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Les aspects politiques d’une culture des réfugiés

1. L’anthropologue et le terrain des globalisations

1.2. Les aspects politiques d’une culture des réfugiés

Les différentes perceptions et théories appliquées aux mouvements migratoires ne peuvent être écartées pour comprendre les ressorts qui influencent les parcours migratoires des femmes qui demandent l’asile et la place des réfugiés dans la société mondiale ou globale. Selon la perspective choisie, autant les ressources économiques que le capital social jouent un rôle déterminant dans l’octroi du statut de réfugié selon les conditions contemporaines liées aux politiques migratoires. La mise en place des institutions comme le FMI (Fonds monétaire international), la Banque mondiale ou les organisations non gouvernementales (ONG) comme le HCR (Haut commissariat pour les réfugiés) ou la DAW (Division de la promotion de la femme des Nations Unies)5 s’interpose dans l’ordre mondial. La globalisation dans ce sens agit comme une force dynamique dans les transformations politiques, sociales et culturelles de redistribution du pouvoir dans de nouvelles directions en diminuant ou en augmentant selon les domaines de prédilections. Ces changements historiques dans la répartition du pouvoir suggèrent de nouveaux questionnements afin de mieux appréhender cette réalité et les effets de la globalisation.

Selon Castells (2001), la société en réseau et les flux globaux annoncent les mutations politiques, sociales et culturelles qui manifestent les transformations historiques en cours. Les changements sociaux sont aussi notables que les transformations techniques et économiques. En effet, bien qu’il persiste de nombreux obstacles dans la transformation du statut des femmes, le patriarcat est ébranlé et remis en question dans nombre de sociétés, ou inversement renforcé. Les relations entre les sexes deviennent un domaine de contestation et de reconfiguration identitaire plutôt que de reproduction culturelle dans de nombreuses régions du monde. Cette contestation incite « une redéfinition fondamentale des rapports entre les femmes, les hommes et les enfants, et par conséquent de la famille, de la sexualité et de la personnalité. » (Castells, 2001 : 25). De cette prise de conscience et des crises structurelles de légitimité des systèmes politiques et de déstructuration des institutions

internationales, les individus se rassemblent autour d’identités primaires qui accélèrent la fragmentation sociale. Ces déstructurations sociales se manifestent par le changement d’intensité dans les déplacements migratoires qui concourent à la recomposition des territoires, la déterritorialisation de certaines identités et des représentations. C’est spécifiquement le cas pour les droits humains, les droits individuels versus les droits collectifs. À ce titre, les réfugiés et plus particulièrement les femmes qui demandent l’asile sur des critères de violences liées au genre cristallisent ces bouleversements et les logiques implicites des dynamiques qui opèrent. Ainsi, on note comment Malkki (1995a) désigne le rôle décisif des organisations des Nations Unies avec la coopération d’autres organisations nationales dans la consolidation du système international des réfugiés. On peut désormais observer comment ce système s’ancre dans le développement d’une culture des réfugiés à travers une spécialisation et une professionnalisation dans le domaine de recherche également (Malkki, 1995b : 9). Cette culture des réfugiés s’exprime dans la mise en place de domaines de recherche et de programmes spécifiques définis sous le générique de « refugeee studies »6 (Malkki, 1995a : 507).

Le capitalisme contemporain s’inscrit dans la production de différence, de stratégies d’homogénéité et d’hétérogénéité culturelle (Assayag, 1998 : 201). Cependant, comme le souligne Alund, dans un monde où l’essentialisme culturel se répand pour trouver un écho dans la célébration néolibérale du privé et du particulier, les dimensions sociales sont occultées par les stéréotypes culturels (1995 : 313-316).

« The cultural has acquired an independent role. Cultural explanations in their bare and distorted form have colonised the social by means of culturisation. The social space has been reduced to a site for the production of identities or merely differentiated entities. But it is usually not acknowledged that the social struggle continues through the cultural. » (Alund, 1995 : 319).

