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Les émulsifiants utilisés dans les émulsions de bitume sont des tensioactifs. Ceux-ci sont des molécules possédant une longue chaîne hydrocarbonée hydrophobe et une tête polaire hydrophile de charge positive en solution. Les tensioactifs sont en général répertoriés en fonction de leur nature ionique. Quatre catégories de tensioactifs sont recensées : les anioniques (charge négative), les cationiques (charge positive), les zwittérioniques ou amphotères (charges positive et négative) et les non ioniques (groupes d’oxyde d’éthylène). Les émulsifiants pour émulsions de bitume sont en France exclusivement cationiques, mais dans d’autres pays, des émulsifiants anioniques et même non ioniques sont utilisés. Ce choix d’émulsifiant est lié à la charge de surface des granulats (cf. I.2.2).

Les émulsifiants employés dans l’industrie routière sont de type amine grasse (diamine, polyamine), ammonium quaternaire, amido-amine ou imidazoline. Le plus souvent, ils sont introduits dans l’eau car ils sont plus solubles dans cette phase. Cependant, quelques émulsifiants commerciaux sont solubles dans le bitume. La plupart des émulsifiants n’ont pas de propriétés tensioactives à l’état naturel, aussi il est souvent nécessaire de leur ajouter un acide pour les protoner en solution. Ainsi, l’ensemble eau-émulsifiant-acide forme la phase aqueuse de l’émulsion. Dans le cas d’un émulsifiant de type amine, la réaction chimique en milieu acide est la suivante :

+ + → + 3 2 H R-NH NH -R équation I.1

Dans le cas d’une diamine, la réaction chimique qui se produit est décrite ci-après : + + + → + 2 2 n 3 2 n 2) -NH 2H R-NH -(CH ) -NH (CH -NH -R équation I.2 L’acide employé est très généralement de l’acide chlorhydrique, parfois de l’acide phosphorique, en raison de changement de pH plus faible et du caractère corrosif de l’acide chlorhydrique [13].

La propriété la plus remarquable des émulsifiants tensioactifs est leur capacité à s’adsorber à l’interface bitume/eau. Cela est dû à la particularité de ces molécules d’avoir une partie hydrophile et une partie hydrophobe [14]. La conséquence directe de ce phénomène est d’abaisser la tension existant entre les phases liant et eau, appelée tension interfaciale (γint). Celle-ci se définit comme le rapport de la variation d’énergie libre dF sur la variation dA de la surface entre les deux phases :

dA dF

int =

γ équation I.3

Autrement dit, c’est le travail nécessaire pour créer une surface d’une unité d’aire. La tension interfaciale correspond à l’énergie qu’il faut fournir pour attirer les molécules d’un liquide vers l’interface entre les deux liquides. Elle s’exprime en mN/m ou en mJ/m². Lorsqu’une interface liquide/air est considérée, le terme de tension superficielle du liquide est utilisé. Dans l’émulsion, l’émulsifiant s’adsorbe sur les gouttelettes de bitume (cf. Figure I.4). La charge positive apportée par l’émulsifiant protoné permet la répulsion électrostatique entre les gouttelettes et ainsi la « stabilité » cinétique de l’émulsion.

Figure I.4 – Tensioactif cationique à la surface d’une gouttelette de bitume (émulsion H/E) [5].

A partir d’une certaine concentration en émulsifiant, l’interface bitume/eau est saturée. Au-delà de cette concentration, l’émulsifiant s’autoaggrège sous forme de micelles [14]. La

concentration pour laquelle apparaît la première micelle est appelée concentration micellaire critique (CMC). Cette concentration est une caractéristique importante de tout tensioactif et dépend de la nature chimique de ce tensioactif ainsi que des conditions expérimentales (température, pH, présence d’électrolytes,…) [14].

Une autre caractéristique des émulsifiants cationiques pour émulsions de bitume est leur basicité. Chimiquement, les émulsifiants aminés sont des bases fortes. Le Tableau I.1 donne des valeurs de pKa de quelques couples d’amines.

