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L’action des transmutations de l’institution de l’asile

L’étude du processus de détermination du statut de réfugié au Canada pour les femmes qui demandent l’asile et qui sont victimes de violences liées au genre montre que les transformations sociales et culturelles du développement du droit d’asile sont des constructions issues des discours politiques et juridiques historiques (Price, 2009 ; Freedman, 2007 ; Le Pors, 2005 ; Lochak, 2002 ; Alland et Teitgen-Colly, 2002 ; Grahl-Madsen, 2001 ; Lacroix, 2000, 2003 ; Crépeau et Legomsky, 2007 ; Crépeau, 1995 ; Arendt, 1982 ; Bolesta-Koziebrodzki, 1962 ; Sinha, 1971). Le concept d’asile n’est pas un fait moderne. Ses racines s’inscrivent dans plusieurs civilisations anciennes pour désigner la protection offerte à une personne ou à un groupe de

personne dans un lieu déterminé. La modernité de ce concept tient à sa codification dans une Convention reconnue par une majorité de pays qui définit le statut de réfugié, selon les critères énoncés, mais qui se traduisent dans des principes et des pratiques qui diffèrent des conceptions initiales contenues dans les processus traditionnels. Plus précisément :

« In modern usage, asylum generally means that a refugee is allowed to stay in a given country until such time as he may safely return to his or her home country without fear of political (including racial or religious) persecution. In many countries, asylum is granted only to persons recognized as ‘‘refugees’’ according to the Refugee Convention (1951) and Protocol (1967), but in some countries, broader criteria are used. » (Grahl- Madsen, 2001 : 362).

La pratique de l’asile remonte à la nuit des temps et a connu des formes variées fondées sur de multiples ancrages pour progressivement se spécialiser en droit des réfugiés (Alland et Teitgen-Colly, 2002) : « The right to grant asylum – A right to be granted asylum » (Grahl-Madsen, 2001 : 285-286). Comme le précise Grahl-Madsen (2001 : 281), le droit d’asile « right of asylum » a deux sens. Il relève traditionnellement du droit d’un État d’accorder l’asile (le droit d’asile – right of asylum) et dans les temps modernes, il fait référence au droit d’asile pour un individu (le droit à l’asile – right to asylum). Cette nuance implique des conséquences sur le traitement du phénomène de l’asile et les principes auxquels l’asile se rapporte. The

right to grant asylum : le droit d’un État d’accorder l’asile territorial implique

l’exercice de la souveraineté territoriale et ne suscite pas davantage de justifications. Le droit d’asile comme droit individuel est fixé dans les constitutions et les lois de plusieurs États. Au niveau international, le droit d’asile dans ce sens découle des conventions internationales qui comportent des dispositions élémentaires comme le principe de non-refoulement ou de non-extradition. Ces éléments liminaires permettent de distinguer : un droit vis-à-vis de l’État où l’asile est demandé et qui peut être décrit comme A right to be granted asylum; et un droit vis-à-vis de l’État sollicité qui peut être décrit comme un droit de chercher et de bénéficier de l’asile dans un pays étranger selon les principes de l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) (Grahl-Madsen, 2001 : 281-286).

Les phénomènes liés à la revendication du statut de réfugié s’ancrent dans un système de représentation et un réseau complexe de dynamiques inscrites dans un conflit social qui oppose plusieurs tendances. Le statut moderne de réfugié est étroitement lié au développement du droit humanitaire établi sur celui de la guerre, une convention au préalable élaborée pour protéger les soldats. Les défenseurs des personnes victimes de violences et de persécutions fondées sur le genre dans le processus de détermination du statut de réfugié opèrent avec des instruments juridiques et des représentations construits sur la protection d’une figure masculine (Jaillardon, 2008 ; CICR 2007 ; Lacroix, 2006, 2000 ; Rousseau et al., 2002 ; Lochak, 2002 ; Crépeau, 1995 ; Kévonian, 1994). Le modèle androcentrique du statut de réfugié illustre les défis auxquels font face les défenseurs des femmes victimes de violences liées au genre. Les principes exposés dans les textes relatifs au domaine de l’asile reflètent l’idéologie contemporaine associée aux notions de droits de l’homme et des protections à étendre pour les appliquer. L’élaboration du statut de réfugié est issue du droit international et plus précisément de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 complété par le Protocole de 1967. Le droit des réfugiés s’articule sur l’émergence du droit humanitaire, un système intimement lié au droit des conflits armés traitant des soldats et des civils. L’ensemble de ces caractéristiques révèle la dimension politique des notions d’asile et de réfugié, et la figure masculine qui cristallise la conception moderne de celui qui pourra disposer de cette protection. Le statut de réfugié est une construction sociale et politique des discours et des politiques internationales et nationales. Dans ce système juridique et administratif, le demandeur d’asile constitue un avatar du principe de l’asile, où selon la sociologue suédoise Alexandra Alund les réfugiés représentent « the new « helots » in modernity’s » (1995 : 311). Ils représentent les exclus, l’« Autre » que l’on tend à confiner, à exiler (Malkki, 1995b : 9) dans « the limbo world » (Walzer, 1970 : 146), les sans-droits, les indésirables qui le deviennent par le processus performatif (Arendt, 1982 : 254), les illégaux, les criminels dans le système migratoire contemporain.

