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La capacité à s’auto-assembler des molécules a ici été utilisée comme un véritable outil, au même titre que le STM, permettant l’étude de la jonction en elle-même.

L’auto-assemblage moléculaire désigne l’association spontanée de molécules par des liaisons non-covalentes, sous certaines conditions d’équilibre, en agrégats bien définis. Ce type d’assemblages est omniprésent au sein des systèmes biologiques et permet la formation de nombre de structures complexes. Les auto-assemblages peuvent être classifiés de diverses façons et celle ici choisie repose sur le caractère « vivant » du phénomène. Explicitons. Il existe des auto-assemblages statiques qui comprennent les systèmes qui sont en équilibre local ou global et qui ne dissipent donc pas d’énergie. On peut ici citer les cristaux moléculaires ou encore les protéines globulaires. Dans les auto-assemblages statiques, la formation d’une structure ordonnée requiert de l’énergie (par exemple, par activation mécanique) mais, une fois formée, celle-ci demeure stable. Pour ce qui est des auto-assemblages dits dynamiques, les interactions permettant la formation de ces réseaux ou structures n’interviennent que si le système dissipe de l’énergie. Un exemple adapté aux résultats qui vont suivre est le fait que, lors de dépôts de molécules sur une surface, les réseaux se forment à l’issue d’une compétition entre adsorption et diffusion.

3.1 Forces mises en jeu

Les forces de van der Waals

C’est l’étude des gaz qui a permis la découverte des forces de van der Waals. Forces d’attractions intermoléculaires, elles visaient à expliquer l’écart de comportement des gaz par rapport aux gaz parfaits. Elles s’exercent sur de faibles distances et dérivent d’un potentiel en avec r, la distance entre les moments dipolaires des molécules en interaction. Elles se subdivisent en trois forces dont voici les caractéristiques :

 Les forces de Keesom interviennent entre deux molécules polaires et sont donc de type dipôle permanent-dipôle permanent. Elles ne provoquent pas l’alignement complet des molécules (sauf pour celles possédant des dipôles très forts ou proches) et il en résulte une énergie d’interaction moyenne attractive en . Dans le cas d’auto-assemblages, le mouvement des dipôles étant restreint, l’énergie de la liaison n’est plus exactement en mais plutôt en L’interaction n’étant alors plus simplement attractive, on parlera d’interaction dipôle-dipôle.

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 Les forces de Debye interviennent entre une molécule polaire et une molécule apolaire se polarisant sous l’effet du champ généré par la molécule polaire. Elles sont donc de type « dipôle permanent-dipôle induit ».

 Les forces dispersion de London sont des forces créées par des dipôles induits. Elles représentent en général la composante la plus importante des forces de van der Waals. Elles existent du fait que la densité électronique des molécules ne soit pas équitablement répartie à travers la molécule, ce qui crée un léger moment dipolaire. Naturellement, au-delà d’interagir entre eux, ces dipôles induits peuvent également réagir avec un dipôle permanent (molécule polaire) ce qui correspond alors aux forces de Debye. De manière générale, pour des molécules polaires, les forces de London sont très faibles devant les autres forces intermoléculaires, par exemple les interactions ioniques ou les liaisons hydrogène ou les forces de Keesom entre dipôles permanents.

La liaison hydrogène

La liaison hydrogène est une liaison physique non covalente, de type dipôle-dipôle. Elle est de basse intensité (vingt fois plus faible que liaison covalente classique) mais, par contre dix fois plus élevée que les forces de van der Waals. Pour que cette liaison s'établisse, il faut être en présence d'un donneur et d'un accepteur de liaison hydrogène :

le donneur est un composé acide selon la définition de Bronsted, c'est-à-dire un hétéroatome (azote, oxygène, fluor) porteur d'un ou plusieurs atomes hydrogène (comme dans les amines, alcools, thiols) pouvant être libéré (s).

l'accepteur est composé d'un hétéroatome (uniquement azote, oxygène ou fluor) porteur de doublets libres.

Lorsqu'une liaison hydrogène s'établit, les deux hétéroatomes se trouvent à une distance d'environ 2 Å. Elle peut être de trois types, selon la valeur de l’enthalpie de liaison : faibles (1 - 4 kJ.mol-1), modérées (4 - 15 kJ.mol-1) ou fortes (15 - 40 kJ.mol-1).

Les interactions π-π

Elles ont lieu entre composés organiques comportant des groupements aromatiques. Elles sont de type attractif et dues au recouvrement d’orbitales atomiques de type p au sein de systèmes π-conjugués. Plus le nombre d’électrons π mis en jeu est élevé, plus elles sont importantes.

