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Démantèlement : genèse d’une recomposition du principe de l’asile

1. Vers l’émergence d’une protection internationale

1.1. Démantèlement : genèse d’une recomposition du principe de l’asile

La mise en place de la définition de la notion de souveraineté dans les États modernes d’Europe à partir du XVIe siècle confère une nouvelle conception à l’asile (Lacroix, 2003 : 181). La question de l’asile se posera comme un problème de droit discuté par les juristes au cours du XVIIe siècle (Bolesta-Koziebrodzki, 1962 : 39). La

transmutation du concept d’asile coïncide avec la décadence de l’Église et la consolidation des États par le début des guerres de religion22 et le déclin de l’autorité universelle de l’Église catholique (Lochak, 2002 : 32 ; Alland et Teitgen-Colly, 2002 ; Crépeau, 1995 : 39). L’asile ne disparaît pas, mais se sécularise, car désormais

22 La révocation de l’Édit de Nantes en 1685 provoque un mouvement de masse des ressortissants nationaux (Le Pors, 2005 : 11)

il est accordé par les États23. Ses fondements et sa portée se déplacent : de droit de l’Église, l’asile se transforme en droit de l’État. Sa légitimité s’inscrit désormais dans les structures gouvernementales contemporaines. Dans ce sens, il devient politique au sens moderne par sa forme et son ancrage. L’asile ne vise plus à protéger les criminels de droits communs, mais les réfugiés d’opinion ou de conviction pour lesquels plusieurs pays sacralisent le droit d’asile dans sa dimension idéologique et politique. L’asile territorial24 et l’asile diplomatique25 cristallisent le caractère discrétionnaire (mais non arbitraire) dépendant du bon vouloir des autorités en fonction des considérations, des pressions de l’opinion publique, des intérêts diplomatiques et de l’ordre public. L’asile souverain (asile territorial) distinct de l’asile diplomatique deviendra pleinement politique à partir du XVIIe siècle (Crépeau, 1995 : 38).

La sécularisation de l’asile et la maîtrise du territoire national posent la question de l’étranger et de l’extradition dans les relations internationales. Le droit d’asile juridique s’inscrit dans le développement du droit international qui privilégie dans un premier temps la notion de droit d’accueil discuté par Jean Bodin (1993 [1583]) au XVIe siècle dans une discussion sur la nature de la souveraineté et du droit de

protection. L’asile territorial se situe dans l’idée de la solidarité des États pour lutter contre le crime, une idée qui sera reprise un siècle plus tard par l’école du droit naturel. L’idée de la solidarité internationale pour contrer le crime impliquait une révolution dans le droit pénal afin de substituer la pratique de l’extradition à l’immunité de l’asile.

« tout État a le devoir d’empêcher dans son propre intérêt qu’un crime ne reste impuni. La frontière d’un État ne peut pas assurer l’immunité des criminels sans que les gouvernements commettent une injustice. Les États doivent s’entraider dans la lutte

23 En France, pas d’asile sous l’Ancien régime, mais la protection est octroyée par le geste d’un souverain vis-à-vis d’une personnalité étrangère qu’il souhaite accueillir, comme le roi de France accueille le roi de Pologne (Le Pors, 2005 : 11 ; Crépeau, 1995 : 38-40).

24 Employé pour marquer l’asile sur le territoire de l’État qui octroie l’asile.

25 L’asile diplomatique par la fiction juridique de l’extraterritorialité procure un asile hors de la juridiction territoriale.

contre la criminalité et se restituer réciproquement les criminels échappés. » (Bolesta- Koziebrodzki, 1962 : 39).

Le droit d’accès des étrangers sur le territoire de l’État, l’extradition et la coopération entre les princes dans la répression des fugitifs et des comportements injustes sont abordés dans la réflexion de Bodin sur l’exercice et l’étendue de l’autorité. Bodin justifie le principe d’accueil dans la mesure où le prince doit combattre l’injustice et protéger le fugitif (Alland et Teitgen-Colly, 2002 : 27 ; Sinha, 1971 : 18 ; Bolesta- Koziebrodzki, 1962 : 41). Cette conception de la solidarité d’hospitalité et du devoir de libre passage sera confirmée par Grotius. Dans son traité sur Le droit de la guerre

et de la paix (De jure belli ac pacis) rédigé en 1625, le juriste défend l’équité du

principe de l’asile dans un revirement pour éviter l’extradition26 à une personne lorsque l’État inflige une punition ou une accusation injuste, un abus d’autorité et une violence arbitraire27 (Price, 2009 : 35-37). Cette conception de l’asile chez Grotius

pour éviter l’extradition en accordant une immunité au fugitif si celui-ci est innocent se rencontre dans la tradition grecque de l’asile où on pouvait opter de protéger un fugitif contre un État étranger, donc dans un contexte étroitement politique. Selon la philosophie politique du fondateur du droit international basé sur les droits naturels, refouler les étrangers relève de la barbarie :

« on ne doit pas refuser une demeure fixe à des étrangers qui, chassés de leur patrie, cherchent une retraite, pourvu qu’ils se soumettent au gouvernement établi, et qu’ils observent toutes les prescriptions nécessaires pour prévenir les séditions. […] C’est le propre des Barbares de repousser les étrangers. » (Grotius, 1999 [1625] : 193).

