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L’épigénétique, interface entre les gènes et l’environnement

A. L’APPORT D’INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES SUR LA

2. L’épigénétique, interface entre les gènes et l’environnement

Waddington avait déjà souligné le rôle essentiel de l’environnement en considérant que les interactions des gènes avec l’environnement donnaient naissance au phénotype.

Pour autant, la notion d’environnement demeure imprécise, comme l’a fait observer le Pr Jean-Claude Ameisen (2): « Un mot sur l’environnement : le fait d’utiliser ce mot au singulier donne l’impression que la frontière entre l’intérieur et l’extérieur est un élément évident. Or, cela dépend très largement de ce qui intéresse l’observateur. L’environnement d’un gène est ainsi constitué par les autres gènes, l’ADN, les protéines qui les entourent dans le noyau.

L’environnement d’un noyau est le cytoplasme de la cellule et les mitochondries qu’elle contient. Celui d’une cellule est composé des dizaines de milliers de milliards de cellules qui composent notre corps. À l’intérieur de cet environnement, se trouvent les centaines de milliers de milliards de bactéries qui constituent le microbiote et ont une influence sur notre santé et le développement de maladies. Il existe aussi l’environnement extérieur : non vivant, vivant, humain. C’est l’ensemble de ces différentes composantes des environnements que l’épigénétique explore, puisqu’elle considère l’effet de l’histoire singulière de l’individu et de ses environnements sur la façon d’utiliser les gènes ».

Sous ces réserves, certains chercheurs tels que le Pr Michael Skinner, professeur à l’école des sciences biologiques de l’État de Washington, ont tenté d’établir une liste des facteurs environnementaux, laquelle peut notamment inclure

1) Sandrine Augui, Edith Heard et Cécile Klingler, Le chromosome X, maître du silence, La Recherche, avril 2005, p. 34.

2) Audition publique organisée par l’OPECST le 25 novembre 2015.

les agents environnementaux ou le stress (1). Le Pr Skinner, ajoutant toutefois que

« Tout facteur extérieur pouvant moduler le développement normal et l’épigénome peut être considéré comme un dérèglement environnemental qui impacte l’activité du génome sans altérer la séquence de l’ADN. »

Quoiqu’il en soit, les facteurs environnementaux influent sur les marques épigénétiques à travers leurs deux traits fondamentaux : la réversibilité et la transmissibilité.

a. La réversibilité des marques épigénétiques

Les mécanismes épigénétiques sont à la fois stables et instables, sur une échelle de temps courte. Car, pour chaque enzyme qui met en place une marque épigénétique, il existe une enzyme qui caractérise la réaction opposée, comme c’est le cas au cours du développement embryonnaire : certains gènes sont inactifs à un moment donné, puis ils sont activés et éventuellement inactivés de nouveau.

Cette notion de réversibilité est ce qui caractérise le plus intrinsèquement une modification épigénétique. Une telle propriété ouvre de grands espoirs de thérapie pour une restauration ciblée de profils de méthylation anormaux, notamment dans le cas du cancer, qui sera exposé ci-après. Mais il s’agit surtout d’une notion essentielle du développement. Cette flexibilité permet, en effet, le retour d’un état différencié à un état pluripotent et d’accomplir un cycle de vie, c’est-à-dire ce qui est appelé la reprogrammation épigénétique.

Toutefois, Mme Claudine Junien, membre correspondant de l’Académie de médecine, professeure de génétique et directrice de l’UMR INRA-CNRS Biologie et reproduction du développement, note que la réversibilité des modifications épigénétiques n’est pas toujours la règle. Mme Claudine Junien cite ainsi des travaux récents sur le diabète induit par une sous-nutrition gestationnelle, selon lesquels les marques épigénétiques peuvent devenir permanentes et irréversibles.

Par exemple, chez le rat, un retard de croissance intra-utérin déclenche des modifications épigénétiques des histones (désacétylation). Ce processus épigénétique se propage dans le temps. Il apparait néanmoins encore réversible chez le rat âgé de deux mois, tandis que chez le rat adulte, l’extension de la désacétylation entraîne la méthylation de l’ADN qui verrouille définitivement la modification épigénétique (2).

Pour autant, Mme Claudine Junien et un autre auteur soulignent que la grande révolution, intervenue au cours des dernières années est la découverte que ces marques épigénétiques peuvent être, à tout instant, perturbées par

1) Michael Skinner, Role of epigenetics in developmental biology and transgenerational inheritance, Birth Defects Res C embryo today, 2011, March.

