombre limité de patients, les bases génétiques des maladies en réalisant une analyse comparative d’exomes de patients présentant la même maladie mais appartenant à des familles différentes.

En effet, antérieurement à l’apparition du NGS, la recherche sur le déterminisme génétique avait, comme le rappelle Aviesan, distingué les maladies en deux classes : les maladies mendéliennes résultant d’altérations délétères d’un gène et les maladies multifactorielles résultant de la combinaison de facteurs environnementaux et de multiples variations génétiques présentes dans la population générale, qui augmenteraient le risque de maladies sans être ni nécessaires ni suffisantes.

Or, le NGS a permis une relecture de la complémentarité du déterminisme génétique des maladies. La découverte de l’étendue du polymorphisme (2), du

1) Contributions à la stratégie nationale de recherche, ITMO Génétique, génomique et bioinformatique, p. 2.

2) Le polymorphisme: variation entre individus dans la séquence des gènes.

nombre considérable de SNVs (single nucleotide variation - variation nucléotidique) privés (1) ont démontré que des maladies considérées comme monogéniques – telles les maladies dominantes à pénétrance incomplète – résultaient de la combinaison de quelques variations génétiques et avaient, en fait, un déterminisme oligogénique, c’est-à-dire dépendant de quelques gènes.

À l’inverse, des maladies initialement considérées comme multifactorielles et survenant de façon sporadique sont, en réalité, le résultat d’une mutation délétère survenue de novo (2).

De fait, selon Aviesan (3), de nombreuses maladies se caractérisent probablement par une très grande hétérogénéité génétique impliquant de nombreux variants individuellement rares, mais de fort impact.

Quoiqu’il en soit, l’identification des bases génétiques des maladies mendéliennes a été, au cours des vingt dernières années, une des plus grandes avancées médicales permettant la compréhension de la physiopathologie de ces maladies – en particulier grâce à la possibilité de créer des modèles animaux pertinents pour ces affections –, la mise au point de diagnostics moléculaires, le développement du diagnostic présymptomatique, le suivi médical et le traitement personnalisé des patients et de leurs familles.

En revanche, les études du déterminisme génétique des maladies multifactorielles sont l’objet d’appréciations contrastées. Ces études reposent sur une stratégie d’association pangénomique (GWAS) consistant à comparer deux groupes de sujets, malades (cas) et témoins, la fréquence des variations génétiques communes et à rechercher une ou des variations qui sont distribuées différemment entre ces deux groupes et à calculer pour les sujets présentant ces variations un risque relatif (odds ratio) de développer la maladie.

Tout en soulignant que ces études ont mobilisé des ressources considérables en termes de nombre d’individus et d’analyse bioinformatique, certains en critiquent les faiblesses. D’une part, ils font valoir les limites statistiques de ces études, qui tiennent au fait que les odds ratio sont, pour la plupart, faibles, de l’ordre de 1-2. D’autre part, ces études ont fait le plus souvent abstraction de l’impact des facteurs environnementaux, ce qui serait l’une des raisons pour lesquelles les GWAS ne sont pas parvenues à expliquer l’héritabilité manquante, Celle-ci correspond au fait que les données statistiques au sein d’une population ne permettent pas d’expliquer la part des facteurs génétiques dans les variations interindividuelles d’un caractère phénotype mesurable, comme la taille, par exemple. Sur ce point précisément, M. Vincent Colot – directeur de recherche à

1) SNVs privés : variants présents chez un seul individu ou dans une seule famille.

2) Mutation de novo : mutation du gène apparaissant chez un individu, alors qu’aucun des parents ne la possède dans son patrimoine génétique.

3) Contributions à la stratégie nationale de recherche, op. cit. p. 3.

l’Institut de biologie de l’École normale supérieure – a déclaré aux rapporteurs, lors de son audition, que la taille de l’individu avait été choisie en raison de sa forte héritabilité, ce qui aurait permis de démontrer que les GWAS fonctionnaient. Or, on a constaté que seulement 5 % des 80 % d’hérédité pouvait être expliqués par des variations des séquences de l’ADN. C’est pourquoi M. Colot a indiqué que l’épigénétique pourrait être l’une des composantes de l’hérédité manquante.

D’autres chercheurs ont formulé une appréciation plus nuancée des GWAS.

Certes, ils ont également émis des critiques à leur encontre, faisant notamment observer que des gènes répliqués dans la majorité des études n’ont pas permis d’identifier les origines génétiques causales liées aux pathologies examinées.

