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L’adéquation de la recherche aux objectifs de la médecine des 4P

A. UNE SOURCE D’INSPIRATION POTENTIELLE DES POLITIQUES

1. L’adéquation de la recherche aux objectifs de la médecine des 4P

I. L’ÉPIGÉNÉTIQUE : UN INSTRUMENT SUSCEPTIBLE DE CONTRIBUER À

a. L’épigénétique, outil de la médecine prédictive

Caractérisant les biomarqueurs épigénétiques, une étude indique qu’ils sont constitués de deux composantes complémentaires :

- Un essai expérimental procure des mesures exactes des modifications épigénétiques dans un échantillon d’un patient donné ou un locus (c’est-à-dire un emplacement physique, précis et invariable sur un chromosome) ou à de nombreuses régions du génome ;

- une catégorie d’échantillons qui permettent de connaître les effets du biomarqueur grâce aux mesures de l’expérience, à savoir le sous-type de la maladie prédite ou le classement de la tumeur.

L’auteur de cette étude précise également qu’en complément du diagnostic précoce du développement des tumeurs, une seconde catégorie de biomarqueurs épigénétiques vise à fournir une base à la prise de décision clinique, une fois la tumeur identifiée. De tels biomarqueurs jouent un rôle dans le pronostic de l’optimisation de la thérapie, permettant d’aborder certaines questions cruciales : la tumeur peut-elle et devrait-elle être traitée ? Quel type de thérapie est approprié ? Quelle sera l’ampleur des effets secondaires et comment les réduire ?

C’est sur la base d’autres outils, que la DOHaD a proposé un nouveau pronostic des maladies chroniques. Comme rappelé précédemment, l’épidémiologiste britannique David Barker a indiqué que la sous-nutrition de la mère au cours du développement fœtal entraînait un faible poids de son enfant à la naissance et, dans le développement ultérieur, des risques associés d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires.

La focalisation de l’analyse de David Barker sur la nutrition et le faible poids à la naissance a joué un rôle dominant décisif dans la FOAD (Fetal origins of disease - origines fœtales des maladies) (1).

Ultérieurement, les chercheurs ont montré que le faible poids à la naissance était simplement une illustration rudimentaire de la nutrition fœtale et de l’environnement endocrinien et que les risques de différentes maladies pouvaient être élevés d’un bout à l’autre de l’éventail des poids à la naissance et au cours de l’enfance précoce.

Ainsi, dans le domaine de la nutrition, le champ de la DOHaD couvre-t-il non seulement les poids à la naissance extrêmement faibles et élevés, dans lesquels il peut y avoir des changements majeurs dans les poids et la psychologie des tissus, mais également des poids à la naissance dans la série normale, au sein de laquelle des changements fonctionnels subtils peuvent également avoir lieu dans les tissus.

1) Cette notation de FOAD a été remplacée, en 2002, par celle de DOHaD à la suite du vote de la FOHAD Society qui, pourtant, est également devenue DOHaD Society.

D’importantes recherches, s’inspirant de la démarche de la DOHaD, ont indiqué que, comme les effets de perturbations nutritionnelles survenant au cours du développement, il existe déjà des exemples dans lesquels les expositions aux agents chimiques de l’environnement au cours du développement peuvent entraîner des changements fonctionnels subtils pour le fœtus apparemment normal.

Ces changements interviennent dans des tissus spécifiques et suscitent une susceptibilité accrue à des maladies ainsi que des dysfonctions ultérieurement.

Enfin, le stress prénatal est un autre facteur environnemental qui est de plus en plus reconnu comme une cause de reprogrammation fœtale développementale, et qui a été associé à différentes maladies incluant les maladies cardio-vasculaires, telles que l’hypertension, l’insuffisance coronarienne, l’insuffisance cardiaque et les maladies métaboliques, ainsi que l’obésité et le diabète.

En second lieu, des études ont montré que le moment auquel intervenait le stress prénatal au cours de la grossesse était décisif dans la détermination des résultats qui lui sont associés.

Ainsi le stress gestationnel précoce est lié à l’insuffisance coronaire à l’âge adulte, celui de la mi–gestation à des maladies du rein et celui de la gestation tardive aux conséquences métaboliques.

b. L’épigénétique, outil de la médecine préventive

« Le concept de DOHaD, parce qu’il s’intéresse aux origines de pathologies observées chez l’adulte (en général chroniques) et ne se limite pas à une intervention à la période de la maladie déjà installée – ce qui limite les chances de succès de la combattre – offre des possibilités de prévention » (1).

Ces observations, qu’illustre parfaitement le rôle central joué par la prévention comporte d’importantes conséquences sur la pratique médicale. Ainsi l’usage de biomarqueurs précoces du risque de maladies peut-il fournir des indications sur les expositions environnementales. Quant à la trajectoire probable du risque, elle peut être utilisée pour prévenir la maladie.