6 Le Refugee Studies Centre and Programme à l’Université d’Oxford en 1982, le Committee on Refugee Issues (CORI) en 1988, ainsi que le Journal of Refugee Studies (ibid.) ou la revue Refuge au Canada et le programme Centre for Refugee Studies (CRS) de York University à Toronto, The Norwegian Refugee Council, Interdisciplinary Network for Researchers in the Netherlands Working on Refugee Issues, Center for International and European Law on Immigration and Asylum University of Konstanz par exemples.

Alund va un peu loin puisqu’il existe des écrits insistants sur les inégalités sociales. En effet, malgré l’insistance grandissante sur les identités, quelques auteurs parlent néanmoins du social (Bernier, 2004 ; Comaroff et Comaroff, 2003 ; Bourdieu, 1998). Les interactions entre le droit des réfugiés et le droit des femmes à travers les mouvements sociaux organisés par de multiples voix illustrent les tensions sociales qui sous-tendent le mode de gouvernance et la société à travers les inégalités (Anker, 2002 ; Shore et Wright, 1997). Ce processus intervient dans le travail de redéfinition de normes, de valeurs et de représentations tant au niveau local que global. Il est perceptible à travers les mouvements sociaux et les comportements des individus comme dans la trajectoire des demandeurs d’asile ou des réfugiés (Malkki, 1995a, 1995b, 1992). Ce contexte mouvant intervient dans la reconfiguration de l’organisation collective et les idées de la gouvernance ou de l’ordre établi. Ainsi, comme l’affirme Balandier, si le « politique n’est plus envisagé comme une catégorie restrictive, mais comme une propriété de toutes les formations sociales. » (Balandier, 1984 : ix), l’étude des flux migratoires doit s’intéresser au phénomène politique qui traverse les transmutations de l’asile. Les politiques publiques relatives aux processus d’octroi du statut de réfugié et les dispositifs mis en places par les procédures traduisent la façon dont ces politiques sont utilisées comme un instrument de pouvoir et une catégorie culturelle et sociale. Elles peuvent refléter la reproduction des inégalités et l’influence des déterminants sociaux pour les femmes qui demandent l’asile par exemple. Ces mécanismes façonnent les individus et agissent dans l’organisation de la société contemporaine, dans la définition du citoyen idéal et des concepts comme la famille ou le genre (Ong, 2005 ; Shore et Wright, 1997).

L’observation de l’action qui traverse le phénomène de l’asile et le mouvement des femmes encourage à s’interroger sur la notion du politique, du pouvoir et des formes de gouvernance. L’anthropologie politique offre un cadre conceptuel opérationnel pour saisir les enjeux des effets de la globalisation tels qu’ils s’inscrivent dans le processus de demande d’asile. Toutefois, dans ce domaine, la question est de savoir de quelle notion politique il pourrait s’agir et que peut proposer l’anthropologie

politique. Marc Augé apporte une réponse signalant que :

« L’anthropologie des mondes contemporains passe par l’analyse des rites que ceux-ci tentent de mettre en œuvre et que ces rites, pour l’essentiel, sont de nature politique. […] le langage politique est un langage de l’identité. Sans doute peut-on avancer que tout langage de l’identité, inversement, est tendanciellement politique. » (Augé, 1994 : 85).

Selon Manuel Castells, l’identité est fondamentalement sociale (2001 : 25). Or justement, l’intensité des multiplications identitaires participe à reconfigurer le social et le politique. Mais, à quelle nature politique faisons-nous référence? Celle qui s’intéresse aux formes politiques et constitue le berceau de l’anthropologie politique avec la philosophie politique et la science politique, ou bien celle qui traite du contenu comme le revendique Balandier (1984)? D’autre part, face à aux conflits engendrés par des sursauts nationalistes ou identitaires, les débats mettent en contraste les aspirations communautaires et un universalisme ancré dans le registre des droits de l’homme (Abélès, 2008 : 56). Notamment lorsque l’articulation politique entre le genre et les normes institutionnalisées dans les procédures indique des points de tensions et des innovations en matière de droit des réfugiés et droit des femmes.

2. Les enjeux de l’anthropologie contemporaine et politique