2) Claudine Junien, L’épigénétique : les gènes et l’environnement, pour le meilleur et pour le pire, Édition Quœ, 2012.

l’environnement et qu’elles peuvent avoir des conséquences lointaines pour la santé, de la naissance à l’âge adulte (1).

Allant dans le même sens que Mme Claudine Junien, d’autres auteurs indiquent que, du fait de leur réversibilité, les marques épigénétiques peuvent être modifiées par les facteurs environnementaux, lesquels contribuent au développement de phénotypes anormaux ou à des réponses physiologiques normales à certains stimuli environnementaux (2).

Ainsi, ces auteurs étudient-ils le rôle que peut jouer l’alimentation dans ces différentes situations. Ils relèvent, par exemple, qu’une nutrition déficiente en méthyl peut causer le cancer du foie ainsi qu’une hypométhylation et une expression accrue des oncogènes.

De même, encore, font-ils observer que l’alimentation peut modifier la stabilité de l’expression des gènes en se fondant sur la couleur du pelage des souris.

En effet, parmi les nombreux gènes qui contribuent à cette couleur, l’un d’entre eux se nomme Agouti. Il existe plusieurs versions de ce gène Agouti, caractérisées par des couleurs de pelages différentes, du fait de la modification du niveau et du type de pigment de la fourrure.

La version du gène agouti la plus étudiée est connue sous le nom de

« agouti viable yellow » ou Avy.

Si le gène Avy présente peu ou pas de méthylation, il est alors actif dans toutes les cellules, et les souris sont jaunes. Ces souris jaunes présentent une susceptibilité à l’apparition de problèmes de santé, comme l’obésité, le diabète ou le cancer. Mais si Avy est hyperméthylé, son expression s’éteint dans tout le corps.

Cela implique que la souris présente une couleur brune et n’a aucun problème de santé, même si elle possède exactement le même gène agouti que les souris jaunes.

Entre ces deux extrêmes, Avy peut être méthylé à différents degrés, ce qui affecte le niveau d’activité du gène. Il en résulte un dégradé de souris tachetées, chez lesquelles l’activité d’Avy diffère même d’une cellule à une autre. Une même portée génétiquement identique varie en couleur selon ce spectre, en raison de variations épigénétiques établies dans l’utérus. De plus, indépendamment de la couleur du pelage, cela met en évidence les effets du régime alimentaire sur la méthylation.

Si le régime alimentaire peut affecter les marques épigénétiques, il intervient également dans la transmission des marques épigénétiques.

1) A. J. Scheen, C. Junien : Épigénétique, interface entre l’environnement et gènes : rôle dans les maladies complexes, Rev. Med Liège, 2012,67 (5-6).

2) Rudolf Jaenisch et Adrian Bird : Epigenetic regulation of gene expression: how the genome integrates intrinsic and environmental signals, nature genetics supplement, volume 33, mars 2003.

b. La transmission des marques épigénétiques

À chaque génération, les marques épigénétiques s’effacent et se remettent en place lors de la différenciation des gonades (1) et après la fécondation. Pour autant, cet effacement n’est pas absolu, une minorité de marques épigénétiques permettant d’expliquer la transmission non pas génétique mais épigénétique par la lignée germinale.

Il en est ainsi des profils de méthylation normaux ou pathologiques, qui sont transmis au travers des divisions cellulaires et même des générations.

On peut, en effet, distinguer deux modes de transmission non génétiques : somatique ou germinal. Ainsi, le stress et le régime alimentaire de la mère pourront-ils avoir différents types d’effets sur les cellules somatiques de l’embryon, du fœtus ou sur ses cellules germinales.

Si l’effet est uniquement somatique, le phénotype ne s’observe qu’à la première génération et varie à la deuxième génération.

En revanche, pour affirmer qu’il s’agit bien d’un effet transgénérationnel passant par la lignée germinale, il faut un effet sur trois générations au moins.

Ces effets transgénérationnels ont été observés jusqu’à la quatrième génération, notamment à la faveur d’expériences sur les rongeurs. Les exemples avérés sont toutefois peu nombreux.

Les modalités de ces effets transgénérationnels varient selon les espèces.