Corrélativement, les médecins doivent concentrer leur attention sur la prévention précoce et non plus sur le risque de maladie à l’âge adulte ni, simplement, sur le traitement des adultes affectés par cette maladie.

La nutrition est un autre domaine, dans lequel l’épigénétique – qualifiée précisément par une étude de « nouveau pont entre la nutrition et la santé » – peut apporter un concours utile à la prévention.

1) Claudine Junien et al, Le nouveau paradigme de l'origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD), épigénétique, environnement : preuves et chaînon manquant, médecine/sciences, janvier 2016.

À cet égard, les auteurs d’une étude récente font observer que la nutrigénomique ne devrait pas être comprise comme une méthode de traitement par elle-même mais plutôt comme support d’autres approches thérapeutiques ou d’autres traitements appliqués à un usage préventif.

Cette étude cite ainsi une estimation selon laquelle 80 % des maladies chroniques peuvent être prévenues par une nourriture et des modes de vie sains.

Comme on l’a vu précédemment, plusieurs études ont indiqué que certains aliments pouvaient avoir pour effet de prévenir le cancer. Un cardiologue américain – le Pr Jean-Pierre Issa, dans une étude consacrée précisément à la prévention du cancer– s’est toutefois interrogé sur la capacité des interventions alimentaires à modifier la méthylation de l’ADN ou des modifications des histones. Mais, dans le même temps, il a relevé que ces aliments peuvent produire leurs effets les plus importants durant l’embryogenèse et le développement précoce. En revanche, il a souligné qu’on ignorait si les interventions alimentaires chez les adultes suffisaient à modifier le jeu des mécanismes épigénétiques dans les tissus.

c. L’épigénétique, outil de la médecine personnalisée

Dans le précédent rapport de l’OPECST sur la médecine de précision, les rapporteurs soulignaient, en introduction, le caractère polysémique de la notion de médecine personnalisée, lié lui-même à l’absence de consensus sur sa définition.

Il semble que ce soit également le cas dans le domaine de la recherche en épigénétique, deux approches différentes pouvant être distinguées. Selon la première approche, il s’agit plutôt d’une démarche curative. Ainsi, les auteurs d’une méta-analyse sur les traitements personnalisés du cancer du sein et de l’obésité dans la politique publique de santé ont observé qu’une nutrition personnalisée pourrait être un facteur décisif d’amélioration de la santé et de prévention des maladies chroniques.

De même, évoquant les principes de cartographie épigénétique, M. Emmanuel Barrillot (1) a indiqué, lors de l’audition publique de l’OPECST du 16 juin 2015, que cette dernière reposait sur la même logique que la médecine de précision, laquelle, pour mieux soigner les patients atteints du cancer, séquencera le génome tumoral, déterminera les mutations dont il est porteur, trouvera une mutation précise et ciblera cette mutation avec les molécules pharmaceutiques – des inhibiteurs spécifiques de la mutation du patient.

La logique de la cartographie épigénétique est donc la même, à savoir qu’à une mutation correspond un médicament, même si M. Barrillot a précisé que l’application d’un tel principe pouvait rencontrer des limites.

1) M. Emmanuel Barrillot est directeur de recherche à l'Institut Curie-Inserm-Mines Paris Tech.

Citant l’exemple des patients atteints de mélanome et présentant une mutation dans le gène BRAF, M. Barrillot a déclaré que ces patients pouvaient être soignés avec des inhibiteurs de BRAF.

En revanche, dans le cas du cancer colorectal, des inhibiteurs de BRAF, loin d’inhiber la prolifération l’accentuait, du fait de l’existence d’une boucle de rétroaction vers EGFR (1).

Dans la deuxième approche, une étude soutient que la médecine ne sera réellement personnalisée que si, d’une part, elle intègre les données personnelles sur les interactions entre les gènes et l’environnement et si, d’autre part, elle ne se limite pas à poursuivre un but lucratif mais se préoccupe des objectifs de santé en tenant compte, à cette fin, de facteurs sociaux, psychologiques et économiques.

Car le génome reflète l’histoire des expositions passées et constitue un facteur potentiellement modifiable, qui permet à une personne de réduire le risque de maladie à travers la prévention et le style de vie.

C’est pourquoi, les auteurs de cette étude reprochent à la notion de la médecine des 4P de ne pas aller suffisamment loin, pour reconnaître implicitement le rôle de l’environnement.

De fait, pour explorer l’impact de l’environnement sur la santé, il sera nécessaire d’élaborer un cadre guidant la recherche et son application et d’orienter les efforts de l’investissement public et de la recherche vers des approches qui soient plus rentables pour la santé personnelle, les soins médicaux et la qualité de vie.