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3.2 Les auto-assemblages bi-dimensionnels

A l’interface liquide-solide, plusieurs types d’interactions sont à considérer si l’on désire réellement comprendre le mécanisme de formation des auto-assemblages. On a préalablement introduit la notion d’interaction molécule-molécule, on peut y ajouter les interactions molécule-substrat ainsi que molécule-solvant. Ce dernier type peut, de manière logique, être ignoré lors d’expériences se déroulant sous vide. Pour le rôle du solvant, il faut toujours garder à l’esprit que les molécules vont préférentiellement s’adsorber ou rester en solution selon leur affinité avec celui-ci. Le choix de sa nature est donc d’une importance primordiale.

Dans le cas d’une molécule à cœur aromatique présentant des chaînes alkyles latérales, ce qui est le cas de toutes les molécules étudiées dans ce manuscrit, les trois interactions principales sont donc :

 l’adsorption de la partie conjuguée sur le substrat

 l’adsorption des chaînes alkyles sur le substrat

 l’interaction entre molécules (partie conjuguée et chaînes alkyles de chacune des molécules)

Attardons-nous à présent sur la nature du substrat. Une molécule déposée sur une surface doit, afin de pouvoir interagir avec ses consœurs, pouvoir se mouvoir en toute liberté et ne pas être entravée par la trop forte interaction qui la relie au substrat. A l’opposé, elle ne doit pas disposer d’une trop grande liberté qui empêcherait l’ensemble de cristalliser. L’un des substrats les plus utilisés ici, pour son application aisée en STM et plus particulièrement à l’interface liquide/solide, est le HOPG qui a précédemment été présenté. Il a été choisi pour permettre à un certain type de molécules de venir s’y déposer de manière contrôlée. Ces molécules, quelle que soit la nature de leurs groupements centraux, possèdent toutes des chaînes alkyles relativement longues (dix carbones) à leur périphérie. Ce concept de molécules repose sur le comportement, largement connu, d’alcanes déposés sur HOPG dont l’étude poussée à mener à l’obtention d’un modèle organisationnel, le modèle de Groszek1

. L’adsorption d’alcanes linéaires sur HOPG

Elle résulte en la formation de lamelles bidimensionnelles compactes, constituées de chaînes rectilignes orientées selon la direction <100> du HOPG.

1 A. J. Groszek. Selective Adsorption at Graphite/Hydrocarbons Interfaces. Proc. Roy. Soc. Lond. A. 314, 473 (1970).

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Figure 2.17 : a) Auto-assemblage de C14H30 sur HOPG à large échelle avec IT = 410 pA, VT = 0,74 V b) Idem à échelle réduite avec IT = 470 pA, VT = 0,88 V. c) Auto-assemblage de C18H38 sur HOPG avec IT = 670 pA, VT = 0,80 V. Figures reproduites d’après [1].

La correspondance entre les zigzags des méthylènes des alcanes et cette direction <100>, conduisant à une énergie stabilisatrice de 64 meV (2) par groupement méthylène (adsorption épitaxiale), permet l’optimisation de l’interaction entre les alcanes et le HOPG. L’interaction propre entre chaînes est également optimisée puisque les chaînes sont parallèles les unes aux autres ce qui permet d’augmenter l’interaction attractive de van der Waals, optimale pour une distance de 4,26 Å entre deux chaînes. L’énergie de cristallisation bidimensionnelle peut alors être évaluée à 20-25 meV par paire de groupements méthylènes se faisant face3. Pour finir, plus le nombre de CH2 est important, plus forte sera l’interaction inter-chaînes.

Figure 2.18 : Schéma de molécules d’alcanes C18H38 adsorbées sur HOPG. Les alcanes sont en trans avec le squelette carboné parallèle à la surface. La distance C-C-C au sein d’un zigzag a vaut 0,251 nm, le paramètre du HOPG b vaut 0,246 nm et la distance entre deux chaînes adjacentes c vaut 0,426 nm.

1

Q. Chen, H.-J. Yan, C.-J. Yan, G.-B. Pan, L.-J. Wan, G.-Y. Wen, D.-Q. Zhang. STM Investigation of the Dependence of Alkane and Alkane (C18H38, C19H40) Derivatives Self-Assembly on Molecular Chemical Structure on HOPG Surface. Surface Science 602, 1256 (2008).

2

A. J. Gellman, K. R. Paserba. Kinetics and Mechanism of Oligomer Desorption from Surfaces: n-Alkanes on Graphite. J. Phys. Chem. B 106, 13231 (2002).

