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Les manifestations de tensions et de contradictions expriment la dimension politique de l’institution de l’asile à travers la lutte des représentations, les contestations exprimées envers un ordre social, la (re)définition des normes et la mise en place d’un système de protection égalitaire. C’est une dimension politique que l’on retrouve dans les organisations internationales dans le global politique développé dans le premier chapitre. Cet aspect politique apparaît à travers la redéfinition des normes issues des discours transnationaux et l’affaiblissement des déterminants sociaux tel que présenté dans l’approche théorique des phénomènes de la globalisation. Le phénomène de globalisation agit comme une force dynamique dans les transformations politiques, sociales et culturelles de redistributions du pouvoir en le diminuant ou en l’augmentant dans de nouvelles directions, comme le démontrent les politiques des institutions économiques telles que le FMI ou la Banque mondiale, les identités (nationale, ethniques, notion de citoyenneté) ou des institutions non gouvernementales au niveau local comme les organisations des droits des femmes (Lewellen, 2003 : 201 ; Castells, 2001). Dans cette configuration, la représentation du

paradigme humanitaire agit comme une force sociale et culturelle qui favorise ou limite les réalisations du changement. La représentation du paradigme humanitaire procède de plusieurs facteurs dans le domaine de la justice sociale globale où différentes significations et forces s’affrontent dans un système ambivalent qui reflète les inégalités dans un système mondialisé. On voit ici la mise en forme des valeurs des pays industrialisés dans le discours des droits humains pris dans un réseau imaginaire où chaque individu devient un sujet politique (Goodale et Merry, 2007).

La fécondité des recherches à partir du champ politique et juridique en anthropologie vient de ce qu’elles mettent l’accent sur la tension entre les formes politiques et l’action politique à travers les diverses définitions du sens attribuées au concept de politique et sur l’articulation de l’organisation de pluralité humaine dans la communauté du vivre ensemble dans un système mondial globalisé par l’ensemble de ses échanges. La production de normes et des systèmes de régulation dans le nouvel ordre mondial par le prisme de la mise en place des institutions transnationales participe à l’intégration ou à l’exclusion de catégories d’individus. Ces processus se réalisent selon le capital social et symbolique que les individus détiennent et leur capacité à agir et à se déplacer dans les systèmes élaborés par les politiques nationales et les organisations internationales. Dans ce jeu politique, social et culturel, le droit opère comme une force symbolique dans le processus d’exclusion ou d’intégration par l’action politique du travail juridique et les rites de légitimation (Bourdieu, 1987, 1986). Le processus de revendication du statut de réfugié s’inscrit dans cette dynamique d’exclusion/intégration selon les moyens du demandeur d’asile et l’attention portée par la communauté internationale et nationale aux enjeux définis par l’attribution du statut de protection.

Les études sur l’anthropologie politique et juridique indiquent qu’il existe un lien entre les systèmes de représentation d’une société donnée et son droit (Le Roy, 1999, 2007). Les travaux liminaires de Maine (Claverie, 2000) en anthropologie juridique considèrent le droit dans sa perspective explicative d’évolution sociale. Cette

dimension se prolonge dans les travaux de Gluckman qui établissent l’existence de négociations et de ruptures envisageables entre les normes juridiques et le consensus. Dans cette approche, le conflit est conçu comme une instance de régulation de l’ordre social. Dans un autre registre non fonctionnaliste, Geertz (1986) montre comment le droit est une façon de penser le réel en identifiant « droit et savoir local, droit et réel » dans la mesure où la pensée juridique construit des réalités sociales et ne traduit pas exclusivement le réel, mais le fait exister (Claverie, 2000 : 402-403). Dans sa représentation du réel, le droit a une action sur le réel, car il produit une influence sur sa pratique et participe à la production de la culture (Geertz, 1986). Bourdieu (1986) signale comment le droit participe à la production du monde social tout en en étant le produit lorsqu’il souligne les conditions historiques de la formation du droit. Dans cette analyse, le verdict est l’aboutissement d’une lutte symbolique, mais surtout illustre l’exercice de la violence symbolique légitime de l’État et son rôle dans la diffusion de la violence structurelle. Le texte juridique devient un enjeu de lutte où sa lecture est une manière de s’approprier la force symbolique (Bourdieu, 1986). La compréhension de la société par le droit et l’anthropologie forme un lieu de rencontre où le droit est conçu comme un processus (Le Roy, 1999). Dans ce domaine, les changements de paradigme apparaissent à travers les différents systèmes de juridiction au niveau national comme on peut le trouver au Canada où la question multiculturelle doit être prise en compte dans le répertoire pluriel de droits qui doivent coexister en dépit d’oppositions entre certains principes défendus (Shachar, 2001 : 88-116).