L’examen des transmutations de l’asile montre que les tensions et les contradictions qui affectent cette pratique sociale et culturelle émergent avec l’apparition d’un discours politiquement et économiquement situé, des politiques hostiles envers les demandeurs d’asile. Les difficultés liées aux conditions restrictives migratoires se manifestent par des mesures draconiennes pour décourager les demandeurs d’asile. Ces dissuasions s’expriment à travers l’augmentation des contraintes pour l’accueil des réfugiés ou le discours du problème des réfugiés notamment après les événements du 11 septembre (Price, 2009 : 200-234 ; Murdocca, 2008 ; Crépeau et Legomsky, 2007 ; Lacroix, 2000 ; Ségur, 1998 ; Malkki, 1995b : 8-9 ; Crépeau, 1995) et la volonté de favoriser les camps de réfugiés (Loescher et al., 2008) en sélectionnant ceux qui pourront facilement s’adapter à la société industrialisée d’accueil selon des critères sécuritaires, socioprofessionnels et des quotas protégeant le marché du travail (Crépeau et Legomsky, 2007 ; Martin, 2004 : 129-145 ; Crépeau et Tremblay, 2003 ; Crépeau, 1995). Ces conditions montrent certains aspects des tensions qui concernent le phénomène social de l’asile « The world’s asylum system is in crisis. » (Price, 2009 : 233).

L’institution politique, culturelle et religieuse de l’asile est une réalisation historique qui se métamorphose à travers un processus graduel et constant où les résidus des formes antérieures participent à l’élaboration de nouveaux modèles selon les impératifs et les tendances idéologiques du cycle temporel. Les formes contemporaines de l’asile découlent des interactions menées par des individus ou des groupes comme les États pour répondre aux exigences générées par la mise en place des mécanismes de protections des réfugiés. Ces formations sont régulées et contraintes par un environnement structuré par les réalisations antérieures qui se traduisent à travers des tensions (Bernier, 1983). La généalogie des dispositifs de protection envers les réfugiés en Europe comporte les dangers d’un eurocentrisme, mais la localisation de cette démarche se légitime puisque la création des catégories juridiques se situe dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale en Europe (Malkki, 1995b ; Arendt, 1982). Ce critère est important aujourd’hui, car les

principaux demandeurs d’asile proviennent essentiellement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud et Centrale (Bohmer et Shuman, 2008 : 7 ; Hans et Suhrke, 1997 : 88-102) et les pays industrialisés admettent une part minime des réfugiés. En effet, pour la fin 2009 le HCR estime que 43,3 millions de personnes sont déracinées dans le monde, ce qui constitue le nombre le plus élevé depuis les années 1990140.

Selon le rapport du HCR sur les 44 pays industrialisés141, ces pays ont reçu un total de 377 200 demandes d’asile en 2009 (UNHCR, 2010). La mise en place d’un système de régulation et de protectionnisme limite l’accès au processus de demande d’asile d’une manière générale, et ils affectent surtout les femmes, et plus précisément lorsqu’elles tentent de se soustraire à diverses formes de violences (Freedman, 2007 ; Martin, 2004 : 129-145). En dépit des dispositions et des directives dans le régime des réfugiés, la plupart des individus qui veulent trouver refuge dans les pays développés économiquement n’ont pas la garantie de faire valoir les droits humains qu’ils sollicitent (Crépeau et Legomsky, 2007 ; Crépeau et Tremblay, 2003 ; Bhabha, 2004, 2002). Ainsi, les individus qui ont besoin de la protection de l’asile doivent faire face à plusieurs difficultés tant au niveau pratique, que juridique ou culturel (Price, 2009 : 201-234 ; Bohmer et Shuman, 2008 ; Oxman-Martinez et Hanley, 2006 ; Oxman-Martinez et al., 2005 ; Martin, 2004 : 129-145 ; Bhabha, 2004, 2002). Ainsi, on observe au Canada, le pays qui a introduit les premières mesures dans les revendications liées au genre (Kumin, 2008 ; Murdocca, 2008 ; Jaillardon, 2008 ; Martin, 2004 : 129-145 ; Gilad, 1999), une série de tensions issues des transformations de l’asile et dans la société à travers une série de limitations et de difficultés.

140 15,2 millions étaient des réfugiés, 10,4 millions relevaient du HCR et 4,8 millions étaient des réfugiés palestiniens. Ce chiffre comprend les 983 000 demandeurs d’asile et 27,1 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Les pays en développement étaient les hôtes des quatre cinquièmes des réfugiés dans le monde. Le Pakistan était l’hôte du plus grand nombre de réfugiés (1,7 million), suivi de la République islamique d’Iran (1,1 million) et de la République arabe syrienne (1,05 million). Le Pakistan était également l’hôte du plus grand nombre de réfugiés par rapport à sa capacité économique, suivi par la République démocratique du Congo et le Zimbabwe (UNHCR, 2010 : 1). 141 Les 27 États membres de l’Union européenne plus l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Islande, le Liechtenstein, le Monténégro, la Norvège, la Serbie (hors Kosovo), la Suisse, l’ex- République yougoslave de Macédoine et la Turquie, ainsi que l’Australie, le Canada, les États-Unis d’Amérique, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée (ibid.).