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La diversité des innovations thérapeutiques

B. LE FOISONNEMENT DES THÉRAPIES ÉPIGÉNÉTIQUES

2. La diversité des innovations thérapeutiques

Il existe un réel foisonnement des innovations thérapeutiques en épigénétique.

Il tient au fait que, non seulement les chercheurs se sont préoccupés de prévenir et de guérir mais, en outre, au fait que l’industrie pharmaceutique – surtout en ce qui concerne l’oncologie – a marqué un fort intérêt pour les travaux des chercheurs.

C’est pourquoi, d’un côté, les chercheurs et l’industrie pharmaceutique ont su exploiter, notamment, la réversibilité des marques épigénétiques pour fabriquer des épimédicaments.

De l’autre côté, les chercheurs ont proposé d’utiliser les potentialités thérapeutiques offertes par les moyens naturels.

a. Les médicaments épigénétiques : des outils thérapeutiques à multiples facettes

Ces médicaments revêtent trois caractéristiques :

- ils ont été fabriqués en premier lieu pour lutter contre le cancer, l’oncologie ayant, de ce fait, joué un rôle pionnier ;

1) La substance blanche est une catégorie du tissu du système nerveux central constituant la partie interne du cerveau et la partie centrale de la moelle épinière.

- par la suite, les épimédicaments ont été également utilisés dans les autres maladies complexes ;

- le développement de la recherche a pour effet de permettre à certains médicaments d’être utilisés pour de multiples pathologies à la fois.

Il convient d’analyser successivement ces différentes caractéristiques.

i. Le rôle pionnier de l’oncologie

Ce n’est pas un hasard si l’oncologie a joué un rôle pionnier dans le développement des thérapies épigénétiques, puisque comme exposé précédemment, c’est dans ce domaine que la recherche a mis en évidence l’existence de la composante épigénétique dans la cancérogenèse.

Or, l’ingéniosité des chercheurs a consisté à s’appuyer sur deux démarches.

La première a visé à utiliser la réversibilité des marques épigénétiques pour élaborer de nouvelles thérapies, qui apparaissent comme des alternatives à la chimiothérapie traditionnelle.

La seconde démarche s’est proposée de diversifier les thérapies anticancéreuses en procédant à des combinaisons de thérapies.

L’exploitation de la réversibilité des marques épigénétiques

Comme rappelé auparavant, les marques épigénétiques, à la différence des mutations génétiques, sont réversibles. Cette caractéristique permet de concevoir la possibilité d’atténuer, ou même d’effacer, les effets d’une mauvaise programmation épigénétique.

Ainsi que l’a déclaré Mme Paola Arimondo (1), lors de l’audition publique de l’OPECST du 16 juin 2015, l’intérêt de cette réversibilité réside dans le fait que l’on peut, avec de petites molécules chimiques, moduler des modifications épigénétiques, mettre ou supprimer une méthylation, par exemple.

Ces molécules – les épimédicaments – sont capables de reprogrammer les cellules, en particulier dans les cancers. Or, cette reprogrammation s’avère nécessaire car les cellules cancéreuses subissant une dérégulation épigénétique ne lisent pas la bonne information. De fait, l’idée est, grâce à ces molécules, de tenter de reprogrammer les cellules pour faire en sorte qu’elles lisent la bonne information.

1) Mme Paola Arimondo est directrice de l‘unité de pharmacochimie de la régulation épigénétique du cancer, CNRS - Laboratoires Pierre Fabre centre de recherche et développement.

À l’heure actuelle, les cliniciens disposent de quelques épimédicaments. Il s’agit principalement d’inhibiteurs de l’ADN ou d’inhibiteurs des HDAC (histones désacétylases).

Les agents déméthylants de l’ADN, comme la Décitabine ou la 5-Azacytidine, sont utilisés dans le traitement du syndrome myélodysplasique ou de la leucémie myéloïde aiguë.

Les inhibiteurs de HDAC, comme le Vorinostat, la Romidepsine sont utilisés pour le traitement des lymphomes.