Pour autant, ils estiment que l’identification des gènes liés aux pathologies complexes déboucherait sur d’importantes perspectives. D’une part, ces nouvelles connaissances révèlent des mécanismes moléculaires, dont le rôle dans l’étiologie de ces maladies n’était pas établi, ce qui, dès lors, autoriserait l’exploration de nouvelles thérapies. D’autre part, les GWAS mettraient clairement en évidence la forte hétérogénéité de la majorité des entités nosologiques explorées. À terme, selon ces mêmes chercheurs, la définition de sous-groupes génétiquement et, donc, physiopathologiquement plus homogènes, devrait permettre une prise en charge thérapeutique différenciée et mieux ciblée, ainsi que la définition de facteurs pronostiques et prédictifs plus précis (1).

b. Le développement continu des thérapeutiques

Dans l’étude des rapporteurs précitée, ils avaient analysé la contribution de la thérapie génique et de la thérapie cellulaire au développement de la médecine de précision, objectif auquel, nous le verrons ultérieurement, concourt également l’épigénétique.

Ils renvoient à cette analyse (2), non sans avoir émis quelques observations.

 S’agissant de la thérapie génique, celle-ci consiste à insérer dans les cellules du malade une version normale d’un gène qui ne fonctionne pas et cause la maladie.

Citant les propos de la Pr Marina Cavazzana-Calvo (3), les rapporteurs ont indiqué que la thérapie génique restait une source d’espoir grandissante pour toutes les maladies génétiques, monogéniques et autosomiques récessives.

1) C. Libioulle et V. Bours, Les maladies complexes : l’importance de la génétique, Revue Médicale de Liège, 2012, 67(5-6).

2) A. Claeys et J. S. Vialatte, Les progrès de la génétique : vers une médecine de précision ?, rapport précité, pp. 30 à 38.

3) La Pr Marina Cavazzana-Calvo est coordinatrice du Centre d'investigation clinique en biothérapie, hôpital Necker-enfants malades, audition publique du 27 mars 2013.

La découverte du CRISPR-Cas9 – outil qui, selon un avis largement partagé, révolutionnerait la génétique – est susceptible d’accroître de tels espoirs et de contribuer aussi à de nouveaux progrès de la thérapie génique (1).

En s’inspirant d’un mécanisme de défense bactérien, des biologistes – dont la chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, directrice du Department of regulation in infection biology à l’Institut Max Planck – ont mis au point un outil pour modifier l’ADN de n’importe quelle cellule. Ainsi, chez les bactéries, chaque séquence CRISPR correspond à un fragment d’ADN bactérien entourant un fragment d’ADN invasif (viral ou plasmidique). Lorsqu’une séquence CRISPR est transcrite en ARN, celui-ci se lie à une enzyme endonucléase, la Cas9. L’ARN, qui contient une séquence transcrite d’ADN invasif, jour alors le rôle de guide. Si une séquence d’ADN invasif est apparentée à l’ARN guide, Cas9 le coupe. Dans l’outil développé par Emmanuelle Charpentier, l’ADN invasif est remplacé par un fragment d’ADN que l’on veut cibler. Toutefois, le mécanisme permettant l’accès à l’un des deux brins de l’ADN viral n’est pas encore élucidé. En attendant, le système s’avère néanmoins très efficace pour détecter facilement une séquence d’ADN donnée en vue de la découper avec précision.

Quoi qu’il en soit, le CRISPR-Cas9 est considéré comme un outil très performant du génie génétique, puisqu’on pourrait l’utiliser pour supprimer un gène et aussi découvrir sa fonction. De même, un gène néfaste ou déficient pourrait-il être éliminé. Il suffirait de fabriquer en laboratoire un « ARN guide » correspondant au gène que l’on souhaite cibler, puis de l’arrimer à une enzyme Cas9. Cette dernière découperait alors le gène. C’est précisément ce que Mme Emmanuelle Charpentier réussit à faire in vitro en 2012, en s’alliant avec sa consœur Jennifer Doudna, de l’université de Berkeley.

Plusieurs expériences intervenues au cours de ces trois dernières années illustrent l’efficacité de CRISPR-Cas9.

Ainsi, en janvier 2013, quatre équipes ont annoncé avoir réussi à détruire des gènes cibles dans des cellules humaines. Les applications vont alors se multiplier très rapidement pour parvenir à modifier des gènes d’organismes variés : bactéries, levures, riz, mouches nématodes, poissons-zèbres, rongeurs, etc.

En 2014, deux autres résultats ont été annoncés. Le premier concerne des primates. En février 2014, une équipe de l’université médicale de Nanjing, en Chine, a injecté cinq ARN guides conçus pour cibler simultanément cinq zones réparties sur trois gènes particuliers, ainsi que le matériel génétique nécessaire à la synthèse de Cas9. L’équipe a observé que chez huit embryons ainsi traités, CRISPR-Cas9 avait réussi à agir sur trois gènes cibles. Les chercheurs ont ensuite recommencé l’opération sur quatre-vingt-six autres embryons qu’ils ont transférés dans vingt-neuf femelles porteuses. Lorsque l’étude a été publiée, une seule femelle

1) Voir la note de bas de page n° 2, page 14 du présent rapport.

était arrivée à terme. Elle avait donné naissance à des jumeaux, chez lesquels CRISPR-Cas9 avait aussi agi simultanément sur deux des trois gènes.