Ces idées sont entérinées par Pufendorf28 qui va cependant les détourner vers l’intérêt de l’État et les poser en faveurs à accorder aux étrangers chassés de leur pays, ce qui modifie la version du devoir général d’accueil préconisé par Grotius. L’idée que le

26 La mise en place d’un système de solidarité internationale pour lutter contre le crime.

27 Sinha (1971 : 19) et Bolesta-Koziebrodzki (1962 : 39) rappellent que certains juristes, dont Grotius, ont plaidé au XVIIe siècle la solidarité des États pour la suppression des crimes et ont été eux-mêmes persécutés et obligés de quitter leur patrie pour se soustraire à la prison. Forcés de se réfugier dans un autre pays que le leur, ils ont ainsi soutenu l’asile pour les victimes de l’intolérance religieuse et politique.

droit naturel impose le devoir de recevoir les étrangers est rejetée par Pufendorf. Même réticence dans la réflexion de Wolff sur les devoirs des nations lorsqu’il aborde également le sujet de l’asile. Il soutient le devoir de compassion envers ceux qui sont chassés de leur pays et note que l’asile est une prérogative de l’État en soulignant l’imperfection du droit à ce sujet, mais, insistant néanmoins sur le fait que c’est une prérogative de l’État. Il n’y a pas de droit parfait, par conséquent, pas un droit parfait à obtenir d’une nation le domicile demandé. Wolff soutient que les devoirs d’humanité et d’assistance à autrui sont une obligation imparfaite dans le sens où ils ne doivent pas être obligatoires et doivent être dépourvus de sanction. Vatel s’inscrit dans cette perspective défendant la prérogative de toute nation de se garder le droit de refuser à un étranger le droit d’entrer dans le pays. En vertu de la liberté naturelle, l’exercice de l’asile revient au jugement de la nation et l’individu ne peut s’établir de plein droit. L’affirmation de la maîtrise du territoire de l’État engage à rejeter du droit positif le devoir et le droit d’asile. Ces contributions engendrent un asile politique plus sélectif bien que les souverains du Siècle des Lumières perpétuent une protection choisie des opposants politiques. Ainsi, Cesare Beccaria manifestait sa méfiance envers un devoir d’extradition généralisé. Le fondateur de l’école classique italienne de droit pénal condamnait la pratique de l’asile excepté pour les victimes du pouvoir arbitraire, de la cruauté, de la tyrannie et de l’injustice, considérant que les attaques contre les institutions d’un État n’étaient pas une menace pour l’ensemble des souverainetés et pour la solidarité entre les États (Price, 2009 : 38-44 ; Alland et Teitgen-Colly, 2002 : 26-33 ; Sinha, 1971 : 19).

L’inscription du droit d’asile dans des documents officiels intervient dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen29 et dans la Constitution française de

1793 qui proclame le droit d’asile pour les étrangers bannis au nom de la liberté, et le

29 Les premiers articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen font figurer les droits imprescriptibles de l’homme et la résistance à l’oppression. Article premier. Le but de la société est le bonheur commun; le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles. Article 2. Ces droits sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. AIDH, [http://www.aidh.org/Biblio/Text_fondat/FR_04.htm].

refuse aux tyrans30. Au XIXe, la France accueille ainsi ceux qui luttent contre les monarchies absolues ou qui se soulèvent au nom des nationalités. Les affirmations identitaires en Europe et les luttes contre l’autoritarisme provoquent l’exil de personnalités, mais il n’y a pas encore de formalisations précises pour le droit d’asile. (Price, 2009 : 48 ; Le Pors, 2005 : 12 ; Lacroix, 2003 : 181 ; Lochak, 2002 : 32 ; Crépeau, 1995 : 41-45 ; Sinha, 1971 : 19). En revanche, de l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique met en place des dispositifs d’asile. Les plus significatifs sur le continent américain apparaissent avec le traité de la Convention de Montevideo en 188931 (il comprend un article sur les réfugiés qui formule la conception contemporaine de l’asile diplomatique32), et avec la convention de La Havane en 1928 (Lacroix, 2003 : 181-182 ; Crépeau, 1995 : 47 ; Sinha, 1971 : 20-35).