Ces médicaments – dits de la première génération – soignent les cancers hématopoïétiques – c’est-à-dire les cancers hématologiques – et non les cancers solides (1).

En second lieu, leur utilité s’est avérée limitée du fait de leur toxicité et des effets secondaires qu’ils comportent et que rappelle le tableau suivant, tiré d’une étude de la Food and Drug Administration.

Médicaments anticancéreux approuvés par la Food and Drug Administration

Drug Mechanism of

action Indication Dosage Adverse events

AZACIDTIDINE Inhibits DNA

methyltransferases

Various myelodysplastic

syndrome subtypes

75-100 mg/

m²/day for 7 days by s.c.

injection or i.v infusion ; repeat cycles every 4 wks

Nausea, anemia, thrombocytopenia, vomiting, pyrexia, leukopenia, diarrhea, injection-site erythema, constipation, neutropenia, ecchymosis, petechiae, rigors, weakness, hypokalemia

DECITABINE Inhibits DNA

methyltransferases

Various myelodysplastic

syndrome subtypes including previously treated

and untreated, de novo, and secondary

15mg/m² by continuous i.v.

infusion over 3 hrs, repeated every 8 hrs for 3 days ; repeat

cycle every 6 wks or 20mg/m² by

Neutropenia, thrombocytopenia, anemia, pyrexia

1) Les tumeurs solides peuvent se développer dans n’importe quel tissu : peau, muqueuses, os, organes, etc.

Ce sont les plus fréquentes puisque, à elles seules, elles représentent 90 % des cancers humains. On distingue deux types de tumeurs :

- Les carcinomes sont issus de cellules épithéliales (peau, muqueuses, glandes). Exemples : cancers du sein, des poumons, de la prostate, de l’intestin, etc.

- Les sarcomes, moins fréquents, sont issus de cellules des tissus conjonctifs (dits tissus de « soutien »).

Exemples : cancers de l’os, du cartilage, etc.

continuous i.v.

infusion over 1 hr, repeated daily for 5 days ;

repeat cycle every 4 wks

VORINOSTAT Inhibits histone

deacetylases

Cutaneous manifestations of T-cell lymphoma

400 mg p.o.

once/day with food

Diarrhea, fatigue, nausea,

thrombocytopenia, anorexia, dysgeusia

ROMIDEPSIN Inhibits histone

deacetylases

Cutaneous manifestations of T-cell lymphoma

in patients who have received at least one previous

systemic therapy : peripheral T-cell

lymphoma in patients who have

received at least one previous

therapy

14 mg/m² i.v.

over a 4-hr period on days 1,

8, and 15 of a 28-day cycle ; repeat cycles every 28 days

Neutropenia, lymphopenia, thrombocytopenia, infections, nausea, fatigue, vomiting, anorexia, anemia, electrocardiographic T-wave changes

Source : P. Mummaneni et S.S. Shord, Epigenetics and oncology, Pharmacotherapy, Vol. 34, 2014, 5.

Les recherches actuelles sont parvenues à élaborer des inhibiteurs – dits de seconde génération – plus sélectifs que ceux de la première génération. Ces inhibiteurs sont ainsi en mesure d’identifier d’autres types de cibles impliquées dans la modification ou la reconnaissance des histones modifiées.

Comme l’a exposé M. Hinrich Gronemeyer (1) lors de l’audition publique de l’OPECST du 16 juin 2015, trois classes de modulateurs ont pu être mises en évidence.

Il s’agit tout d’abord des « writers », enzymes qui modifient les histones.

La façon dont ils trouvent leur cible est, à l’heure actuelle, très mal comprise. Mais ils sont probablement transportés et ciblés par d’autres facteurs tels que le facteur de transcription ou même certains ARN.

La deuxième classe de modulateurs est celle des readers, qui sont des groupes de protéines partageant un domaine commun, reconnaissant une modification des histones spécifiques, et qui sont impliqués dans la propagation du signal au niveau de la chromatine. Des composés chimiques ressemblant à ces histones modifiées peuvent bloquer cette interaction, avec les marques de chromatine. Les exemples les mieux étudiés actuellement sont des inhibiteurs de

1) M. Gronemeyer est directeur de recherche à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) de Strasbourg.

bromodomaines, en cours de développement pour le cancer, ainsi que pour des maladies inflammatoires et neurologiques.