Tableau I.1 – Valeurs de pKa pour quelques couples d’amines [15,16].

Couples d’amines pKa (25 °C) NH4+/NH3 9,24 CH3-NH3+/CH3-NH2 10,64 (CH3)2-NH2+/(CH3)2-NH 11,50 (CH3)3-NH+/(CH3)3-N 9,90 NH3+-(CH2)3-NH3+/NH2-(CH2)3-NH2 10,47

Une autre caractéristique importante des émulsifiants tensioactifs cationiques est leur solubilité. Comme précisé plus haut, la plupart des émulsifiants cationiques pour application routière sont solubles dans l’eau. Leur solubilité dépend du rapport de leurs groupements hydrophile et hydrophobe, appelé hydrophile lipophile balance (HLB). Plus la HLB est élevée, plus le tensioactif est hydrophile. La HLB des émulsifiants pour émulsions H/E se situe entre 8 et 18 [14]. La solubilité des émulsifiants cationiques en solution aqueuse dépend également de la température. En effet, pour les tensioactifs ioniques, il existe une température, appelée point de Krafft, au-dessus de laquelle la solubilité augmente fortement.

Enfin, l’émulsifiant cationique pour application routière joue un rôle capital dans la rupture et l’adhésivité des émulsions de bitume. Cet aspect sera traité plus loin dans ce chapitre (cf. I.2 et I.3).

I.1.1.3.Fabrication d’une émulsion de bitume

Pour formuler une émulsion, il est nécessaire d’apporter de l’énergie mécanique pour cisailler le bitume et le disperser sous forme de gouttelettes (ou globules).

Pour cela, différents types de mélangeurs existent dans l’industrie. La plupart de ces mélangeurs fonctionnent sous système de turbine (cf. Figure I.5), comprenant une partie fixe, le stator, et une partie mobile, le rotor. L’appareil dispose d’un entrefer de dimension parfois variable qui permet de mieux maîtriser la granulométrie de l’émulsion. D’autres systèmes font appel à des procédés sous conditions opératoires particulières (homogénéisateur sous haute pression).

Figure I.5 – Représentation d’une turbine rotor-stator cylindrique (moulin colloïdal) [5].

Pour émulsifier le bitume, il est indispensable de le chauffer pour abaisser sa viscosité (qui est élevée à température ambiante) et de viser une valeur de 200 mPa.s. Par exemple pour un bitume de grade 160/220 (grade mou), une température de 140 °C est requise. La phase aqueuse est légèrement chauffée (40 °C) pour une meilleure solubilisation de l’émulsifiant. La température de l’émulsion ne doit pas dépasser la température de vaporisation de l’eau (100 °C). Il existe une règle thermique : A 1 ) T -(T B 0,5 ) T

-(T°bitume °émulsion × × = °émulsion °phaseaqueuse × × équation I.4

où 0,5 et 1 sont les chaleurs spécifiques du bitume et de l’eau respectivement et A et B sont les teneurs en phase aqueuse et en bitume respectivement.

La température d’émulsification est maintenue entre 90-95 °C. L’énergie apportée doit être élevée, mais ne doit pas être trop élevée pour ne pas rendre l’émulsion instable.

Un document [17] fait état de l’influence de paramètres de procédé sur les propriétés de

l’émulsion. Ainsi, il a été noté que l’augmentation de la vitesse du mélangeur tend à diminuer la taille des gouttelettes de bitume.

I.1.1.4.Propriétés des émulsions de bitume

Les émulsions de bitume possèdent quelques caractéristiques intrinsèques comme le pH, la conductivité, la teneur en eau, la taille et la distribution granulométrique des gouttelettes. Le pH fera l’objet d’une attention particulière dans les parties I.2 et I.3.

Cinq principales propriétés physico-chimiques sont particulièrement observées avec les

émulsions de bitumes : la viscosité, la stabilité au stockage, la tension interfaciale, la vitesse de rupture et l’adhésivité. Dans cette partie, les trois premières propriétés seront développées, les deux autres seront détaillées plus tard dans ce chapitre (cf. I.2).