Dans la même perspective, une récente étude consacrée à la DOHaD et à l’intégration des influences environnementales indique que diverses pathologies ayant en commun le fait de trouver leurs origines en partie durant le développement en tant que résultat d’influences environnementales partagent, en conséquence, une fenêtre de sensibilité qui englobe le développement in utero et l’enfance précoce.

C’est pourquoi selon les auteurs de cette étude, les professionnels de santé concernés par la santé des adolescents, la santé reproductive, les soins dispensés aux femmes enceintes, aux nouveau-nés et aux enfants peuvent jouer un rôle important dans la prévention de ces expositions et améliorer la santé globale.

1) EGFR : acronyme anglais pour Epidermal Growth Factor Receptor, récepteur du facteur de croissance épidermique. Ces récepteurs se trouvent à la surface des cellules tumorales, leur rôle consistant à envoyer un signal de croissance au noyau de la cellule.

d. L’épigénétique, outil de la médecine participative

La participation des patients – et, de façon plus générale, de la population – au fonctionnement de la médecine n’est pas nouvelle, comme le montrent les études de cohorte, ou encore les études de cas-témoins, par exemple.

Toutefois, certains facteurs particuliers contribuent à ce que, en épigénétique, cette dimension de la médecine ait été soulignée par les travaux de chercheurs.

Ainsi l’étude précitée de Jerrold J. Heindel et de ses collègues sur la DOHaD et la nécessité d’intégrer les influences de l’environnement indique que l’adoption du paradigme de la DOHaD fournit l’occasion aux patients et aux médecins d’agir en vue de prévenir les maladies de nombreuses années avant que de telles maladies ne se déclarent.

Les actions appropriées ne doivent pas seulement aboutir à ce que la vie des citoyens d’aujourd’hui soit plus saine mais aussi à ce qu’elles leur permettent de transmettre une bonne santé aux générations ultérieures.

On voit clairement que cette étude invoque une idée – mise en relief par la DOHaD - origines développementales de la santé des maladies – mais aussi celle d’héritabilité, qui est l’une des caractéristiques des mécanismes épigénétiques.

Une autre analyse a été proposée par l’étude également précitée de Chris Carlsten et de ses collègues (1).

En effet, ces auteurs suggèrent d’adapter le cadre de la médecine personnalisée décrit précédemment – intégrant les données non seulement médicales mais aussi sociales, psychologiques et économiques, propres à un individu – à l’ensemble d’une population.

À cet effet, ces chercheurs citent l’hypothèse d’un plan d’urbanisme local, qui prévoirait la construction d’une école à proximité d’une route à grand trafic.

Or, il s’avère que certains enfants appelés à fréquenter cet établissement sont connus pour présenter un risque d’asthme – au vu des examens effectués dans leur plus jeune âge, du fait de leur histoire familiale ou des variants génétiques facteurs du risque, tels que la glutathion S-transférase (GST). Dans ce cas hypothétique, ces chercheurs font observer que les parents pourraient exercer une pression sur les autorités locales concernées afin que l’école soit construite dans un autre lieu.

Il en résulterait que, bien que l’évaluation du risque génétique – lié au fait que certains enfants seront très probablement asthmatiques – soit effectuée sur une base individuelle, la prévention et/ou la solution apportée au problème en

1) Chris Carsten et al, Genes, the environnement and personalized medicine, EMBO reports, 2014.

construisant l’école ailleurs sont le fruit d’une décision collective qui profitera à tous les enfants destinés à fréquenter cette école, que leurs risques de contracter l’asthme soient élevés ou non.

Ces auteurs font remarquer que la construction d’une école à proximité d’une route à grande circulation est certes une décision sensible, indépendamment des risques génétiques.

Néanmoins la prise en compte de ce dernier pourrait influencer de façon significative une telle décision s’il pouvait être démontré que certaines catégories vulnérables de la population sont susceptibles d’être exposées à des risques relativement élevés.

Sur ce point, ces auteurs citent une interprétation de l’Environnement Protection Agency – l’agence américaine de protection de l’environnement – d’un amendement de 1990 au Clean Air Act, aux termes duquel : « L’administration devra publier et rendre disponible l’information sur les mesures qui peuvent être prises pour réduire l’impact sur la santé ou pour protéger la santé des individus ou des groupes sensibles, de telle sorte que l’un de ces objectifs soit d’identifier les gènes impliqués dans la susceptibilité croissante à la pollution de l’air ».

L’analyse de ces auteurs infirme ainsi le jugement très sévère formulé par une étude qui voit dans la médecine des 4P un « holisme technoscientifique » puisque, au contraire, elle illustre le plaidoyer de la recherche en faveur de l’élaboration d’une politique intégrative de la santé, qui soit démocratique.

2. Le plaidoyer de la recherche en faveur d’une politique intégrative de la