Le troisième type de cible est les erasers, enzymes qui éliminent les marques épigénétiques des histones. L’un des exemples en est la classe des déméthylases des histones, dont certaines peuvent être surexprimées dans le cancer et inhibées par de petites molécules chimiques. Il n’existe pas actuellement d’inhibiteur de ce type en clinique mais la recherche dans ce domaine est très active.

Ces modulateurs d’épigénome sont des familles de protéines et les inhibiteurs peuvent cibler la famille entière ou des sous-groupes de cette famille.

M. Gronemeyer a indiqué que cette situation était très souvent considérée par les sociétés pharmaceutiques comme un handicap majeur pour le développement des médicaments. Mais le développement des inhibiteurs de HDAC et le succès récent des inhibiteurs de bromodomaines prouvent que l’inhibition de plusieurs membres d’une famille peut présenter des avantages thérapeutiques.

Pour ce qui concerne la sécurité, les épimédicaments ne sont, en principe, pas génotoxiques et leur action est réversible. Cependant, la toxicité possible, en particulier dans l’utilisation chronique pour d’autres pathologies comme les troubles neurologiques, les maladies inflammatoires ou le vieillissement, est actuellement inconnue.

Il importe d’observer que d’autres marques épigénétiques constituent également des outils thérapeutiques. Il en est aussi des microARN.

En effet, l’activation de certains d’entre eux est fréquente en cas d’inflammation de l’intestin associée au cancer du côlon. De même, leur inhibition réduit-elle la croissance de la tumeur, grâce au contrôle des gènes impliqués dans la prolifération, l’invasion et l’apoptose constatée dans le modèle de la souris atteinte du cancer du côlon.

En outre, l’indication d’une association de plusieurs microARN au cancer de col de l’utérus a révélé leur potentiel diagnostique et thérapeutique. Les approches diagnostiques incluent l’analyse des niveaux de sérum et le criblage de l’hyperméthylation aberrante de microARN. Les approches thérapeutiques ont inclus, d’une part, l’activation du microARN-21, qui joue un rôle décisif dans de nombreuses fonctions biologiques et maladies – telles que le cancer, les maladies cardio-vasculaires et inflammatoires et, d’autre part, la supplémentation du microARN-143, lequel est impliqué dans la différenciation adipocytaire (1).

1) Un adipocyte est une cellule de stockage des graisses.

Il existe donc de nombreuses cibles thérapeutiques pour une voie de signalisation pertinente pour une maladie, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous :

Exemples d’essais de thérapies épigénétiques appliquées à différents cancers Drug Combination Target Study phase Indication

PANOBINOSTAT (LBH589)

None Pan-HDAC

inhibitor Phase III

Hodgkin’s lymphoma and multiple myelom Bortezomib,

dexamethasone

Pandeacetylase

inhibitor Phase III Relapsed multiple myeloma

None Phase II / III Cutaneous T cell

lymphoma

ENTINOSTAT (SNDX-275)

None Class I HDAC

inhibitor Phase I / II

Hodgkin’s

lymphoma, kidney cancer

None Phase II

Clear cell renal cell carcinoma,

metastatic renal cell cancer

Azacitidine Phase II Advanced breast

cancer

BELINOSTAT (PXD101)

None Pan-HDAC

inhibitor Phase II

Relapsed or refractory acute myeloid leukemia orolder patients with newly diagnosed acute myeloid leukemia Carboplatin,

paclitaxel HDAC inhibitor Phase I / II Non-small cell lung cancer

None Phase II

Recurrent or refractory eutaneous and peripheral T cell lymphomas

None Phase II Ovarian Cancer

PRACINOSTAT (SB939)