Chez les plantes, un cas bien connu d’épimutation (2) héréditaire est celui du variant pélorique de la linaire commune (ou « gueule de loup »), à l’origine décrit par Carl Von Linné au XVIIIe siècle sur une île au large de Stockholm et qui existe toujours dans la flore naturelle de cette région. Le défaut moléculaire est aujourd’hui connu et consiste en un gain de méthylation dans le gène Lcyc impliqué dans le contrôle de la symétrie florale. Aucune modification de la séquence d’ADN n’existe en l’occurrence.

Cette épimutation est donc extrêmement stable et a été transmise à un très grand nombre de générations de plantes.

M. Vincent Colot, se référant à ses travaux, a cité un autre exemple intéressant de transmission héréditaire de caractères complexes chez la plante. Dans une plante modèle – l’arabidopsis –, son équipe, associée à d’autres groupes de chercheurs, a apporté la preuve qu’il était possible de générer une variation

1) Les gonades ou organes génitaux sont les testicules chez l’homme et les ovaires chez la femme.

2) L’épimutation est un changement de caractéristiques d’un individu selon un mécanisme épigénétique et non pas exclusivement génétique.

épigénétique qui soit transmise de façon stable au travers de multiples générations, selon les lois de Mendel. M. Vincent Colot a fait observer que les variabilités étaient ici inscrites non pas dans la séquence d’ADN mais dans l’organisation de la chromatine.

Chez les animaux, des études font apparaître des effets transgénérationnels chez les mammifères, d’une part, et, d’autre part, chez la paramécie.

S’agissant des mammifères, un exemple de transmission transgénérationnelle a été décrit à travers le cas précédemment cité des souris porteuses du gène Agouti. Des chercheurs australiens ont remarqué que les femelles dont le pelage est de couleur jaune et atteintes d’obésité, donnaient naissance à plus de souriceaux jaunes devenant obèses à l’âge adulte que les femelles foncées. Par conséquent, la corrélation entre le phénotype de la mère et celui de sa descendance suggère que celui de la mère est transmis à ses petits.

Il en est ainsi non pas en raison d’une mutation génétique mais, comme on l’a vu précédemment, de l’état de méthylation génétique d’une petite séquence présente à proximité du gène responsable de la couleur. De fait, à l’état méthylé le gène ajouté étant réprimé, la couleur du pelage de la souris est brune, ce qui signifie qu’elle n’est pas obèse. À l’inverse, à l’état déméthylé, le gène sera actif et le pelage jaunira, indiquant alors un état d’obésité.

Certains autres travaux récents portant également sur les souris font état d’un mécanisme de transmission transgénérationnelle par l’odorat. Ainsi lorsqu’on conditionne une souris en associant une odeur à un choc électrique, cette souris devient plus sensible à l’odeur. Cette adaptation est associée à des modifications épigénétiques du récepteur à cette odeur. Or, on observe que les descendants de cette souris ont aussi cette sensibilité exacerbée à l’odeur, alors qu’ils n’ont pas été soumis aux chocs électriques.

Pour ce qui est de l’homme, des points de vue très différents ont été exposés.

Certains déclarent que, jusqu’à présent, il n’existe aucun cas prouvé chez l’homme de transmission de caractères acquis à la descendance. Car même si une anomalie de méthylation de l’ADN apparaissait comme héréditaire au sein d’une famille, encore faudrait-il séquencer le génome entier de l’individu et de ses apparentés pour prouver que cette épimutation revêt un caractère autonome et qu’il ne s’agit pas d’une mutation génétique qui a cette méthylation anormale pour effet (1).

1) Deborah Bourc’his, Les bases de l’épigénétique, Bulletin de l’Académie de médecine 2010, séance du 16 février 2010, p. 278.

En revanche, d’autres auteurs citent deux études qui tendraient à démontrer le rôle de l’hérédité épigénétique dans l’évolution des caractères et l’effet de l’environnement sur ce type d’hérédité.