Dans une optique similaire, les interrogations de Balandier (2004 : 13-73) sur la continuité et les changements dans la société mettent l’accent sur les dynamiques sociales qui opèrent dans les mutations à travers une création continue et des limites intérieures. Selon lui, ces mutations de la réalité sociale visible à travers l’histoire ont un sens dont la puissance se manifeste par un accroissement participatif d’acteurs sociaux. Dans l’espace social de l’asile, les débats et les actions menées pour l’introduction du concept de persécutions liées au genre manifestent les régulations

mutuelles, la création collective et les actions individuelles des formations historiques. L’introduction du concept de genre dans le processus de reconnaissance du statut de réfugié révèle les caractéristiques dynamiques et relationnelles de cette entité et les obstacles issus des formations antérieures qui se manifestent par des tensions. L’instauration des systèmes démocratiques fondés sur le développement du paradigme humaniste articulé au concept de liberté manifeste la construction idéologique du concept de liberté et des directions divergentes que lui attribuent les défenseurs d’une idéologie ou d’une autre. La division entre les tenants de la liberté positive ou de la liberté négative manifeste cette dialectique entre deux idéologies concurrentes et la lutte symbolique qui en découle. D’autre part, l’introduction du genre dans le système de l’asile exprime les tensions qui s’articulent autour du concept de liberté

Les études sur les théories féministes et politiques suggèrent que le genre est dynamique (Butler, 2006, 2004). Le genre est convenu dans cette recherche comme le produit des normes (Scott, 1986) issues de la construction historique, culturelle et sociale, histoire sociale incorporée comme habitus (Bourdieu, 1998) et des relations de pouvoirs asymétriques (Butler, 2006, 2004 ; hooks, 2000 [1984], 1989, 1981 ; Spivak, 1988 ; Haraway, 1988 ; Héritier, 2002) entre les rôles sociaux du masculin et féminin et d’une position des hommes et des femmes dans la société. Ces dynamiques suscitent deux réflexions dans le débat national et international. La première concerne les relations entre les violences et les systèmes issus des rapports de pouvoir liés au genre, la seconde s’intéresse aux relations entre ces violences et les phénomènes d’exil. Selon la définition du Comité pour l’élimination de la discrimination contre les femmes (CEDAW) « la violence qui est dirigée contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui touche les femmes à un degré disproportionné139 » est une

violence fondée sur le genre. Ce sont des violences dirigées envers les femmes comme des « acteurs sociaux tributaires d’un rôle social et d’une position voire d’une fonction, imputés à « la femme » dans la société de référence » (Freedman et Valluy,

2007 : 7-10) par la remise en cause ou la transgression de ce rôle. Ces pratiques sont suffisantes pour produire des persécutions lorsque certaines d’entre elles tentent de fuir une manière de vivre, des mariages, des grossesses, des avortements ou des opérations génitales forcés. Une analyse des violences liées au genre implique un examen des relations entre la violence, le pouvoir et les politiques qui ne peut pas faire l’économie de l’articulation politique entre le genre et la sexualité souvent écartée. Les violences exercées contre les femmes se traduisent à travers de multiples formes de la sexualité qui s’ancrent dans un système de pouvoir (Fassin, 2007 ; Foucault, 1994 et 1978 ; Bourdieu, 1998 ; Fraser, 1989). Les violences sexuelles s’inscrivent dans un registre qui découle des rapports de pouvoir entre les rôles sociaux assignés au masculin et au féminin et par laquelle ces pratiques se manifestent en traduisant l’exercice d’un pouvoir localisé dans la sexualité (Butler et

al., 2007 ; Butler, 2006, 2004, 1997, 1993). Dans cette économie symbolique, les

violences sexuées participent à une politisation des questions sexuelles « La violence n’est pas neutre – elle s’inscrit dans une logique de genre. […] elle est sexuée : elle signifie le genre, c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur cette inégalité, tout en la renforçant. » (Fassin, 2007 : 297). Ces conduites fondées sur l’habitus (Bourdieu, 1984, 1980) sont observables dans la réalité sociale, dans la trajectoire migratoire et dans le processus et la revendication du statut de réfugié, comme on peut l’observer dans le traitement « administré » aux demandeurs d’asile et le positionnement des différents acteurs (Domingues et Lesselier, 2007 ; Freedman, 2007 ; Macklin, 1999).

L’incorporation d’un système de normes historisées dans des rapports de pouvoir s’exprime dans l’attitude et les récits des demandeurs d’aile. L’analyse des transformations sociales et culturelles de l’espace migratoire à travers les demandes d’asile pour les violences liées au genre montre que le genre est un processus dynamique dans les institutions, car ce sont des sites de pouvoir : « gender regime structures asylum practices » (Oxford, 2005 : 21), mais aussi des sites de résistance (Crenshaw, 1991). Les tensions qui apparaissent dans le débat entre genre et culture découlent des tensions issues de l’interprétation du concept de liberté dans la défense

des demandeurs d’asile à travers l’opposition entre l’universel et le particulier qui s’insère dans la discussion entre droits collectifs et droits individuels. Les divergences théoriques et politiques sur la défense des demandeurs d’asile traduisent ces tensions qui animent les discours sur les droits humains dans la lutte contre les violences liées au genre et dans le multiculturalisme produisant des dérives successivement ethnocentristes ou un relativisme controversé. La conceptualisation de la violence envers les femmes comme une violation de droits humains formulée dans le cadre universel et son application partout dans le monde soulèvent des questions difficiles dans le domaine de la culture et des droits à travers les demandes de transformations de pratiques locales et de condamnations selon le registre universel mis en place (Merry, 2009 : 88-92). Ces difficultés s’inscrivent dans le répertoire multiculturel de l’agenda des politiques globales et dans les reconfigurations identitaires dans un contexte d’affaiblissement des liens sociaux traditionnels (Castells, 2001 : 25). La différenciation des droits génère des tensions dans ce que Shachar (2001) dénomme le paradoxe de la vulnérabilité multiculturelle pour les minorités non-dominantes dans la répartition des droits et des normes selon le niveau individuel, de groupe et étatique et plus spécifiquement dans la défense de l’identité individuelle versus l’identité du groupe dans une dynamique d’intervention ou de non-intervention.