Azacitidine HDAC inhibitor Phase II Myelodysplastic syndrome

Azacitidine Phase II Acute myeloid

leukemia

None Phase II

Translocation-associated

recurrent/metastatic sarcomas

GIVINOSTAT None HDAC inhibitor Phase II

Chronic

myeloproliferative neoplasms

VALPROIE ACID None HDAC inhibitor Phase II Breast cancer CARBOPLATIN Decitabine Demethylation Phase I / II Platinum-resistant

ovarian cancer

ENTINOSTAT Azacitidine HDAC inhibitor Phase I / II

Recurrent advanced non-small cell lung

cancer ENTINOSTAT Azacitidine HDAC inhibitor Phase II Metastatic

colorectal cancer

EXEMESTANE WITH

OR WITHOUT Entinostat HDAC inhibitor Phase III

Recurrent hormone receptor-positive breast cancer that is locally advanced or metastatic

VORINOSTAT None HDAC inhibitor Phase II

Advanced cutaneous T cell lymphoma

VORINOSTAT Decitabine HDAC inhibitor Phase I

Advanced solid tumors or relapsed or refractory non-Hodgkin’s lymphoma

AZACITIDINE None Demethylation Phase III

High-risk myelodysplastic syndromes comparing azacitidine versus conventional care

ROMIDEPSIN None HDAC inhibitor Phase II

Cutaneous T cell lymphoma and peripheral T cell lymphoma Source : Nita Ahuja et al. Epigenetics: a new weapon in the war against cancer, annu. Rev. Med. 2016.

En outre, il est envisageable de combiner différents types de thérapies, cette voie étant considérée comme la plus prometteuse, en particulier pour les tumeurs solides.

La combinaison de différentes thérapies

Selon une étude récente, la combinaison des thérapies permet d’améliorer la réponse thérapeutique. En effet, 3 % des patients répondent aux épimédicaments utilisés en monothérapie, ce taux s’élevant à 20 % en cas de combinaison avec des chimiothérapies.

Plusieurs types de combinaisons sont envisageables :

1/ Combinaison des inhibiteurs déméthylant l’ADN (DNMTis) et des inhibiteurs des HDAC (HDACis)

De nombreux essais cliniques testent cette combinaison dans la plupart des éléments hématopoïétiques, avec une certaine efficacité, accrue pour les syndromes myélodysplasiques et/ou pour la leucémie aiguë myéloblastique et non dans les autres cas. Comme le notent les auteurs d’une récente étude, les raisons de ces différences ne sont pas encore éclaircies.

Évoquant le résultat d’analyses d’un cancer avancé du poumon non à petites cellules – qui est le plus mortel des cancers dans le monde – ces mêmes auteurs font remarquer que, parmi soixante-cinq patients résistant au traitement, la combinaison des métastases de ce cancer avec des doses de 5-Azacytidine et du HDAC Entinostat a produit des réponses d’une durée supérieure à trois ans.

Le nombre de ces patients représente seulement 3 % du groupe. Mais, estiment ces chercheurs, si la réponse avait pu être prédite, beaucoup de patients atteints de ce cancer avancé auraient bénéficié de ce traitement. C’est pourquoi, ces chercheurs jugent essentiel d’obtenir des biopsies pré et post-thérapie dans les futurs essais cliniques en vue d’établir des biomarqueurs propres à permettre un traitement personnalisé.

2/ Combinaison des DNMTis et des HDACis avec d’autres thérapies

Un thème émergent de la recherche clinique est la combinaison des thérapies épigénétiques avec d’autres traitements anticancéreux.

Un thème sous-jacent est illustré par les données liant la chimiorésistance aux événements épigénétiques dans le cancer des cellules souches. Il apparaît, par exemple, que de faibles doses de DNMTis (inhibiteurs de NDMT) peuvent inhiber les propriétés du cancer des cellules souches, augmenter l’apoptose et bloquer l’entrée dans le cycle cellulaire.

Certains essais cliniques suggèrent l’utilité de cette thérapie. Il a été ainsi rapporté que la combinaison du HDAC Vorinostat avec le Carboplatine (1) et le Paclitaxel (2) améliore les taux de réponse thérapeutique de progression de la survie chez les patients atteints du cancer non à petites cellules métastatiques.