La première étude, réalisée par des chercheurs suédois, concerne une recherche comparative sur l’incidence du diabète dans une population rurale isolée au nord de la Suède entre 1890 et 1935. Les chercheurs ont suivi trois générations successives, nées en 1890, 1905 et 1920, qui ont vécu dans leur enfance des périodes de bonnes et de mauvaises récoltes correspondant probablement à des périodes de nutrition riche ou pauvre en sucres lents. Ils ont observé que les bonnes récoltes survenues pendant la période pré-pubertaire des hommes correspondaient à un risque de développement d’un diabète de type 2 quatre fois plus élevé chez leurs petits-enfants. En revanche, une mauvaise récolte pendant la période pré-pubertaire des grands-parents n’avait pas d’incidence sur leurs petits-enfants. Bien qu’il s’agisse d’études statistiques ne détectant que des corrélations et que nous n’ayons pas la preuve formelle de l’implication des mécanismes épigénétiques, le Pr Andràs Paldi estime toutefois difficile d’écarter un lien de causalité entre la nutrition et la transmission épigénétique (1).

À propos de cette étude sur le cas suédois, une récente recherche fait observer que des échantillons biologiques n’étaient pas disponibles (au moins, exceptée la cohorte de 1935). Or, ces chercheurs estiment que la collecte de sang, ou d’échantillons de tissus est fréquemment considérée comme la prochaine étape pour compléter notre savoir sur les mécanismes transgénérationnels chez les humains. Car la découverte de mécanismes épigénétiques ou d’autres mécanismes dans les cellules peut en réalité faire avancer notre compréhension des relations étiologiques. Pour autant, les auteurs de cette étude considèrent que cela ne signifie pas que des études sur une grande population dépourvues d’informations sur le sang ou le tissu soient inutiles. Au contraire, les hypothèses épigénétiques qui prédisent qu’une exposition spécifique d’une génération peut déboucher sur des résultats spécifiques concernant la (ou les) génération(s) suivante(s) pourraient et devraient être testées dans des études populationnelles à large échelle, qui fournissent des informations sur ces expositions et ces résultats (2).

Le second exemple nous rapprocherait, selon le Pr Paldi, un peu plus d’une démonstration de l’effet transgénérationnel. Pendant la Seconde guerre mondiale, durant l’hiver 1944-1945, une famine a frappé les Pays-Bas. Parmi les habitants durement touchés, il y avait des femmes enceintes qui ont donné naissance à des enfants de petit poids (un phénomène connu et facilement compréhensible puisque le fœtus est nourri par l’organisme maternel). Mais quand, parmi ces enfants, les filles ont grandi et sont devenues mères à leur tour, elles ont également donné naissance à des bébés de petite taille, bien qu’elles n’aient elles-mêmes jamais subi

1) Andràs Paldi, L’hérédité sans gènes, ouvrage précité, op. cit., p. 174.

2) Markus Pembrey et al. Human transgenerational responses to early-life experience: potential impact on development, health and biomedical research, Journal of Medical Genetics, 2014.

de famine, en particulier au cours de leur grossesse. Récemment, une équipe de chercheurs américaine a réussi à démontrer que ce phénomène était également fondé sur des mécanismes épigénétiques.

Cette étude a ainsi suggéré que la déficience en protéines dans l’alimentation de la mère a contribué à la perte de méthylation de l’ADN du gène imprimé IGF2 (Insulin like growth factor 2).

Or, certains autres chercheurs estiment non seulement qu’il est difficile de démêler la cause et l’effet mais, en outre, ils font observer que la perte de méthylation à un âge avancé peut être la conséquence de certains changements physiologiques inconnus jusqu’à présent.

Malheureusement, ils constatent qu’il n’y a pas, dans cette étude, de document sur le profil de méthylation de l’ADN antérieurement au développement.

Enfin, ils considèrent qu’une étude de cohorte aurait été meilleure, puisque les épidémiologistes collectent maintenant des biospécimens de jumeaux monozygotes à la naissance (1).

Pour autant, l’étude sur la famine hollandaise n’en serait pas moins utile, ce que tendent à souligner deux observations. Selon la première, « les famines ont existé de tout temps, mais elles n’entraînent pas nécessairement plus tard une obésité, des troubles cardiovasculaires dans un environnement pléthorique chez les sujets qui avaient été touchés au cours de leur développement » (2).

D’après un deuxième chercheur, « cette étude a apporté un soutien décisif et des connaissances fondamentales au champ en expansion des origines développementales de la santé et des maladies », l’acronyme anglais de ce champ étant DOHaD.

Ce champ est, en effet, une composante de la nouvelle approche de l’étiologie de plusieurs maladies qu’a initiée l’épigénétique.

B. LE RENOUVELLEMENT DE L’ÉTIOLOGIE DE PLUSIEURS MALADIES