Les chercheurs n’ont détecté aucune mutation sur le reste du génome, ce qui permettrait d’envisager l’utilisation de CRISPR-Cas9 pour corriger des cellules humaines malades en laboratoire, avant de les réimplanter aux patients.

Mais c’est surtout à la fin du mois de mars 2014 qu’une équipe de l’Institut de technologie du Massachussetts a concrétisé le potentiel médical de CRISPR-Cas9. Ces biologistes l’ont utilisé sur la souris pour corriger une maladie génétique incurable du foie, liée à une mauvaise dégradation de la tyrosine, un acide aminé, la tyrosinémie A des souris malades adultes. L’équipe a injecté trois ARN guides ciblant trois séquences d’ADN liées à la mutation, le gène de Cas9 et le gène sain.

Comme on le verra ultérieurement, CRISPR-Cas9 peut aussi être utilisé en épigénétique. Malgré le succès que le CRISPR-Cas9 pourrait connaître dans le domaine de la thérapie génique, les rapporteurs ont pu constater que les jugements sur l’efficacité de cette dernière semblaient partagés.

Certains, célébrant son vingt-cinquième anniversaire, font valoir que la plupart des essais de thérapie génique ont fait preuve, jusqu’ici, d’un haut niveau de sécurité et que cette thérapie est en voie de trouver sa place dans l’arsenal thérapeutique.

En revanche, d’autres, comme M. Vincent Colot et le Pr Andràs Paldi, ont fait part de leurs réserves.

En ce qui concerne M. Vincent Colot, il a estimé que, dans le cas du cancer, la thérapie génique lui paraissait jouer un rôle limité puisqu’il faudrait déceler le cancer pratiquement au stade initial et traiter la cellule dans laquelle la mutation a lieu. Or, il juge impossible de cibler toutes les cellules par la thérapie génique.

L’avantage des « bébés-bulles » (1) est que la thérapie était réalisée sur des cellules souches par définition peu nombreuses. Au demeurant, dans le cas des

« bébés-bulles », le gène a été intégré près d’un gène oncogène, ce qui a enclenché son activation et provoqué des cancers.

Pour sa part, le Pr Andràs Paldi a considéré que la difficulté de la thérapie génique à apporter les réponses promises tient au dysfonctionnement du « tout génétique ». L’apport d’un gène thérapeutique ne corrige pas nécessairement l’organisme. Il peut corriger les conséquences d’une maladie. Mais l’organisme reste, la plupart du temps, malade. Ainsi, une nouvelle situation apparaît, qui s’adapte à l’arrivée de ce gène a posteriori.

1) Les enfants-bulles (ou bébés-bulles pour les plus jeunes) ont des défenses immunitaires forcément affaiblies, voire inexistantes, si bien qu’ils doivent être placés dans une bulle pour leur protection.

Or, cet ajout a posteriori n’équivaut pas à la présence initiale d’un gène, ce qui peut d’ailleurs poser de nouveaux problèmes. C’est pourquoi, selon le Pr Andràs Paldi, les essais cliniques de thérapie génique ont largement échoué, les véritables succès ne représentant qu’un pourcentage peu élevé.

 Pour ce qui concerne, en second lieu, la thérapie cellulaire, les rapporteurs ont évoqué, dans leur étude précitée sur la médecine de précision, les potentialités qu’elle recelait. En effet, l’une d’entre elles a trait aux travaux effectués en 2006-2007 par le Pr Shinya Yamanaka sur les cellules souches pluripotentes induites (cellules IPS), qui ont déjà été évoquées précédemment.

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France du 3 décembre 2012, Mme Edith Heard, professeure titulaire de la chaire épigénétique et mémoire cellulaire et membre du conseil scientifique de l’OPECST, relève que cette reprogrammation forcée de cellules différenciées en cellules souches pluripotentes ouvre un fantastique potentiel thérapeutique – celui de la médecine régénérative.

Pour autant, Mme Heard observe que cette reprogrammation reste peu efficace car elle requiert de très nombreuses divisions cellulaires pour s’établir, le processus allant ainsi rarement jusqu’à son terme.

Quoi qu’il en soit, Mme Heard souligne que les travaux du Pr Yamanaka posent l’importante question de savoir comment le processus de différenciation cellulaire peut s’inverser, ce qui est l’une des interrogations majeures en épigénétique, en raison du fait que l’une des caractéristiques principales des marques épigénétiques est leur réversibilité.

Les travaux du Pr Yamanaka comme ceux d’autres chercheurs confirment donc bien que l’épigénétique s’inscrit dans l’évolution de la génétique, tout en introduisant une nouvelle approche du vivant. En d’autres termes encore, comme le fait remarque M. Timothy Spector, professeur d’épidémiologie génétique au King’s College de Londres, « L’âge du gène est loin d’avoir pris fin, il a simplement progressé dans l’âge de l’épigénétique » (1).

1) Timothy Spector, The age of epigenetics, Project Syndicate, 6 janvier 2013.