Des réponses durables et la stabilité de la maladie ont eu lieu chez pratiquement la moitié des patients traités dans un essai de phase I/II combinant 5-Azacythioline et Carboplatine pour un cancer avancé de l’ovaire.

Les auteurs de l’étude précitée indiquent que 25 % des patients traités atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules métaplasiques sont parvenus à stabiliser la maladie ou à répondre à de nombreux agents chimiothérapiques suivant le traitement combinant 5-Azacythioline et le HDAC Entinostat.

Des essais cliniques sont en cours pour tester la sensibilité de cette méthode dans le cancer du poumon non à petites cellules.

1) Composé organométallique du platine utilisé comme molécule anticancéreuse dans le traitement des cancers des ovaires.

2) Le Paclitaxel est un inhibiteur mitotique utilisé dans la chimiothérapie.

3/ Combinaison de la thérapie épigénétique avec l’immunothérapie

L’exploration de la possibilité pour la thérapie épigénétique de sensibiliser les patients au renversement de la tolérance immunitaire est une méthode qui s’est récemment développée. La tolérance est modulée par l’interaction chronique entre certains ligands des cellules tumorales et les récepteurs des cellules hôtes immunitaires, ce qui rend les cellules T (1) immunologiquement inertes.

L’immunothérapie est pratiquée selon deux stratégies. La première, qui est la plus ancienne, est celle de l’immunothérapie dite non spécifique, qui consiste à suractiver le système immunitaire en vue d’augmenter la probabilité qu’il s’attaque aux cellules cancéreuses.

Dans cette perspective, les médecins se sont orientés vers la stimulation d’une famille de molécules, les cytokines.

Ces molécules, produites par les cellules du système immunitaire, contrôlent l’activité d’autres cellules de l’immunité. Elles jouent un rôle crucial dans la signalisation et la communication entre les différents protagonistes de la réponse immunitaire, leur activation et leur prolifération.

Administrées seules ou associés à d’autres traitements, deux types de cytokines sont capables de stimuler l’immunité contre les cancers : les interférons et les interleukines. Ils peuvent par ailleurs être fabriqués en laboratoire.

L’interféron est prescrit dans le traitement de leucémies, de lymphomes, de certaines formes de cancer de la moelle osseuse ou de mélanomes de la peau. Quant à l’interleukine 2, elle est préconisée dans le traitement de certains cancers du rein et certains mélanomes.

Toutefois, la réponse immunitaire qu’induisent les cytokines reste peu spécifique : elles agissent à l’aveugle, sans cibler uniquement les cellules tumorales, et présente des effets secondaires importants tels des nausées ou la fièvre.

La seconde stratégie a été la mise au point des anticorps monoclonaux, il y a plus de vingt ans. Cette idée de fabriquer des molécules que le système immunitaire produit naturellement a permis à l’industrie pharmaceutique de proposer les anticorps comme des solutions thérapeutiques.

Les anticorps monoclonaux sont des molécules naturellement produites par le système immunitaire en vue de déclencher une attaque ciblée sur un danger déjà rencontré. Rapidement, il est apparu que, bien choisies, ces têtes chercheuses

1) Les lymphocytes T ou cellules T sont une catégorie de leucocytes (ou globules blancs) qui jouent un grand rôle dans la réponse immunitaire secondaire. T est l’abréviation de thymus, dans lequel leur développement s’achève.

pouvaient non seulement repérer les cellules tumorales mais aussi bloquer leur croissance. C’est le cas de Trastuzumab (Herceptin®), un anticorps qui se fixe sur la protéine HER-2 présente à la surface des cellules tumorales chez environ 15 % des femmes atteintes d’un cancer du sein.

Agissant comme un interrupteur, Trastuzumab bloque l’action de son récepteur membranaire, ce qui inhibe la croissance tumorale. Il a largement amélioré le pronostic vital de ces patientes depuis le début des années 2000.

Une autre idée, qui commence à faire ses preuves, consiste à se servir des anticorps pour véhiculer une molécule thérapeutique par une chimiothérapie ou par un produit radioactif.