3 S. Yin, C. Wang, X. Qiu, B. Xu, C. Bai. Theoritical Study of the Effects of Intermolecular Interactions in Self-Assembled Long-Chain Alkanes Adsorbed on Graphite Surface. Surface and Interface Analysis 32, 248 (2001).

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Effet de commensurabilité

Il est directement lié à la longueur des chaînes alkyles puisqu’il existe une longueur au-delà de laquelle deux structures ne peuvent plus s’ajuster de manière correcte car leurs périodicités sont différentes. En conservant les paramètres b et c décrits Figure 2.18, on peut calculer T, la période de commensurabilité telle que T .

L’influence de la commensurabilité a principalement été étudiée pour des alcanes adsorbés sur Au (111)1,2. Son influence pour les chaînes aliphatiques sur le graphite n’est à prendre en compte que pour des longueurs de chaînes très élevées, car la valeur de T, égale à 12,35 nm, correspond à une longueur légèrement supérieure à une chaîne comportant cinquante et un atomes de carbone. En revanche, sur Au, cette longueur est beaucoup plus faible (1,95 nm) et correspond à seize atomes. Le motif des chaînes alcanes étant plus proche du graphite que de l’or, le positionnement de ces chaînes est plus fermement imposé sur graphite que sur or, ce qui restreint tout phénomène de glissement le long des axes du graphite. Le fait que la corrugation du HOPG soit largement supérieure, en tant que semi-métal, à celle de l’or est également un facteur clef (qui est encore plus prépondérant pour les semi-conducteurs).

3.3 Les systèmes hôte – invité

Il est à préciser que le système hôte peut être composé de plusieurs molécules. Une fois formé, cet auto-assemblage peut capter d’autres molécules, les molécules invitées. Il existe de nombreux types d’auto-assemblages et leur conception repose sur différents paramètres qui ne seront pas développés ici. Pour de plus amples informations sur ce point, les thèses de Guillaume Schull et de Claire Arrigoni, soutenues respectivement en novembre 2006 et en mai 2010, pourront être consultées.

Le système hôte étudié dans le chapitre III de ce mémoire concerne un certain type de molécules dont l’arrangement repose sur l’interdigitation de chaînes alkyles dépeintes ci-dessus. Il dérive de systèmes à symétrie C3 ou pseudo C3 qui ont été linéarisés et qui présentent deux clips fonctionnels en vue de créer un arrangement de chaînes 1D de molécules clippées les unes aux autres3.

1

O. Marchenko, J. Cousty. Molecule Length-Induced Reentrant Self-Organization of Alkanes in Monolayers Adsorbed on Au (111). Phys. Rev. Lett. 84, 5363 (2000).

2 A. Marchenko, J. Cousty, L. Pham Van. Magic Length Effects in the Packing of n-Alkanes Adsorbed on Au (111). Langmuir 18, 1171 (2002).

3

D. Bléger, D. Kreher, F. Mathevet, A.-J. Attias, G. Schull, A. Huard, L. Douillard, C. Fiorini-Debuisschert, F. Charra. Surface Non-Covalent Bonding for Rational Design of Hierarchical Molecular Self-Assemblies. Angew.

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Figure 2.19 : Molécules à clips. a) Molécules à symétrie (pseudo) C3 possédant un nombre différent de clips fonctionnels pouvant participer à l’auto-assemblage b) Premières molécules linéaires issues des molécules présentées en a) et molécules « mères » d’une famille entière de clips dits linéaires. c) Deux formes possibles d’interaction entre deux molécules comportant chacune un clip, dépendant de l’orientation de la double liaison centrale présente sur la partie conjuguée de la molécule. La distance a, fidèle au modèle de Groszek, vaut 4,26 Å.

Au-delà de l’aspect purement organisationnel1, les assemblages de molécules dérivées de la molécule 2 présente en Figure 2.19 b) ont également été étudiés. Le benzène central sert alors de base pour l’élaboration de molécules fonctionnalisées et se trouve surmonté d’un pilier cyclophane conservé intact ou à son tour fonctionnalisé. Les formules complètes de ces molécules seront données au chapitre III, ainsi que les différentes molécules invitées utilisées afin d’étudier l’évolution de l’organisation de l’auto-assemblage.

1

D. Bléger, D. Kreher, F. Mathevet, A.-J. Attias, I. Arfaoui, G. Metgé, L. Douillard, C. Fiorini-Debuisschert, F. Charra. Periodic Positioning of Multilayered [2.2]Paracyclophane-Based Nanopillars. Angew. Chem. Int. Ed. 47, 8412 (2008).

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