L’Institut Curie indique que la présentation des résultats de l’essai EMILIA évaluant l’efficacité de la molécule T-DM1, couplant le Trastuzumab à une chimiothérapie chez les patientes atteintes d’un cancer du sein surexprimant HER-2 a été l’un des éléments majeurs de la cancérologie en 2012. Tout comme l’Herceptin®, T-DM1 se fixe sur HER2 et bloque la prolifération des cellules tumorales mais, de plus, délivre un agent chimiothérapique directement à l’intérieur de ces cellules cancéreuses.

Les pistes autour de cette forme de thérapie ciblée prometteuse se multiplient. Une grande partie du Programme incitatif et coopératif thérapie ciblée de l’Institut Curie lui est consacrée : ces traitements sont fondés sur des

« conjugués », composés de trois éléments : un vecteur, sorte de véhicule qui leur permet de trouver leur cellule-cible, une molécule active qui va avoir l’effet thérapeutique et un bras de liaison, pour assembler les deux.

4/ Combinaison des thérapies épigénétiques avec de nouveaux agents

De nombreuses nouvelles petites molécules destinées à la thérapie épigénétique – dont certaines sont déjà utilisées dans des essais cliniques – sont disponibles.

Parmi elles, il y a celles qui ciblent les gènes mutés assurant une régulation épigénétique dans le cancer.

Ces mutations bloquent la production d’alpha-cétoglutarique, un cofacteur-clé pour de multiples protéines régulant l’épigénome, y compris les protéines TET et plusieurs HDM (histones déméthylases).

Il en résulte un accroissement important de la méthylation de l’ADN dans le phénotype appelé CIMP (cpg island methylator phenotype), déjà évoqué précédemment.

Un autre régulateur muté est EZH2, pour lequel des inhibiteurs ont été introduits dans les essais cliniques, principalement pour les tumeurs hématopoïétiques.

Au total, il existe de très nombreuses cibles thérapeutiques – qui peuvent être ciblées seules ou en combinaison – pour une voie de signalisation pertinente d’une maladie.

Pour autant, comme M. Hinrich Gronemeyer l’a fait observer, un épimédicament peut avoir des effets inattendus, notamment indésirables. Du fait des interactions complexes résultant du ciblage comme, par exemple, l’anémie consécutive au ciblage de l’histone déméthylase LSD1 dans un modèle animal.

Il reste, toutefois, que les épimédicaments ont été également appliqués aux autres pathologies complexes.

ii. L’extension de l’utilisation des médicaments épigénétiques aux autres maladies

Maladies métaboliques

Les inhibiteurs de HDAC (HDACis) sont apparus comme de nouveaux médicaments pour le traitement du diabète et de l’obésité, en raison du rôle qu’ils jouent dans les fonctions des cellules bêta (1), la résistance à l’insuline et l’adipogenèse.

Parmi les HDACis, l’acide valproïque et le sodium phénylbutyrate sont déjà utilisés dans des essais cliniques concernant le diabète et l’obésité.

Un polyphénol naturel – le curcumin – est un inhibiteur HAT (Histone acétyltransférase), qui est largement utilisé comme épice en Asie depuis plusieurs millénaires.

Une étude clinique de phase IV sur le curcumin concernant une population prédiabétique a abaissé, de façon significative, le nombre d’individus, qui auraient développé autrement un diabète de type 2, ce qui en fait un médicament très prometteur.

Une autre thérapie remarquable est celle que permet la Tranylcypromine.

Médicament utilisé pour traiter une grave dépression, la Tranylcypromine est un inhibiteur d’histone déméthylase ciblant une lysine déméthylase particulière (LSD1 et LSD2). L’inhibition de LSD1 a fait apparaître qu’elle augmentait l’énergie métabolique en cas de nourriture très grasse. C’est pourquoi, les chercheurs voient

1) Les cellules bêta, qui constituent des types cellulaires du pancréas et plus particulièrement des îlots de Langerhans, sont celles qui produisent l’insuline.